Pollution atmosphérique : la lutte s’organise dans les grandes villes
Quel est le point commun entre Pékin, Mexico, Delhi, Téhéran ou Paris ? Ces grandes villes subissent périodiquement des épisodes de pollution atmosphérique aux conséquences sanitaires inquiétantes. Noyées régulièrement dans un épais smog, elles ont décidé de lutter contre ce fléau. Quels sont leurs plans d'action ? Et pourquoi Paris demeure-t-elle à la traîne ?
Geneviève De Lacour - Publié le
Respirer un air pollué n’est pas bon pour la santé. Mais si l’impact sanitaire de la pollution atmosphérique ne fait plus aucun doute, une controverse subsiste : le nombre de morts qu’elle provoque chaque année dans le monde. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) chiffre à 7 millions le nombre de décès liés aux émissions polluantes. Elle a décidé de classer la pollution atmosphérique comme source directe de cancer. En février 2016, une nouvelle étude, passée inaperçue, vient pourtant corroborer celle de l’OMS. L' American Association for the Advancement of Science (AAAS) estime que la pollution de l’air est responsable de 5,5 millions de décès prématurés, dont la moitié en Chine et en Inde. Ainsi, « elle est le quatrième plus grand facteur de mortalité au niveau mondial, et de loin la première cause environnementale de maladies », explique Michael Brauer, professeur à la faculté de santé publique de l’université de Colombie-Britannique à Vancouver (Canada). Des propos confirmés par un nouveau rapport publié le 15 mars. L’Organisation mondiale de la santé estime que la pollution atmosphérique est responsable de 25 % des accidents vasculaires cérébraux (AVC), de 23 % des infarctus et de 14 % des cancers du poumon. Quant à l’air intérieur (celui des espaces clos), pollué par la combustion de charbon ou de bois, il explique 28 % des AVC, 18 % des infarctus et 17 % des cancers du poumon.
« Airpocalypse » à la chinoise
Pékin, décembre 2015. Alerte rouge sur la ville. La pollution est maximale. Si les taux de pollution de la capitale chinoise sont en moyenne sept fois supérieurs aux recommandations de l’OMS, cette fois-ci elles les dépassent de 10 fois. En urgence, les autorités de la région décident de passer à l’action : circulation alternée, écoles fermées, interdiction de circuler pour les camions des BTP pendant l’alerte rouge, etc. Face à une opinion publique de plus en plus inquiète pour sa santé, le gouvernement central a en effet exigé des autorités de la ville qu’elles prennent des mesures d’urgence, mais aussi sur le long terme. Il faut dire que l’enjeu est important puisque le tourisme est en chute libre et les expatriés ne veulent plus s’installer dans la capitale chinoise. Pékin a lancé en 2013 un plan sur 4 ans pour réduire de 25 % la pollution d’ici 2017, et prévu de consacrer 110 milliards d’euros à cet objectif. Comment ? Principalement en réduisant le nombre de voitures en milieu urbain, en limitant le nombre de cartes grises délivrées chaque année. Quant au diesel, il est interdit pour les particuliers.
L'association WildAid en Chine a imaginé un spot publicitaire pour sensibiliser aux dangers de la pollution. Résultat : une idée un peu loufoque – des humains ayant développé de longs poils de nez pour se protéger de la pollution –, et un message dont on se souvient.
Dans le même temps, la ville a décidé de doubler les stations de mesure sur son territoire. « Ils suivent les mêmes polluants que nous, mais mettent l’accent sur les PM2,5, c’est-à-dire les particules fines, celles qui ont le plus d’effets sur le système respiratoire, le système cardio-vasculaire », explique Karine Léger, ingénieur chez Airparif (l’association de surveillance de la qualité de l’air en Île-de-France, NDLR) et responsable de la coopération internationale. Si l’Europe a commencé par mesurer les fumées noires (les poussières colorées supérieures à 10 mm et issues de la combustion), les Chinois sont arrivés plus tard dans la lutte, mais ont en revanche beaucoup travaillé sur les PM2, 5. Ainsi, « dans un futur proche, on peut imaginer que la Chine exporte son système de mesure, son appareillage et ses normes de qualité de l’air vers l’Europe. Un “made in China” focalisé sur les particules fines », complète Karine Léger avant d’ajouter : « L’erreur que les Chinois ont su éviter, c’est de se lancer dans le diesel comme nous ».
Mais le transport n’est pas la seule cause du problème. En mars 2014, le Premier ministre chinois, Li Keqiang, a déclaré la « guerre contre la pollution ». L’Empire du Milieu a annoncé juste avant la COP21 son intention de réduire de 60 % les rejets des principaux polluants de ses centrales au charbon d’ici 2020, en modernisant leurs infrastructures. Pour compléter, en janvier 2016, la fermeture d’un millier de mines de charbon a été annoncée.
Delhi, la plus polluée
Au début des années 2010, l’ambassade des États-Unis publiait sur son compte Twitter les niveaux de pollution relevés sur le toit de son ambassade à Pékin : des niveaux bien supérieurs à ceux annoncés par les autorités chinoises. L’affaire a fait grand bruit. En 2016, les Américains réitèrent, mais cette fois-ci dans la capitale indienne. Il faut dire que Delhi a été désignée en 2014 par l’OMS comme la ville la plus polluée au monde, avec des taux de pollution en PM2,5 trois fois supérieurs à Pékin.
Piquées au vif par ce triste record, les autorités régionales de la mégalopole de 16 millions d’habitants ont donc décidé d’expérimenter fin 2015, suite à un épisode persistant de smog sur la ville, la circulation alternée pendant deux semaines. Une mesure sans précédent en Inde, même si ce plan exempte les véhicules roulant au gaz naturel, les transports publics, les deux-roues, les urgences médicales ainsi que les femmes conductrices, souvent harcelées dans les transports publics. Peu de temps avant, la Cour suprême a obligé les camions voulant entrer dans New Delhi à payer une taxe écologique de 10 à 20 euros, selon le gabarit, afin d’inciter ceux qui n’ont rien à livrer à contourner la ville. Quelle a été l’efficacité de ces mesures ? Difficile à vérifier pour l’instant. L’Inde n’en est qu’aux balbutiements.
Téhéran victime d’une circulation anarchique
« À Téhéran, les mesures de la qualité de l’air existent depuis très longtemps, mais, avec l’embargo, les processus de raffinerie sont restés extrêmement polluants », explique l’ingénieur d’Airparif. Résultat : les raffineries rejettent de grosses quantités de benzène (cancérigène avéré) et de dioxyde de soufre. Dans cette ville située dans une cuvette et entourée de très hautes montagnes, la pollution issue à 80 % des gaz d’échappement des cinq millions de véhicules et motocyclettes, a tendance à s’accumuler, surtout en hiver. Mais le maire de la capitale iranienne où les transports publics sont quasiment inexistants veut prendre le problème à bras le corps. Ainsi, lors du dernier épisode de pollution fin 2015, la circulation alternée a été mise en place, les écoles primaires et les crèches fermées. Plusieurs cimenteries situées en périphérie de la ville ont dû cesser leurs activités. De plus, un plan d’action s’attaquant aux émissions des véhicules a été décidé comprenant la construction d’un métro et la rénovation de plusieurs flottes de bus. Avec la fin des sanctions économiques, les raffineries devraient être équipées de filtres performants.
Mesures drastiques à Mexico
Longtemps, la ville de Mexico fut l'une des villes les plus polluées du monde. Mais elle a pris des mesures drastiques et continue à le faire. Dernièrement, un nouvel épisode persistant de pollution l’a obligée à renforcer son dispositif. Les autorités ont décidé que les habitants devraient dorénavant laisser leur voiture au garage un jour par semaine. Une opération qui a débuté début avril et devrait se prolonger jusqu’au 30 juin. Jusqu’à présent, les voitures arborant un sticker holographique indiquant de faibles émissions pouvaient échapper à cet interdit, mais dorénavant ce ne sera plus possible.
Et en Europe ?
Zurich, la plus importante ville de Suisse, est aussi la ville européenne la plus active pour améliorer la qualité de son air. Le « Soot free cities for the climate » est un classement réalisé par l’organisation Les amis de la Terre Allemagne (Bund) des villes les plus actives pour réduire les émissions de PM10 et de NO2. Grâce à ce classement, les politiques de transport de 23 villes européennes ont été évaluées. Après Berlin en 2011, c’est au tour de Zurich en 2015 de monter sur la première marche du podium. Zurich a fait du très bon travail « avec un large éventail de mesures », juge Arne Fellermann, porte-parole de Bund.
Ainsi, la ville prévoit de dépenser 570 millions dans les transports publics, priorité de la collectivité depuis 10 ans. Elle a également décidé d’accélérer le mouvement au cours des 5 dernières années avec la création d’une nouvelle ligne de tram et une nouvelle ligne de S-Bahn (train rapide). Une seconde ligne de tram est prévue ainsi que l’électrification et l’extension de deux lignes de bus. Elle prévoit de réduire la vitesse à 30 km/h dans les zones résidentielles et à 50 km/h sur les routes principales. Pour limiter le bruit, une réduction à 30 km/h a été décidée dans une centaine de rues. Zurich promeut également les transports doux (marche et vélo) et a acté le report modal (action de remplacer un mode de transport par un autre) : de 35 % de voitures en 2005, la ville est passée à 28 % en 2012 et envisage une réduction à 24 % en 2020 pour atteindre le seuil des 20 % en 2025. Elle envisage également de convertir ses bus diesel équipés de filtres à particules en bus électriques.
Dialogue de sourds entre l’État et la ville de Paris
Janvier 2016, la Cour des comptes tire la sonnette d’alarme : la France est à la traîne pour prendre des mesures contre la pollution de l’air. Elle réclame plus d’efforts, notamment du côté de l’agriculture et des transports. Si la circulation alternée semble LA solution prisée par la majorité des grandes villes du monde en cas de pic de pollution, Paris peine à la mettre en place. Anne Hidalgo, candidate à la présidence du C40 Cities Climate Leadership Group, qui fédère 83 des plus grandes villes du monde, confiait fin mars : « J’attends encore les textes d’application de la loi de transition énergétique qui sont indispensables à la mise en œuvre d’une zone à circulation restreinte à Paris ».
La maire de Paris aimerait récupérer la compétence en matière de gestion des pics de pollution, mais l’État ne lâche rien. Entre les deux, la région Île-de-France exige d’avoir son mot à dire, car elle est régulièrement sollicitée, en tant que gestionnaire des transports publics, pendant les pics notamment pour assurer la gratuité des transports.
Le 9 avril dernier, un arrêté interministériel sur la gestion des pics de pollution a été publié, mais ne change pas l’organisation actuelle. L’État explique dans ce texte que le préfet demeure seul décisionnaire pour instaurer la circulation alternée. Une situation qui ne satisfait ni la maire de Paris ni Valérie Pécresse, la nouvelle présidente de la région. Toutes deux ont donc vivement réagi. Les collectivités locales demandent plus de pouvoir pour agir et réclament surtout que les décisions de limiter la circulation ne soient pas prises trop tard.
De son côté, l’Île-de-France a annoncé un plan d’action d’ici l’été 2016. La région souhaite mettre en place un fonds « air-bois » pour aider les Franciliens à changer leurs vieilles chaudières à bois, grâce à une enveloppe de 1 million d’euros mise à disposition dès 2016. Elle prévoit également de diviser par trois le parc automobile de la région et souhaite enfin instaurer une écotaxe régionale. « Le dispositif aura une double vertu, souligne Chantal Jouanno, vice-présidente de la région : dissuader le transit de poids lourds et financer des mesures de lutte contre la pollution de l’air en Île-de-France ».