En 1997, une quarantaine de chercheurs français tiraient la sonnette d’alarme concernant la dangerosité du diesel dans un rapport épais de 245 pages. Sur les vingt-cinq études épidémiologiques analysées, vingt-deux démontraient un risque accru de cancer du poumon chez les personnes exposées aux fumées du diesel. Sauf que cette expertise collective commandée par le CNRS n’a jamais été publiée. Il a fallu attendre que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) classe les rejets des véhicules diesel « cancérigènes certains » en 2012, et que la tricherie sur les tests de pollution de Volkswagen soit révélée en septembre 2015 pour que le lien entre diesel, pollution et santé soit réellement interrogé. Car si le temps où une fumée noire se dégageait du pot d’échappement de la voiture familiale est loin, la pollution de l’air existe toujours. Elle a changé de nature, mais n’en demeure pas moins nocive pour la santé. « Globalement, la qualité de l’air s’améliore grâce aux innovations technologiques et aux normes, mais on mesure toujours une pollution de fond, qui n’est plus industrielle, mais liée au trafic routier », observe Karine Léger, ingénieur chez Airparif, l’association de surveillance de la qualité de l’air en Île-de-France.

Moins de CO2, mais plus de NOx et de particules

La motorisation diesel relâche un peu moins de dioxyde de carbone : 123 grammes par kilomètre parcouru, contre 127 pour les véhicules essence selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Cela dit, parmi les différents polluants de l’air, en plus du CO2, les véhicules diesel sont également à l’origine de l’émission d’oxydes d’azote, les NOx – définis comme NOx = NO + NO2) – et de particules en suspension. Et cette fois, les véhicules diesel émettent cinq fois plus de NOx que les véhicules essence, et deux tiers des particules fines du trafic routier.

Qu'est-ce qu'une particule en suspension ? 

Les particules en suspension sont composées de fines matières liquides ou solides et peuvent être d’origine naturelle ou anthropique. Elles peuvent notamment être générées par les incendies, les éruptions volcaniques ou par les procédés industriels, les chauffages, les centrales thermiques, ou encore les combustibles fossiles dans les véhicules. Les particules fines se différencient notamment par leur composition chimique et par leur taille, deux facteurs qui jouent sur leur niveau de dangerosité. On distingue deux grands types de particules fines : les PM10 et les PM2, 5. Les premières sont d’un diamètre inférieur à 10 micromètres. Les dernières, plus petites, sont d’un diamètre inférieur à 2,5 micromètres et peuvent pénétrer les voies respiratoires jusque dans les poumons. 

Du côté du relargage des particules justement, l’arrivée du filtre à particules a permis de retenir efficacement les plus grosses – ce que l’on appelle les suies –, mais pas les particules fines. Or les études scientifiques sur la nocivité des particules les plus petites s’accumulent. Très volatiles et capables de pénétrer profondément dans les poumons, les particules ultrafines sont en effet de plus en plus redoutées par les spécialistes de santé publique. Les plus grosses particules, les PM10, sont arrêtées au niveau du nez, les ultrafines, elles, traversent la barrière des alvéoles pulmonaires et rejoignent le sang qu’elles rendent plus visqueux. Elles sont à l’origine de différents problèmes de santé. « Quand il s’agit de pollution de l’air, on pense à l’asthme. Mais trois quarts des effets sont cardiovasculaires : troubles du rythme cardiaque, infarctus ou encore accidents vasculaires cérébraux », explique Thomas Bourdel, radiologue membre du collectif « Strasbourg respire ».

Karine Léger, chargée de la surveillance de la qualité de l'air chez Airparif sur les enjeux liés aux diesel.
Pour comprendre l’origine des émissions polluantes, il faut explorer ce qu’il se passe sous le capot. Dans le moteur, le gazole comprimé s’enflamme. Comme l’explique Laurent Gagnepain de l’Ademe : « Avec une combustion parfaite, les produits finaux obtenus seraient de l’eau et du dioxyde de carbone. Mais cela n’existe pas. Le problème est de savoir ce qui sort du pot d’échappement. » Les gaz d’échappement contiennent de nombreux polluants, et notamment du monoxyde de carbone, des hydrocarbures non brûlés, des oxydes d’azote et des particules. Depuis 1993, des normes européennes de plus en plus contraignantes ont permis de limiter l’émission de ces polluants. Elles ont obligé les constructeurs à trouver des solutions pour diminuer les émissions. Ce fut l’arrivée du pot catalytique puis celle du filtre à particules obligatoire depuis 2009 avec la norme Euro 5. La dernière réglementation, Euro 6 remonte à septembre 2014. « On a observé une bonne adéquation entre la sévérisation des normes, la mise au point de nouvelles technologies et donc la baisse des émissions », souligne Laurent Gagnepain. 

Encore des efforts à faire...

En revanche, les oxydes d’azote n’ont plus baissé après Euro 4. « Il y a une contradiction à vouloir éliminer simultanément les carbones et les NOx. Pour éliminer les carbones, il faut être en large excès d’oxygène. Pour les NOx, il faut le contraire », explique le professeur Pascal Granger de l’université Lille 1. Cela dit, cette contrainte a été assez bien surmontée. « C’est un secteur de la recherche dans lequel les progrès ont été considérables », insiste le chercheur en chimie. Les pots catalytiques fonctionnent très bien. Un écueil cependant : ce n’est pas le cas quand le moteur est froid au cours du démarrage. C’est pourquoi l’utilisation du diesel en ville est souvent controversée, car le régime de conduite urbain ne permet pas d’obtenir une température optimale. C’est pourquoi la mairie de Paris a affiché une volonté d’interdire les véhicules diesel à l’horizon 2020, tandis que Londres songe à surtaxer les voitures diesel. À Tokyo au Japon, la lutte anti-diesel a commencé au début des années 1990 et la concentration en particules fines a chuté de 55 % entre 2001 et 2011. Les mesures antipollution prises lors des Jeux olympiques d’Atlanta et de Pékin ont eu des effets bénéfiques immédiats sur la santé de la population.

D’après la fréquentation des services d’urgence, on peut globalement distinguer deux temps après un pic de pollution. Dès le lendemain, les urgences médicales reçoivent des patients souffrant de problèmes cardiovasculaires, et quatre à cinq jours après, ceux souffrant d’asthme et de broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO). « Ce ne sont pas les pics de pollution qui posent le plus gros problème, mais l’exposition à long terme, c’est-à-dire des expositions faibles, mais qui durent tous les jours », estime Hélène Desqueyroux de l’Ademe qui mène actuellement une vaste étude sur la santé des chauffeurs de taxi parisiens. Usagers de la route par excellence, ils sont particulièrement exposés aux gaz d’échappement des voitures, et en particulier aux particules fines. « Nous avons besoin de continuer à documenter les effets sur la santé du diesel, car les véhicules changent au gré des réglementations », ajoute Hélène Desqueyroux. Et à long terme, l’exposition aux émanations de diesel est un facteur de risque reconnu de développement du cancer. Avant que son conflit d’intérêts avec l’industriel Total ne soit révélé, le pneumologue parisien Michel Aubier avait minimisé ce risque lors d’une émission de télévision. Son argument, souvent utilisé par d’autres, était que les études ayant conduit l’OMS à classer les émanations diesel comme cancérigènes en 2012 auraient été réalisées sur des professionnels particulièrement exposés. « Chaque étude pourrait être critiquée, mais la science c’est aussi de réunir les différentes évidences. Il n’y a pas une étude qui ne montre pas un lien statistique. Les preuves sont apportées par des travaux sur les populations surexposées certes, mais aussi sur l’animal et en population générale », insiste Isabella Annesi-Maesano qui dirige l’équipe « Épidémiologie des maladies allergiques et respiratoires » de l’Inserm.

Davantage de réglementations pour demain

Ceci étant, la sévérisation des normes se poursuit. D’abord, les tests d’homologation vont être modifiés. Constatant un écart de plus en plus important entre les émissions de CO2 mesurées en laboratoire au moment de l’homologation et les émissions mesurées sur route, les règles vont changer. « Prenons l’exemple d’une machine à laver : sa classe énergétique est définie pour un certain cycle à une certaine température. Pour un autre cycle à une autre température, elle est plus consommatrice d’électricité. Le fabricant présente, et c’est son droit, le cycle le plus performant pour définir sa classe énergétique. Pour les voitures, c’est la même chose », explique Laurent Gagnepain. Bien que cela soit une pratique légale, les associations dénoncent régulièrement l’utilisation des « golden cars », des voitures spécialement préparées pour l’homologation, et celle des bancs d’essai des laboratoires éloignés des conditions réelles de conduite. À partir de septembre 2017, un test en condition réelle — « Real drive emission » ou test RDE dans le jargon — sera obligatoire pour l’homologation. Cela signifie que les niveaux des émissions polluantes seront aussi contrôlés sur route. Cependant, à côté de ce durcissement des tests, le Parlement européen a validé des normes d’émissions moins exigeantes pour les oxydes d’azote. Les émanations diesel pourront dépasser de 110 % les valeurs limites réglementaires d’émission des oxydes d’azote dans les tests RDE. D'autre part, la future version de la règlementation Euro 6 imposera aussi des niveaux de dépollution similaires pour tous les véhicules, qu’ils roulent au diesel ou à l’essence. « Il est finalement assez vain de mettre en opposition les deux carburants. De notre côté, nous pensons avoir davantage besoin d’une réflexion d’ensemble sur les transports et la mobilité », note Karine Léger d’Airparif.