S’il est un domaine dans lequel l’intérêt des recherches conduites dans la Station spatiale internationale ne suscite guère de contestation, c’est celui de la physiologie humaine dans un contexte de vols habités. Et ce, pour une raison évidente : « Pour étudier l’homme dans l’espace, il faut un homme dans l’espace ! » résume Francis Rocard, responsable Système solaire au Cnes. Confinement, micro-gravité, inactivité physique et, à un moindre degré, effet des radiations, tels sont les principaux paramètres étudiés. Rien que pour la France, ces recherches, qui mobilisent une quarantaine de laboratoires, ont débouché sur 350 à 400 publications  au cours des cinq dernières années.
Les exemples d’expériences conduites en ce sens sont nombreux : mesure de la densité osseuse avant et après le vol (jusqu’à 18 mois après le retour afin d’évaluer la récupération) ; étude des raisons neurologiques pour lesquelles les astronautes évaluent mal les distances (entre eux-mêmes et le fond de la navette par exemple) ; évolution du système cardio-vasculaire… « Six mois sur l’ISS, c’est l’équivalent de plusieurs années de vieillissement sur Terre : la distribution du sang dans le corps change, la masse osseuse se dégrade, souligne Thomas Pesquet, heureusement c’est réversible ». Cet astronaute français sélectionné par l'Esa (Agence spatiale européenne) partira fin 2016 pour un séjour de six mois à bord de l’ISS. 
« Ce que nous faisons, et continuerons de faire dans un avenir proche, a pour objectif principal de préparer les vols habités lointains, indique François Spiero, responsable Vols habités et exploration au Cnes. Ainsi, deux astronautes américain et russe se trouvent actuellement dans l’ISS pour une durée d’un an au lieu des six mois habituels : « Il s’agit de mener à bien des expériences de longue durée de type mission martienne, d’ici cinq, dix, quinze ans ». 
Un exemple d’enseignement bien utile, parmi d’autres, concerne l’effet des radiations sur les astronautes : « Certains y sont très sensibles et risquent de développer un cancer, d’autres beaucoup moins, souligne Francis Rocard. C’est une découverte qui pourrait faire de la résistance aux radiations un critère de sélection des astronautes destinés à des vols habités, notamment vers Mars ».

Modifications du schéma moteur, transformations cognitives ...Comment s’affranchir de la gravité. L'expérience de Claudie Haigneré, première femme française dans l'espace. 

Des retombées sur Terre

Cela étant, les expériences conduites à 400 kilomètres au-dessus de nos têtes ont aussi des retombées sur Terre. Avec une cinquantaine d’expériences Esa/Cnes prévues, la mission de Thomas Pesquet est justement orientée vers la recherche médicale et la physiologie humaine : échographie à distance, casque de réalité virtuelle pour étudier les réactions du cerveau en état d’apesanteur avec, à la clé, une meilleure compréhension des maladies dégénératives…
Le travail effectué sur les instruments – avec des contraintes de miniaturisation et de polyvalence propres à l’ISS – peut également trouver des débouchés terrestres, notamment dans des établissements hospitaliers  ou des maisons médicalisées, à l’instar de l’échographe testé à partir de 2016 par Thomas Pesquet : « Cet outil de diagnostic à distance pourrait être utilisé dans les déserts médicaux », explique-t-il. Conçu par la Nasa pour ses astronautes en orbite, le holter, destiné à mesurer la fréquence cardiaque et la pression artérielle, est désormais utilisé de manière routinière. Un ensemble de cinq à six appareils permettant un suivi approfondi du système cardiovasculaire – et tenant dans une simple petite valise – sera aussi testé.

Responsable des sciences de la vie au Cnes, Guillemette Gauquelin-Koch estime que les retombées sur Terre des expériences physiologiques et médicales conduites sur l’ISS sont « colossales ».
Quant aux études sur les radiations, utiles pour la préparation des vols habités de longue durée, elles permettront aussi de cibler les patients susceptibles de bien répondre aux traitements de radiothérapie contre le cancer. Responsable des sciences de la vie au Cnes, Guillemette Gauquelin-Koch explique que les études conduites à ce jour ont déjà montré qu’il fallait éviter de réaliser plusieurs mammographies consécutives, afin de « laisser aux brins de l’ADN le temps de se réparer ».
Les leçons de l’ISS pourraient bénéficier à une meilleure compréhension de maladies très répandues. Aujourd’hui, par exemple, les mesures de l’ostéoporose employées dans les hôpitaux sont celles élaborées pour les astronautes. Mieux : « Grâce aux études sur le métabolisme lors d’un vol spatial – lequel représente une inactivité poussée au maximum, avec très peu de cas réels comparables sur Terre – on peut étudier comment l’obésité et le diabète s’installent », explique Guillemette Gauquelin-Koch.

Compréhension de mécanismes physiologiques, simplification et miniaturisation des instruments médicaux, préparation de vols habités au long cours : le témoignage de Claudie Haigneré. 

La matière en micro-gravité


« Lorsqu’on réalise des expériences sur Terre, on ne peut pas éliminer la gravité. Sur l’ISS, si ». C’est Thomas Pesquet qui résume ainsi l’avantage considérable de procéder à des expériences scientifiques sur la Station. Un avantage qui intéresse de nombreux secteurs des sciences de la matière : combustion, physique des fluides, fluides complexes (granulaires…), solidification, biophysique et physique fondamentale. « Et ce, avec un double objectif, insiste Christophe Delaroche, responsable du programme Sciences de la matière en microgravité au Cnes : l’étude de la physique de l’espace au service de l’espace – le comportement de la matière, des fusées et des satellites pour les vols habités – et au service de la science terrestre ». Une quarantaine de laboratoires français procèdent à des expériences en microgravité en lien avec le Cnes, soit dans l’ISS – le must – soit dans le cadre de vols paraboliques, pour préparer les expériences.

Responsable du programme Sciences de la matière en micro-gravité au Cnes, Christophe Delaroche explique l’intérêt de procéder à des expériences de sciences physiques sur l’ISS.
Voici quelques exemples d’applications sur Terre, livrées par Christophe Delaroche. Utile à la prévention des incendies dans de futurs navires spatiaux, l’étude de la combustion gazeuse permet d’optimiser le rendement lorsqu’on injecte un mélange dans un moteur d’avion ou de voiture. Autre exemple, celui de « la combustion dans les fluides supercritiques, une science toute nouvelle et bien comprise grâce à la microgravité », signale-t-il. À mi-chemin entre le gaz et le liquide, l’état dit « supercritique » est celui d’un liquide qui se comporte comme un gaz : « Les objets s’y décomposent entièrement en éléments très simples, ce qui permet de détruire des éléments toxiques comme des déchets ou des virus, et ce sans émettre de polluant ». Une propriété qui permet d’imaginer des applications dans l’élimination des déchets : bactériens sur l’ISS ou industriels sur Terre.

Un exemple parmi d’autres d’un phénomène physique intéressant à étudier sur l’ISS, celui de la solidification des matériaux.
Un autre exemple proposé par ce responsable du Cnes est celui des mousses, difficiles à étudier sur Terre car elles y sont drainées par la gravité et se transforment en eau, et qui intéressent les industries cosmétique, alimentaire etc. Pour un même volume, une mousse permet de diviser par mille la quantité d’eau nécessaire – ce qui en ferait un matériau intéressant à employer dans les avions bombardiers d’eau ou dans le béton « cellulaire », meilleur isolant thermique et de production plus économique que le béton conventionnel.

Un coût démesuré ?


Ces résultats scientifiques – notamment obtenus dans les sciences de la vie et de la matière – justifient-ils le coût de construction de l’ISS, estimé à 100 milliards d’euros ? À titre de comparaison, l’édification du LHC, l’expérience scientifique la plus onéreuse de l’histoire, a atteint 9 milliards d’euros. Dans son rapport de 2 010, déjà, Les sciences spatiales, adapter la recherche française aux enjeux de l’espace, l’Académie des sciences ne cachait pas sa perplexité : « La justification de l’extension de l’utilisation de la Station spatiale internationale [au moins jusqu’à 2020 (…)] ne peut pas être fondée sur sa seule utilité pour la recherche ». En outre, l’espoir, caressé aux débuts de l’ISS, de la fabrication de médicaments et matériaux nouveaux (semi-conducteurs notamment) grâce aux recherches en microgravité ne s’est nullement concrétisé. Si bien que les industriels n’ont jamais investi de manière significative dans ces deux secteurs qui paraissaient pourtant les plus prometteurs.
Et pour cause : « L’ISS n’a pas été conçue à des fins scientifiques, souligne François Spiero, le programme scientifique de l’ISS est donc un programme d’accompagnement. Si on avait souhaité construire une station purement décidée à la science, on aurait fait moins grand, moins volumineux, moins complet et au final, moins coûteux ».

Responsable vols habités et exploration au Cnes, François Spiero rappelle que le programme scientifique de l’ISS est un simple « programme d’accompagnement ».
Cela étant, et même si « rien ne justifie une dépense aussi élevée du point de vue scientifique, les investissements étant réalisés, on se doit d’utiliser l’outil », commente avec philosophie François Spiero. Mieux : « On doit reconnaître que l’ISS ne coûte plus grand-chose à la France ni à l’Europe, puisque l’investissement est amorti – un peu comme avec une vieille voiture », résume Bernard Zappoli, l’ancien responsable du programme Déclic (Dispositif d’étude de la croissance et des liquides critiques) au Cnes. L’ISS coûte aujourd’hui à la France quelque 90 millions d’euros par an (Les enjeux et perspectives de la politique spatiale européenne). Un autre cadre de l’industrie spatiale se montre plus sévère : « À partir du moment où l’Europe a investi – avec le laboratoire Colombus et le cargo spatial ATV – on se doit d’utiliser l’ISS ; du coup, on y envoie un peu n’importe quoi ». 

Ancien responsable du programme Déclic au Cnes, Bernard Zappoli rappelle le contexte géopolitique dans lequel l’ISS est apparue.
En outre, si des outils alternatifs existent pour conduire des recherches en microgravité, ils ne sont pas disponibles de manière systématique. En sciences physiques, par exemple, des expériences peuvent être conduites de manière automatisée sans présence de l’être humain lors de vols suborbitaux ou dans des satellites ad hoc tels que les capsules russes dites Fotons. « On pourrait ainsi, explique Bernard Zappoli, mettre en orbite trois semaines un satellite automatique contenant 400 kilogrammes de manipulations embarquées grâce à une fusée du type fusée Soyouz ou Ariane 4 ».
Ces solutions seront peut-être employées de manière systématique à l’avenir. En attendant, s’il fallait payer la construction et le lancement d’un réseau de satellites ad hoc, ce serait beaucoup plus coûteux que l’ISS, car « il faudrait réorganiser toute la recherche en microgravité ! » indique Christophe Delaroche. En outre, l’ISS est la seule plateforme actuellement adaptée à une large gamme d’expériences – de moyenne à longue durée – et elle autorise la présence d’êtres humains à bord, capables donc d’adapter ou de corriger les expériences si nécessaire. Ce constat s’étend aussi aux sciences de la vie, comme l’explique Pierre Boutouyrie, cardiologue à l’hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP) et chercheur (Inserm/Paris-Descartes).

Bed-rest et autres méthodes alternatives au séjour dans l’ISS restent imparfaites pour étudier les effets de l’impesanteur sur l’organisme, explique Pierre Boutouyrie, cardiologue à l’hôpital européen Georges-Pompidou.  

ISS : 8 milliards pour l’Europe

L’ISS a coûté quelque 100 milliards d’euros, dont 8 milliards pour l’Europe, soit, d’après l’ESA, 1 euro par Européen et par an (pendant 30 ans). Près de 90 % du coût de la contribution européenne à l’ISS est supporté par l’Allemagne (41 %), la France (28 %) et l’Italie (20 %). Source : Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, Les enjeux et perspectives de la politique spatiale européenne, 7 novembre 2012

L’ISS, et après ?

L’ISS constitue aussi un outil indispensable pour l’exploration spatiale. Que se passera-t-il au cours des prochaines décennies ? Une plateforme à vocation purement scientifique est-elle prévue ? « D’ici dix ans, le paysage aura complètement changé, prévoit François Spiero. L’ISS ne fonctionnera plus ; située en orbite basse, la Station spatiale chinoise, elle, entrera en service vers 2022. Et une ribambelle d’acteurs privés s’apprête à construire diverses stations, allant de missions purement scientifiques à des missions purement touristiques, en passant par toute une gamme intermédiaire ».
Le candidat le plus sérieux à la succession de l’ISS est la mini-station spatiale cis-lunaire (située à un point d’équilibre entre la Terre et la Lune) que projette de construire d’ici une dizaine d’années l’ISECG (International Space Exploration Coordination Group), qui regroupe la quasi-totalité des grands acteurs du monde spatial (Nasa, agence russe Roscosmos, Esa, Jaxa japonaise). Et là encore, ce ne sont pas les critères scientifiques qui président à sa conception : « Le postulat de base, c’est qu’il faut explorer la Lune, Mars et peut-être un jour d’autres destinations, un peu pour des raisons scientifiques, mais au moins autant pour d’autres considérations : politiques, techniques, industrielles, commerciales, psychologiques – la fameuse frontière humaine », précise François Spiero. Une fois n’est pas coutume : l’outil construit, les scientifiques seront probablement heureux de s’en saisir… Elle présentera d’ailleurs l’avantage d’être située dans un champ intense de radiations – contrairement à l’ISS, protégée des rayonnements cosmiques par les ceintures de Van Halen, ce qui ouvrira à la recherche un large champ d’investigations nouvelles.

Explorer l’espace autrement ?

L’estimation du coût des voies alternatives de l’exploration spatiale par Bernard Zappoli permet de relativiser celui de l’ISS :

  • développement d’une capacité européenne autonome de vols habités : 10 à 15 milliards d’euros (10 à 11 ans) ;
  • construction d’un module européen visitable en orbite basse : 10 milliards d’euros (délai : 14 ans) ;
  • mission européenne habitée sur la Lune (développement d’un lanceur lourd type Saturne-5) : 60 à 80 milliards d’euros (délai : 24 ans) ;
  • participation d’un astronaute européen à une mission de routine vers la Lune avec les États-Unis, deux fois par an (si tant est que les États-Unis développent à nouveau un programme en ce sens) : 500 millions 1 milliard d’euros ;
  • mission automatique de retour d’échantillons martiens : 3 à 4 milliards d'euros.