Le 27 novembre 2012, au Kamchatka, en Russie, le volcan Tolbachik se réveille. Pour l’Américain Ben Edward, du Dickinson College de Pennsylvanie et ses collègues russes, l’éruption de ce volcan offre l'opportunité unique d’étudier en finesse les interactions entre la lave et la glace. Actuellement, un tiers des volcans actifs, soit environ 500 volcans, ont leurs pentes enneigées durant hiver. Pourtant, très peu d'entre eux ont été étudiés, ce qui fait que les interactions entre la lave et la glace sont mal connues. Pendant quatre mois, de décembre 2012 à avril 2013, les chercheurs se sont installés sur le flanc sud du volcan et ont pu observer à loisir les coulées de lave rejetées par les différentes fissures. Leurs observations viennent tout juste d’être publiées dans la revue Nature communication.

De la lave en surface et en profondeur

Pour étudier l’écoulement de la lave, les chercheurs ont adopté une technique plutôt originale. La lave se déroulant lentement, ils ont creusé des fosses pour observer en coupe l'interaction entre la lave et le manteau neigeux. Pour évaluer les températures mises en jeu, ils ont utilisé des caméras infrarouges et des sondes thermocouples. En surface, les chercheurs observent tout d’abord une coulée de type a’a. Ce terme hawaïen désigne un type de lave fluide s’écoulant généralement à haute température (de 1 000 à 1 100 °C). Cette lave se solidifie rapidement. Puis elle prend un aspect de croûte, formant ainsi un terrain semi-désertique. Mais les fosses révèlent que la lave s’écoule également dans et sous le manteau neigeux. C’est une lave très fluide, dite Pahoehoe – autre terme hawaïen- qui progresse jusqu’à deux mètres sous la surface.

Dans les deux cas, les chercheurs s’aperçoivent que les échanges thermiques entre la lave et la glace sont très lents, et qu'au final, la neige fond d'une manière étonnamment lente. Concernant la lave de surface, l'explication se trouve dans le fait que la neige est peu dense, riche en air, et donc relativement isolante. Dans un premier temps, la lave, avant de refroidir et de former une croûte, fait ainsi fondre une très faible quantité de neige. Quant à la lave Pahoehoe, le flux se déplace comme dans un tunnel entre deux croûtes solidifiées. La lave est ainsi isolée du manteau neigeux, et la propagation de la chaleur s'en trouve ralentie.

De la prévention à l'étude des climats passés


Ces travaux devraient permettre de prévenir plus efficacement les risques liés aux éruptions volcaniques. Les dégâts causés par de violentes coulées peuvent en effet être la cause de véritables catastrophes. Les « courses glaciaires », des inondations brutales et destructrices, sont causées en Islande par des éruptions volcaniques sous-glaciaires. Une éruption a aussi été à l’origine de la tragédie vécue par la Colombie en 1985, lorsque la ville d’Armero et 23 000 de ses habitants ont été ensevelis sous un lahar de huit mètres de haut. Son origine : la fonte de la calotte glaciaire sous la chaleur du magma du Nevado del Ruiz.

 Les lahars, des coulées dévastatrices
Plus meurtrier que la lave et que les nuées ardentes, ces coulées de boue visqueuses et très lourdes sont dévastatrices. Parcourant des dizaines de kilomètres à grande vitesse, elles emportent tout ce qui se trouve sur leur passage. Les lahars peuvent se former lorsque d’importantes pluies tombent sur des dépôts volcaniques, mais aussi lors de la fonte rapide de glace ou de neige due à la chaleur de l’éruption.

Au-delà de la prévention, ces travaux ouvrent de nouvelles perspectives, notamment pour l'étude des climats anciens. Car les chercheurs ont montré que les interactions entre la glace et la lave laissaient des traces clairement identifiables. Les retrouver dans les couches géologiques permettrait d'associer certaines roches volcaniques à des périodes de glaciation. Cela aiderait à reconstituer le climat passé de la Terre... mais aussi de Mars, planète volcanique où ce même type d’interactions a pu exister.