Parmi les nouvelles molécules anticancéreuses mises sur le marché entre 2004 et 2012, 40 % sont des thérapies ciblées. La connaissance moléculaire détaillée des tumeurs constitue en effet un atout capital pour expliquer pourquoi deux patients présentant la même pathologie peuvent répondre de manière différente à la même thérapie. C'est dans cette perspective que l’utilisation d’implants dans les tissus tumoraux de patients pourrait se révéler efficace : elle permettrait de disposer à petite échelle des réponses tumorales aux traitements et donc de sélectionner le traitement le plus efficace dans chaque cas.

Pour cela, des chercheurs de deux équipes américaines ont mis au point deux dispositifs très similaires, implantables in vivo, qui libèrent directement dans la tumeur des molécules anticancéreuses. L'étude, publiée le 22 avril 2015 dans la revue Science Translational Medicine, montre qu'il est possible après analyse de déterminer laquelle de ces molécules sera la plus efficace pour débuter en clinique un traitement par chimiothérapie.

In vitro et in vivo
Il n’est pas possible de reproduire in vitro l’environnement exact dans lequel se développe une tumeur dans le corps humain. Les modèles cellulaires utilisés, les conditions d’hypoxie (manque d'oxygène dans le milieu) ou d’acidité présentes in vivo peuvent en effet perturber l’action des médicaments sans que ce soit nécessairement le cas en laboratoire. D'où l'intérêt de tester les molécules en conditions réelles, c'est-à-dire in vivo. De plus, les tumeurs sont généralement hétérogènes, constituées de différents types cellulaires, qu'on ne retrouve pas forcément dans le milieu de culture d'une boite de Pétri. 

Un premier dispositif innovant


Développé par une équipe du Massachusetts Institute of Technology (MIT), le premier dispositif, long d’à peine trois millimètres, est une sonde rigide creusée de 16 petites cavités dont chacune contient un échantillon de médicaments seuls ou en combinaison. Il existe trois moyens de faire diffuser les molécules contenues dans la capsule : en modifiant la taille de la capsule, la formulation de la matrice ou en utilisant un hydrogel. Cette sonde est injectée à l'aide d'une seringue à biopsie directement dans la tumeur.
Au terme de 24 heures d’exposition, le dispositif est retiré ainsi qu’un petit échantillon de tissu tumoral. L’effet de chaque médicament est ensuite évalué en laboratoire. Les chercheurs ont utilisé des modèles de souris exprimant des cancers humains (prostate, sein et mélanome). Résultat : non seulement le dispositif a montré son utilité, mais en plus les chercheurs ont été surpris de constater l’efficacité de certaines combinaisons médicamenteuses.

Le Civo testé sur des lymphomes

 
Élaboré par la société nord-américaine Presage Biosciences, le second dispositif, nommé Civo, comporte à sa base des aiguilles qui permettent de réaliser simultanément jusqu’à huit micro-injections de médicaments en des points espacés de la tumeur. Il peut rester en place sur le patient avant d'être retiré pour analyse un à trois jours après la pose. Il est adapté aux tumeurs superficielles, contrairement au premier dispositif qui peut être inséré dans les zones profondes. Il a été testé dans l'étude sur des modèles de lymphomes humains transplantés sur des rongeurs et des chiens.
Un des avantages du Civo est que les injections peuvent être réalisées alors même que les aiguilles sont, progressivement, retirées. Les médicaments sont ainsi diffusés sur toute la profondeur de la tumeur. Comme ces masses sont généralement très hétérogènes (composées de cellules cancéreuses présentant des mutations distinctes), les biologistes peuvent observer les interactions chimiques avec une vaste gamme de cellules.
Cette première expérience a permis de perfectionner le dispositif. Un essai clinique avec le Civo est en cours aux États-Unis, au Seattle Cancer Care Alliance, qui inclut pour l'instant 12 patients atteints de lymphome (mais de nouveaux patients devraient le rejoindre). Cet essai clinique devrait se terminer en novembre 2015, date à laquelle les premiers résultats seront connus. S'ils sont concluants, ces outils de prévision thérapeutique pourraient un jour faire l'objet d'une utilisation courante en clinique.

Explications sur le dispositif Civo fabriqué par l'entreprise Presage Biosciences.