Comportement hormonal

Les femmes seraient-elles aussi sexistes que les hommes ? © Library of congress

« Qu'est-ce qui lui prend aujourd'hui ? » « J'en sais rien... ça doit être ses hormones. » Miracle des codes culturels, nul besoin d'ajouter quoi que ce soit pour que chacun comprenne que le sujet de ce dialogue est… une femme. Comme si des deux représentants du genre humain, seule la gent féminine se trouvait être à la merci de ces agents de communication interne que l'on appelle hormones. C'est oublier un peu vite, messieurs, ce qui vous donne du poil au menton à la puberté et vous fait perdre la superbe de votre chevelure quelques années plus tard. Une hormone là aussi, celle-là même qui gouverne vos pulsions sexuelles et qui, pour cette raison, est appelée testostérone (mot résultant de la contraction de testicule, stérol et hormone).

Dans l'imaginaire collectif, la testostérone est souvent associée à la survenue de comportements agressifs, risqués, égoïstes ou antisociaux. Une idée qui, dès les années 1990, a trouvé un écho tout particulier dans les cours de justice américaines puisque des criminels se sont mis à plaider la « rage induite par une bouffée de testostérone » pour expliquer leur passage à l'acte. Une folie hormonale dont la possibilité est établie en 1995. A l'époque, une étude menée sur 692 prisonniers montre que ceux ayant tué ou violé présentent des taux de testostérone plus élevés que ceux ayant volé ou pris de la drogue (J. M. Dabbs et al., Pers. Individ. Dif, 1995). « C'est le problème... on trouve toujours ce que l'on cherche, réagit Gérard Leboucher, chercheur à l'université de Paris 10. Sauf qu'en l'occurrence, l'influence de la testostérone sur le comportement humain est très loin d'être comprise. »

Rat, femme et testostérone

Et pour cause : tout ce qui est soi-disant de notoriété publique concernant l'impact comportemental de la plus virile des molécules repose presque exclusivement sur des expériences menées sur… des rats (D.A. Edwards, Physiol. Behav. 1969). Et s'il est vrai que hommes et rongeurs partagent plus de 90% de leur ADN, il semble quand même aventureux de pousser l'analogie trop loin. D'où l'idée d'une équipe européenne : tester directement l'influence de l'hormone sur le comportement humain (C. Eisenegger et al. Nature, doi : 10,1038/nature08711). Mais pas sur n'importe quel type d'humains : sur des femmes, 120 au total. Un choix inattendu que l'équipe – presque entièrement masculine – justifie par le fait que, chez les hommes, les taux de testostérone sont trop forts et variables. Il faudrait leur donner des quantités colossales de testostérone pour influencer leur comportement. Avec les femmes, point d'écueils de ce genre. Si les belles sécrètent bien un peu de testostérone, les concentrations en circulation sont trop faibles pour nuire à l'expérience.

Avec un surplus de testostérone, les femmes sont plus altruistes... Voici les résultats du premier test avec en abscisse le nombre de pièces proposées par le premier joueur et en ordonnée la fréquence de cette proposition. Ici, proposer 5 pièces correspond à un partage équitable. En proposer moins correspond à un comportement risqué. © C. Eisenegger et al.

Fort de cette trouvaille conceptuelle, l'équipe a donné à 60 femmes une pilule à faire fondre sous la langue. Dans la moitié des cas, il s'agissait d'un concentré de testostérone, dans l'autre, d'un placebo. Pour autant, les cobayes n'ont aucune idée de la nature éventuelle de la substance absorbée. Quatre heures plus tard, les chercheurs ont demandé aux cobayes de se prêter à un jeu d'argent basé sur le principe de l'ultimatum et visant à jauger les comportements sociaux. Ses règles sont simples : deux joueurs, dix pièces d'argent. L'un des joueurs décide d'un partage, plus ou moins équitable, de la somme. Si l'autre accepte le marché, la distribution a lieu selon le bon vouloir du premier joueur, mais s'il refuse, personne ne reçoit d'argent. Le résultat attendu, c'est qu'un excès de testostérone fasse émerger un comportement risqué et donc que le premier joueur se mette à proposer des offres particulièrement déséquilibrées.

Préjugés, quand tu nous tiens...

En croyant prendre de la testostérone, les femmes expriment des comportements plus risqués. Voici les résultats du deuxième test avec en abscisse le nombre de pièces proposées par le premier joueur et en ordonnée la fréquence de cette proposition. Ici, proposer 5 pièces correspond à un partage équitable. En proposer moins correspond à un comportement risqué. © Eisenegger et al.

Oui mais voilà, si les hommes ne se comportent pas comme des rats, les femmes encore moins. La preuve : les dames dopées à la testostérone semblent plus altruistes que les autres : elles proposent en effet plus souvent cinq pièces à leur partenaire de jeu. Mais ce n'est pas tout... Les chercheurs européens ont poussé le bouchon un chouïa plus loin : ils ont réitéré l'expérience avec 60 autres femmes mais en prenant soin, cette fois, de préciser que la pilule à glisser sur la langue était un concentré de testostérone. Résultat : adieu comportements altruistes, bonjour offres déséquilibrées, risquées, viriles. En deux temps, trois mouvements, les demoiselles ont donné corps aux comportements observés chez les rats dopés à la testostérone. Les clichés populaires sont devenus réalité sans qu'aucun cobaye ne biaise l'expérience consciemment.

Un fait qui n'étonne en rien Gérard Leboucher. « Il est très facile de s'identifier inconsciemment aux stéréotypes en vigueur dans la société. Faites passer un test de culture générale ou de mathématiques à un groupe de femmes. Puis recommencez en demandant aux dames d'écrire au préalable la couleur de leurs cheveux et vous constaterez que les blondes auront de moins bons résultats. Et ce juste parce que dans le second cas, les cobayes ont eu à se définir comme blondes, femmes qui, dans l'imaginaire collectif, manquent d'intelligence. » De quoi reconsidérer la pertinence des sondages d'opinion, tests réalisés auprès d'individus devant au préalable se ranger dans un certain nombre de catégories sociales.

Une hormone altruiste ?

Mais reste quand même un fait étrange : comment expliquer que la testostérone puisse enclencher des comportements altruistes, fût-ce chez les femmes ? « La réponse n'est pas simple, réfléchit Gérard Leboucher. Il est possible que chez l'homme, le rôle de la testostérone soit de réduire l'anxiété ou de faciliter la levée de certaines inhibitions. Dans ces cas-là, il pourrait tout autant déclencher des comportements altruistes ou risqués. » Une hypothèse qui pointe toutes les incertitudes subsistant autour de l'influence de la testostérone sur le comportement humain. À l'heure où l'idée d'une castration chimique – traitement visant à réduire les taux de testostérone – est proposée comme solution viable pour les délinquants sexuels, ce flou soulève une interrogation : est-il bien raisonnable d'utiliser un préjugé établi il y a quarante ans sur des rats pour fonder une solution pénale ?