En 2005, dans le lit d’une rivière, à côté d’une petite ville de l’est de la province du Cap, le paléontologue sud-africain Billy De Klerk et son équipe mettent au jour le squelette d’un dinosaure particulièrement bien conservé. Pour l’identifier, le fossile est extrait précautionneusement et les os nettoyés. Il s’agit d’Heterodontosaurus tucki, un petit dinosaure herbivore vieux de 200 millions d’années, un spécimen d’autant plus intéressant qu’il s’agit du fossile le plus complet jamais découvert pour cette espèce. « Nous étions là au bon moment, au bon endroit, se réjouit Billy De Klerk. Quelques années de plus dans ce lit de rivière, et le fossile aurait été définitivement emporté. » 

Mais les paléontologues se heurtent à une difficulté particulièrement frustrante : le squelette trop petit, mais aussi trop fragile du fait de la compacité de la roche qui l’entoure, empêche les scientifiques d’étudier finement son anatomie.

Sonder sans détruire

Pour aller plus avant dans l’exploration du fossile, une solution s’impose alors : faire appel au synchrotron européen de Grenoble. L’ESRF (European Synchrotron Radiation Facility) est à même de produire les rayons X à haute énergie nécessaires à la technique de microtomographie à contraste de phase (micro CT) dont l'intérêt est de pouvoir explorer l'intérieur des matériaux sans les détériorer. En outre, l'ERSF possède une solide expérience dans l'étude des fossiles (Toumaï, Sediba, etc.).

En passant le fossile aux scanners du synchrotron, l’équipe de Jonah Choiniere, paléontologue à l’Université de Witwatersrand à Johannesburg (Afrique du Sud), compte bien en savoir plus sur ce petit dinosaure, son régime alimentaire, son mode de déplacement... En collaboration avec Vincent Fernandez, paléontologue de l’ESRF, l’équipe sud-africaine vient ainsi de passer cinq jours – du 21 au 26 juillet – à Grenoble pour scanner l’animal sous tous les angles. Étudier un dinosaure dans son ensemble constitue une première pour l’ESRF (si l’on exclue le scan d’un archéoptéryx) : face à la rareté de fossiles complets, les scientifiques se contentent habituellement de parties isolées de fossiles.

Dans le cas présent, l’une des difficultés tient au fait que les os fossilisés et la terre qui les entoure ont une densité équivalente. La qualité de la lumière produite par le synchrotron permet néanmoins d’obtenir des images contrastées et de distinguer des éléments habituellement invisibles. Résultat, le fossile est comme virtuellement déterré. « Cette technique de tomographie a véritablement révolutionné la paléontologie, note Kathleen Dollman, une des membres de l’équipe. Elle permet dorénavant de mieux comprendre la biologie des animaux disparus. »

Des scans révélateurs

Après cinq jours de « scans », l’équipe de Jonah Choiniere a pu découvrir des images étonnantes et en tirer les premiers enseignements. Les os du crâne ne sont pas soudés solidement. Ce qui indique, explique Jonah Choiniere, que c’est un jeune dinosaure. Les ouvertures dans le crâne agissant sur les organes de l’équilibre sont aussi bien visibles.

« Cela nous apprend comment il tenait sa tête, comment il bougeait, c’est le genre de données impossible à obtenir avec une vue 2D », s’enthousiasme le scientifique. Et grâce à la qualité des images obtenues, une reconstitution 3D de ce crâne va pouvoir être envisagée.

La coopération en paléontologie entre l’ESRF et l’Afrique du Sud, pays « scientifique associé » n’est pas nouvelle. « Les roches du Karoo en Afrique du Sud ont révélé par le passé un grand nombre de fossiles de grande qualité, explique Vincent Fernandez. Depuis notre association, nous avons pu scanner un grand nombre de fossiles et travailler sur des projets complexes ». L’année dernière, par exemple, ce sont des œufs d’un des plus vieux dinosaures au monde qui ont pu passer au rayon X du synchrotron.