Pithovirus Sibericum, le plus gros virus jamais découvert Image colorisée d'une coupe de Pithovirus sibericum observée en microscopie électronique à transmission.Ce virion est d’un diamètre de 0,5 micromètre et long de 1,5 micromètre, ce qui en fait le virus le plus gros jamais découvert jusqu'à maintenant. © Julia Bartoli et Chantal Abergel, IGS, CNRS/AMU

La chasse aux virus géants ouverte depuis plusieurs années porte à nouveau ses fruits. Un spécimen vient d’être exhumé des sols gelés de Sibérie. Identifié grâce à la collaboration d’équipes françaises et russes dirigées par Jean-Michel Claverie et Chantal Abergel du Laboratoire information génomique et structurale (IGS) de Marseille, Pithovirus sibericum rejoint la famille des virus géants. Cette dernière inclut donc désormais les Megaviridae – dont le représentant le plus connu est le Mimivirus découvert en 2003 – et les Pandoraviridae, découverts par la même équipe en juillet 2013. Les résultats ont été publiés dans la revue Pnas du 3 mars 2014.

Un virus inconnu jusque-là

Mimivirus, le premier virus géant découvert Les chercheurs du Laboratoire information génomique et structurale (CNRS, Marseille) participent en 2003 à la découverte, chez une amibe, du plus grand virus à ADN jamais recensé à l’époque, Mimivirus. En 2004, ils analysent son génome et y trouvent des gènes inhabituels chez les virus. Mimivirus, membre de la famille des Mimiviridae, parasite l'amibe commune Acanthamoeba polyphaga. Plus gros que bien des bactéries, il compte dans son génome près de 1.000 gènes. © CNRS/ D. Raoult, N. Aldrovandi.

L’étude d’un échantillon extrait du pergélisol provenant de la région de la Kolyma, dans l’extrême nord-est de la Sibérie, est à la source de cette découverte surprenante. Avant d’être ramené à la vie et répliqué dans le laboratoire marseillais, Pithovirus Sibericum dormait à plus de 30 mètres de profondeur dans une couche géologique datée du Pleistocène supérieur, vieille de 32.000 ans.

Les scientifiques russes qui ont fourni le fragment de tourbe étudient depuis plusieurs décennies les plantes et microorganismes du pergélisol. Ils se sont donc spécialisés dans le prélèvement stérile de tels échantillons conservés à -80°C. Pour vérifier si l’échantillon contient un virus potentiellement actif, les biologistes utilisent des amibes constituées d’une seule cellule, que l’on trouve fréquemment dans les sols, mares et cours d’eau. Ces amibes se nourrissent de bactéries. Grâce à un système mis au point par les chercheurs, les virus se font passer pour des bactéries auprès des amibes qui les dévorent. Si les virus contenus dans l’échantillon sont capables de les infecter, ils sont produits par millions par la cellule mourante.

Pandoravirus salinus, un virus géant possédant plus de 2.500 gènes En 2013, déjà découvreurs des virus géants Mimivirus et Megavirus chilensis, des chercheurs français de l’université d’Aix-Marseille ont enrichi leur trésor. Ils ont mis la main sur deux nouveaux virus géants encore plus complexes au plan génomique, avec respectivement plus de 1.100 et 2.500 gènes. D'un diamètre proche du micron, leur taille rivalise avec celle de certaines cellules eucaryotes (à noyau). Pandoravirus salinus (sur la photo) a été repéré sur les côtes chiliennes et Pandoravirus dulcis, dans une mare d’eau douce près de Melbourne (Australie). Ils sont les premiers représentants du genre Pandoravirus, dont le nom renvoie à leur forme d'amphore et à leur contenu génétique énigmatique. © IGS CNRS-AMU

Mais le virus venu du froid réserve d’autres surprises aux scientifiques. D’un diamètre de 0,5 micromètre et long de 1,5 micromètre, c’est le plus gros jamais découvert. Il fait donc partie de la catégorie des virus géants, visibles au microscope optique. Plus grand en taille que Pandoravirus, le détenteur du précédent record, il possède, comme lui, une enveloppe en forme d’amphore.

Dans un premier temps, cette observation oriente les chercheurs sur la piste d’un ancien Pandoravirus. Mais l’analyse génomique infirme cette hypothèse, puisqu'aucune parenté génétique n’est démontrée. Pithovirus contient beaucoup moins de gènes – environ 500 – que les Pandoravirus – jusqu'à 2.500, soit le plus grand génome viral connu à ce jour. De plus, sur la centaine de protéines le constituant, Pithovirus n’en partage que deux avec l’autre géant.

Un potentiel infectieux intact

Autres constats : le génome plus modeste du nouveau venu et son mode de réplication le rapprochent de celui des Megaviridae. La multiplication du virus se déroule dans le cytoplasme, en-dehors du noyau de la cellule infectée de l’amibe Acanthamoeba. Il se propage donc plus facilement.

Mais ce n’est pas pour autant que ce nouveau spécimen appartient à l’une ou l’autre des familles précédemment découvertes. En effet, une analyse approfondie révèle que Pithovirus possède des caractéristiques suffisamment originales pour que les scientifiques le classent dans une nouvelle famille de virus géant.

En dépit de sa congélation prolongée, Pithovirus a conservé tout son potentiel infectieux. Pas de crainte à avoir, cependant : comme tous les virus géants étudiés jusqu’à ce jour, il n’infecte qu’un genre d’amibe.

Cela étant, la découverte d’un virus inconnu, actif après 30.000 ans passés dans le sous-sol d'une région arctique, pose question. En effet, l'Arctique est très sensible au changement climatique et fait l’objet d’une exploitation intensive de ses ressources minières et en hydrocarbures. Comme la résurgence de virus actifs mis au jour par la fonte du pergélisol constitue désormais un scénario tout à fait envisageable, l'identification de ces nouveaux organismes prend tout son sens.