Une nouvelle géothermie aux portes de Paris
Un grand réseau de chaleur alimenté par géothermie fournit la banlieue parisienne sud en chauffage. À l'occasion de son trentième anniversaire, des travaux de réhabilitation sont en cours. L’occasion d’innover avec des tubes en fibre de verre. Reportage à Chevilly-Larue et à Villejuif.
Sophie Félix - Publié le
La Terre cache en son sein une incroyable puissance. Il n’y a qu’à voir les geysers où une eau à 200 °C jaillit sous pression ! En général, l’eau récupère cette chaleur des structures volcaniques. Mais une autre forme de chaleur peut être utilisée : la géothermie, c’est-à-dire la chaleur produite par le centre de la Terre, une énergie propre et renouvelable. L’Homme creuse des forages pour pomper les réserves d’eau souterraines, naturellement chauffées par le cœur actif de notre planète. La chaleur récupérée est ensuite distribuée dans de larges réseaux qui alimentent des logements, des piscines ou des bureaux. Le plus grand réseau d’Europe se trouve en région parisienne. Et il fait peau neuve.
Le plus grand réseau d’Europe
Le réseau qui alimente les villes de Villejuif, L’Haÿ-les-Roses et Chevilly-Larue, au sud de Paris, chauffe l’équivalent de 30 000 logements, soit environ 100 000 personnes. Il puise son eau dans une couche géologique qui date du Dogger, ou Jurassique moyen, formée il y a 170 millions d’années. Une ressource exceptionnelle, à la mesure de la demande de la dense population parisienne. Sur l’ensemble du réseau, le recours à la géothermie évite de relâcher dans l’atmosphère quelque 36 000 tonnes de CO2 par an, l'équivalent des émissions de 4 000 véhicules.
Les puits s'enfoncent à près de 2 000 mètres de profondeur. Le puits de production fournit une eau de température moyenne. Au départ du réseau de chaleur, l'eau se trouve à 68 °C en été. En hiver, la demande de chaleur étant plus élevée, un chauffage au gaz soutient la géothermie et l'eau de départ du réseau atteint une température de 100 °C. À raison d'une perte de 0,2 °C par kilomètre de réseau, l’eau est réinjectée par le second puits à seulement 35 °C.
Acier ou fibre ?
Les tuyaux de forage sont en acier, une matière qui supporte mal la composition chimique de l’eau souterraine : ils se corrodent progressivement. Les risques de fuite s'aggravent, ce qui représente un danger pour l’environnement, ce d’autant plus que des produits chimiques sont ajoutés à l’eau pour freiner cette corrosion. À l’occasion des 30 ans du forage de Chevilly-Larue, l’entreprise CFG Services, qui en a la charge, a donc décidé de renouveler ces tuyaux. Elle est même allée plus loin, en installant les premiers tuyaux en fibre de verre de France.
La fibre de verre, en effet, ne se corrode pas, ce qui permet de réduire l’usage de produits chimiques et donc les risques environnementaux en cas de fuite. Elle ne supporte pas de température supérieure à 105 °C mais, à Chevilly-Larue, la température de l’eau ne dépasse pas 64 °C en sortie des tuyaux. Comme il s'agit d'un matériau fragile, les nouveaux tubes en fibre ont été installés à l’intérieur des tubes en acier déjà présents. Les chocs contre la roche ont ainsi pu être évités lors de la pose.
Trois mois de travaux ont été nécessaires. Une grande machine a dû être installée, là où un espace vide ressemblant à un parking marque normalement le forage. Elle a dû être adaptée au nouveau type de tuyaux : la masse à descendre étant plus légère, il a fallu la rendre capable de pousser plus que de retenir.
Un chantier bruyant et délicat
Les nouveaux tuyaux sont maintenant en place. Restait une étape délicate : percer le bouchon de ciment destiné à empêcher l’eau chaude de remonter le long des tuyaux pendant les travaux. Pour cela, des tiges ont été introduites dans les puits pour y verser un mélange de boue et d’eau, qui actionne des molettes de forage attaquant progressivement le ciment, avant de remonter chargé de débris de ciment. La géothermie est une énergie renouvelable jusqu’au bout : ce mélange peut ensuite être réutilisé, par exemple dans des travaux de voirie.
Les puissantes vibrations créées par cette opération sont responsables du bruit assourdissant qui enveloppe le site. Une gêne temporaire, au grand soulagement des voisins... Pour limiter le dérangement, les équipes ont renoncé à travailler en trois-huit comme lors du forage initial, lorsque la ville ne s'était pas étendue jusqu'à cette zone.
Après une première mise en service fin août à Chevilly-Larue, un chantier similaire de réhabilitation démarrera à L’Haÿ-les-Roses, pour un coût total de 2 millions d’euros. Cependant, comme les nouveaux tuyaux sont installés à l’intérieur des anciens, le diamètre utile a diminué. Le débit d’eau disponible est donc plus faible, ce qui peut avoir des répercussions sur le chauffage des logements alimentés. Pour pallier ce défaut, un nouveau forage a été effectué dans la région, à Villejuif.
Un nouveau forage à Villejuif
Au chantier de Villejuif, tout est terminé en sous-sol. Creusés il y a un an, les puits de 1 700 mètres de profondeur reposent sous leur grille de protection. Mais le terrain est une ancienne carrière de gypse et quelques cavités doivent être rebouchées. Camions et pelleteuses se succèdent sur ce site bien plat. Après les travaux de stabilisation du site, le bâtiment accueillant l’échangeur de chaleur sera construit. Une salle pédagogique et un toit végétalisé sont également prévus d’ici un an. Les premiers tests sont envisagés en avril prochain, pour une mise en production en fin d’année. À terme, ce nouveau forage devrait compenser la perte de débit des autres puits, suite aux travaux de réhabilitation. Dix mille logements supplémentaires pourraient même profiter du réseau agrandi : quelques-uns sont en cours de construction autour du forage.
Terrain connu et innovations
Ce nouveau forage aura des tubes en acier, avec, à l'intérieur, des tubes en fibre de verre comme à Chevilly-Larue. Ainsi, si la fibre se révèle défectueuse, le tube en acier évitera les fuites. Pour aller plus loin, CFG Services envisage d’ajouter une pompe à chaleur classique pour récupérer au maximum la chaleur de l’eau. Des études seraient en cours pour réinjecter l’eau du Dogger à seulement 27 °C, au lieu de 35 °C actuellement.
La géothermie sert donc à produire de la chaleur. Mais la demande en climatisation augmente aussi, sous l'effet des activités tertiaires : une pièce pleine d’ordinateurs chauffe beaucoup ! Avantage non négligeable : les forages sont capables de produire tout autant du chaud que du froid, selon les équipements de surface, par exemple la pompe à chaleur réversible. La géothermie est donc bien une technologie d’avenir.