Une recette pour décuire un œuf
Des chimistes américains et australiens viennent de mettre au point un procédé permettant de « décuire » un œuf. Cette recette étonnante ouvre des perspectives prometteuses dans des domaines aussi divers que l’industrie pharmaceutique ou la fabrication du fromage.
Véronique Marsollier - Publié le
Quand les scientifiques se mettent aux fourneaux, leurs recettes sortent parfois de l’ordinaire. Des chimistes de l’université de Californie Irvine (UCI) et de l’université australienne Flinders sont parvenus à « décuire » un œuf ! C’est ce qu’ils expliquent dans leur article paru dans la revue ChemBioChem.
Et l'œuf dur redevint liquide
C'est un fait incontournable, tout œuf plongé dans un liquide subit une poussée de bas en haut proportionnelle au volume déplacé (poussée d'Archimède...). Et pour peu que ce liquide soit porté à ébullition, il devient dur ! Ce phénomène est dû à la coagulation des protéines présentes dans le blanc d'œuf (ovalbumine, lysosymes...) sous l'effet de la chaleur. À vrai dire, inutile de monter très haut en température : maintenir l'eau durant 10 minutes entre 60 et 70 °C suffit à dénaturer les protéines. Celles-ci se déplient, s'entremêlent, créant un réseau très dense capable d'emprisonner les molécules d’eau de l'œuf : le blanc devient dur. Le problème, c'est que le processus est a priori irréversible.
Pour parvenir à rendre le blanc d'œuf à nouveau liquide, les chercheurs de l’UCI ont mis au point une recette relevant à la fois de la chimie et de la mécanique.
Première étape, le blanc durci est dissous dans de l’urée, un déchet organique présent dans l’urine qui a pour propriété de rompre les liaisons peptidiques. Résultat, les protéines, qui étaient nouées entre elles, se démêlent, et le blanc retrouve son état liquide. Reste qu'à ce stade, les protéines n'ont pas encore recouvré pleinement leur configuration initiale.
La solution liquide est alors placée dans une centrifugeuse à très haute vitesse, appelée Vortex fluidic device (VFD), mise au point dans les laboratoires de l'université australienne. Cette seconde étape force les protéines à se déplier, ce qui leur permet de retrouver en peu de temps leur conformation d'origine.
Rapide et peu coûteux
L’intérêt des chercheurs pour la « décuisson » de l’œuf dépasse largement celui de concocter de bons petits plats. « Nous ne nous intéressons pas tellement au traitement de l’œuf, mais plutôt à la démonstration de l’efficacité de ce procédé », précise Gregory Weiss, co-autoeur de la publication. Les chimistes disposaient en effet de plusieurs méthodes pour « décuire » les protéines. Mais ce nouveau procédé se distingue à la fois par son faible coût, sa facilité de mise en œuvre, et surtout, sa rapidité : quelques minutes seulement, contre plusieurs jours auparavant.
La capacité à reformer rapidement à moindre coût les protéines est loin d'être anecdotique. Elle pourrait bénéficier à de nombreux domaines tant scientifiques qu'industriels. Les chercheurs évoquent ainsi des solutions pour améliorer certains traitements contre le cancer, ou encore pour... la fabrication du fromage.