Vers une exploitation durable des forêts du Congo ?
Fin septembre, les grands de ce monde se retrouvaient à New York pour discuter du climat, mais aussi de l’avenir des forêts de la planète. La République démocratique du Congo s’est ainsi engagée à restaurer 30 millions d’hectares de terrains forestiers dégradés. Un objectif ambitieux pour ce pays qui possède 47 % des forêts du bassin du Congo. Reportage.
Geneviève De Lacour - Publié le
En septembre dernier, 130 représentants de gouvernements, de sociétés privées, de sociétés civiles et de peuples autochtones ont signé la « Déclaration de New York sur les forêts » qui vise à diviser par deux les surfaces déboisées d’ici à 2020, et à cesser les coupes claires d’ici à 2030. Ils s’engagent ainsi à protéger les poumons de la planète. Bien que non contraignant, l’accord qui permettra de renforcer la lutte contre la déforestation a également été signé par le Congo Kinshasa. Il faut dire que le bassin du Congo est le second poumon de la planète après l’Amazonie. Et la RDC possède 145 millions d’hectares de forêts. En signant cet accord, elle s’engage ainsi à restaurer 30 millions d’hectares. Mais comment gère-t-elle ses forêts actuellement ? Et comment atteindre cet objectif alors que la population du pays croît rapidement et que les pressions sur la forêt s’accentuent ?
À Lisala, aux portes de la forêt congolaise
Sur la grande boucle du fleuve Congo, à plus de 1 000 km de Kinshasa, Lisala, petite ville de la province de l’Équateur, est située aux portes de la forêt équatoriale. Celle qui a vu naitre « l’homme du fleuve », le général Mobutu Sese Seko, est aussi un port d’où partent de nombreuses essences tropicales, des grumes, destinées à l’exportation.
Il est 6 heures du matin, un grumier s’engage dans les rues de Lisala avec sa cargaison de bois. Direction le port. À quelques dizaines de kilomètres de là, l’entrée de la concession forestière est marquée par une simple barrière en bois, mais surveillée par une dizaine d’hommes armés. La zone d’exploitation la plus proche de Lisala est gérée par la Société congolaise industrielle du bois (la Sicobois). « Sur la concession, 37 essences commercialisables ont été recensées, mais toutes ne sont pas rentables », explique Pierre-Louis Lézin, le directeur de l’exploitation basé à Lisala. « Ici, nous coupons 11 essences différentes. Mais le coût de l’exploitation reste problématique, notamment en raison du prix des machines et des routes à construire ». L’expédition dans ce coin reculé du Congo a été organisée par Greenpeace et par Pierre-Louis Lézin, qui a accepté l’entrevue à Lisala, mais refuse néanmoins d’ouvrir les portes de l’exploitation.
Dans la province de l’Équateur, les concessions forestières sont nombreuses et immenses (entre 1 000 et 3 000 km2). En effet, l’Équateur, bordé au nord par la Centrafrique et traversé par le fleuve Congo, est couvert à près de 90 % par la forêt tropicale. À quelques dizaines de kilomètres de Lisala, en direction de Bumba, une autre concession succède à la première. Abandonnée du jour au lendemain par la société qui l’a exploitée jusqu’en 2013, il est aujourd’hui facile d’y pénétrer. Les méthodes employées par les forestiers y sont visibles à l’œil nu : arbres coupés à proximité d’une rivière, grumes abandonnées en pleine forêt et déforestation massive sur une même zone, autant d'infractions au code forestier congolais.
Des villageois en colère
Autre problème récurrent en RDC, les relations entre forestiers et villageois sont souvent très tendues. Car si la forêt demeure la propriété de l’État, sur le terrain industriels et communautés locales doivent coexister. Ce qui n’est pas toujours facile. Le pays couvre quatre fois la superficie de la France, mais la pression démographique est élevée, la demande en terres agricoles est grande et les espaces très disputés. En 2002, le pays s’est doté d’un code forestier qui prévoyait, à partir de 2009, la signature d’un cahier des charges entre communautés locales et sociétés forestières et qui fixe, en fonction des volumes de bois extraits dans la forêt, la construction d’écoles, de centres de santé et de routes pour les villageois.
« Nous sommes tenus d’établir un plan de gestion sur quatre ans avec des assiettes de coupes annuelles. On prévoit ce que l’on va couper et, de là on en déduit les ristournes », explique Pierre-Louis Lézin. Mais villageois et exploitants ne semblent pas s’accorder sur le montant de ces ristournes. Nombreuses sont les écoles jamais achevées, les dispensaires inexistants, et les routes non entretenues... lorsqu’elles sont construites. Résultat, les communautés locales sont en colère.
Des villageois en colère. © Geneviève De Lacour
« Notre colère vient du fait qu’on ne tire aucun avantage de l’exploitation du bois. Nous n’avons reçu que des promesses, rien de concret », explique le chef du village de Mombilo Mopita, situé à une trentaine de kilomètres de Lisala. Et si le label FSC permet de garantir que le volet social de la production de bois a été respecté, aucune concession n’a obtenu la certification FSC au Congo Kinshasa.
Portrait d’une forêt surexploitée
« Plus le milieu est dégradé et plus les herbes ont tendance à envahir le milieu. Et les plus envahissantes, dans ce coin de l’Afrique, sont les marantacées (qu’on appelle le papier alu de la forêt) et une herbacée de la famille des gingembres », explique Charles Doumenge, botaniste et écologue, mais aussi expert forestier au Cirad. « En ouvrant complètement une forêt, on transforme irrémédiablement un écosystème, complète l’écologue, rencontré en France. C’est typique des forestiers qui travaillent mal. Ils vont très vite, ne planifient pas bien leurs routes forestières et ont donc un fort impact sur la forêt lors du débardage des grumes ». Pourtant, il existe des techniques d’exploitation limitant l’impact sur le milieu. « En exploitant, il est possible de faire le moins de dégâts possible et de protéger ce qu’il y a autour, c’est-à-dire les jeunes arbres qui vont finalement réussir à pousser ». Lorsque les scieurs sont bien formés, ils reconnaissent les essences à préserver, connaissent les techniques à utiliser pour limiter les impacts. Mais « en exploitant la forêt, les dégâts sont inévitables. On ne retrouvera jamais la forêt dans le même état », ajoute le forestier du Cirad.
Pourquoi la forêt est-elle surexploitée ? Le Congo est un pays immense qui détient 47 % des forêts du bassin du Congo, mais ne compte qu’une dizaine d’inspecteurs pour contrôler la bonne gestion des forêts, tous basés à Kinshasa. Lorsqu’un nouveau règlement forestier a été institué en 2009, les autorités étaient censées zoner le territoire, créer des brigades répressives et des points de contrôle. Mais rien n’a été fait à ce jour. Si le nombre d’inspecteurs fait cruellement défaut, ceux qui officient n’ont pas les moyens de travailler : mal payés et sans moyen pour se déplacer en forêt. « Cela ne sert à rien de faire une loi sur la forêt s’il n’y a pas de contrôle », explique Essylot Lubala de l’Observatoire international à Kinshasa. Or, « souvent ce sont les exploitants qui défraient ces inspecteurs quand ils procèdent à une inspection. On appelle cela : “participation aux frais de transport” », précise Alain Karsenty, économiste au Cirad. Interrogé en France, ce spécialiste du bassin du Congo complète : « La RDC est l’exemple même de l’État fragile, la corruption y est omniprésente. Le contrôle des autorités, sur plusieurs portions du territoire difficiles d’accès, reste très théorique ».
« Moins de 10 % de la superficie d’exploitation forestière active de la RDC est contrôlée de façon indépendante et considérée comme légale et durable », estime Chatham House, un think tank britannique qui a publié en juillet 2014 un rapport intitulé « Exploitation illégale de bois en RDC ». Si la notion d’illégalité n’est pas toujours facile à définir, l’Observatoire international, un organisme indépendant qui accompagne le ministère de l’Environnement congolais dans la mise en place du code forestier, a recensé les différentes infractions au code forestier congolais. « Depuis 2011, un dépassement systématique des volumes de bois coupés a été constaté. Les exploitants interprètent différemment les volumes octroyés par les Acibo*, les autorisations de coupe de bois d’œuvre délivrées par le ministère de l’Environnement. Mais si le fait de stopper l’exploitation industrielle de la forêt laisse les coudées franches aux activités criminelles ou à l’exploitation artisanale, il faut faire en sorte que le secteur soit plus structuré », estime Charles Doumenge.
*Acibo : Autorisation de coupe de bois d’œuvre, délivrée par le ministère congolais de l’Environnement.
Comment gérer idéalement une forêt primaire ?
« Sur une exploitation durable, les coupes se font sur une période de 30 ans », explique Charles Doumenge. Et à chaque fois peu d’arbres sont sciés, ce qui permet à la forêt de se renouveler. « Au Congo Kinshasa, pays instable politiquement, les exploitants forestiers exploitent sur le court terme, sans vision durable et ne respectent pas cette périodicité », complète le scientifique. Or, pour obtenir un label, comme le FSC, il faut opérer une exploitation extrêmement sélective des essences.
« L’exploitation telle qu’elle se pratique aujourd’hui en Afrique centrale est extrêmement sélective », explique Jean-Louis Doucet, directeur du laboratoire de foresterie des régions tropicales de Gembloux en Belgique. « On n’y prélève qu’un à deux arbres par hectare, soit cinq à quinze mètres cubes, ce qui représente une quantité nettement moindre qu’en Amazonie et surtout qu’en Asie », affirme le spécialiste. Mais le scientifique belge précise qu’il faut « faire la différence entre d’une part, les pays qui sont plongés depuis plus de quinze ans dans une logique de refonte de leur code forestier (Cameroun ou Gabon, par exemple) et d’autre part la République démocratique du Congo (RDC) qui sort à peine de la guerre et qui, de fait, a encore énormément de pain sur la planche si elle veut garantir l’avenir de ses forêts ».
Concernant la RDC, l’accord signé à l’Onu n'est-il pas utopique ? Pour Charles Doumenge, restaurer 30 millions d’hectares de forêts dégradées pour un pays comme la RDC est totalement irréaliste : « D’abord parce que cela va coûter de l’argent et que le Congo n’a pas les fonds disponibles. Ensuite, même s’il disposait des fonds, il n’aurait pas les capacités humaines et techniques de réaliser des plantations à cette échelle. Le pays est peu organisé, avec un effondrement des compétences humaines depuis 15 à 20 ans. Les réseaux de communication ne sont pas fonctionnels. Enfin, les terres, qui sont censées appartenir à l’État, sont généralement revendiquées par des communautés rurales. Même s’il existe beaucoup de savanes arborées et de forêts claires au Congo dont la réhabilitation est possible, la question foncière demeure épineuse. D’autre part, l’instabilité récurrente dans certaines zones et la décentralisation en cours entraveront la mise en œuvre de ce genre de programme », prédit le botaniste. Et le spécialiste du Cirad de conclure : « Sans oublier qu’il faudrait pouvoir compter sur une réelle volonté politique de protection, de gestion durable et de réhabilitation forestière ».
Quelle est la richesse écologique de la forêt congolaise ?
L’inventaire de la forêt congolaise a été réalisé dans les années 1980. Mais l’exploitation n’a pris de l’ampleur qu’après les années de guerre, soit après 2006. Aujourd’hui, dans la région de Lisala, sapelli, afrormosia, iroko, sipo, acajou et tiama, sont des essences recherchées. En France, les essences phare provenant du Congo Kinshasa sont le sipo, un bois brun rouge très utilisé en menuiserie, car facile à travailler, et le sapelli, le fameux arbre à chenille rencontré dans la forêt de l’Équateur, un bois brun rouge à brun violet à l’odeur si caractéristique de cèdre. « Le sapelli est un arbre qui a besoin de lumière. Il a besoin d’une ouverture de la canopée pour pouvoir pousser », explique Charles Doumenge. « Dans la région de Lisala, la forêt est moins humide qu’au sud du fleuve. Elle se caractérise par une saison sèche plus marquée et moins de précipitations qu’au nord du Gabon, par exemple ». Les conditions sont donc plus favorables aux sapellis (Entandrophragma cylindricum). Quant à l’afrormosia (Pericopsis elata), dont le bois très dur et imputrescible est convoité par les forestiers, l’essence est protégée selon les conventions de la Cites (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction). Les volumes coupés sont ainsi contrôlés et doivent faire l’objet d’une déclaration spécifique, un carnet de coupe différent devant être utilisé par les exploitants.
Dans la forêt congolaise se cache une autre richesse, les nzangala, ces grosses chenilles, vendues jusque sur les marchés de Kinshasa, voire exportées à l’étranger. Riches en protéines, on les retrouve sur différents arbres : sapelli, essia ou lissengué. Le problème, c’est que les forestiers coupent souvent ces arbres à chenille exploités par les villageois, ce qui avive une fois de plus les tensions entre les deux communautés.