Les scientifiques aux aguets

Goma après l'éruption du Nyiragongo en janvier 2002 L’éruption du Nyiragongo (Congo), en janvier 2002, a détruit une grande partie de la ville de Goma. Elle n’a cependant fait qu’une cinquantaine de victimes. © Jacques Durieux

700 000 personnes dans la région du Vésuve, 1,5 million au pied du Merapi en Indonésie, 2 millions d'habitants à proximité du Popocatépeti au Mexique… Encore aujourd'hui, le volcanisme reste une menace pour de nombreuses populations. Fort heureusement, peu d'éruptions volcaniques sont meurtrières. Car, contrairement aux séismes, les éruptions volcaniques sont souvent précédées de signes avant-coureurs. Grâce à la multiplication des stations d'observation et au perfectionnement des instruments de mesures, les volcanologues peuvent ainsi déceler dans bien des cas le réveil d'un volcan et prévoir son éruption quelques heures, voire quelques jours avant qu'elle n'ait lieu. Reste que les meilleures prévisions du monde ne servent à rien si elles ne sont entendues par les responsables gouvernementaux, seuls habilités à organiser une évacuation.

Armero : un cas d’école

Le Nevado del Ruiz en 1986 © JC Thouret

« À la question de savoir si les experts sont écoutés, il paraît difficile de répondre tant la communication entre scientifiques et responsables gouvernementaux varient d'un pays à l'autre, explique le volcanologue Jacques Durieux, directeur du Groupe d'observation des volcans actifs. La catastrophe d'Armero, en Colombie, qui a coûté la vie à 25 000 personnes en 1985, est à ce titre dramatiquement exemplaire. » Plusieurs mois avant le désastre, les scientifiques avaient prévu le réveil du volcan Nevado del Ruiz. Ils n'ont pourtant jamais été entendus par les autorités colombiennes. Et le 13 novembre, une gigantesque coulée de boue issue de la fonte des neiges submergeait la vallée et ses habitants.

Pourquoi refuser l’expertise ?

Les principaux risques volcaniques 1. Les retombées de cendres ; 2. Les coulées de cendres chaudes (coulées pyroclastiques) ; 3. Les coulées de boues (lahars) ; 4. Les glissements de terrains ; 5. Les coulées de lave ; 6. Les gaz volcaniques. © CSI d'après Fabuleux volcans, aux Editions Artémis

« Dans le cas d'Armero, une part de responsabilité revient sans doute aux scientifiques, tente d'expliquer Jacques Durieux. Nous n'avons pas su transmettre les bons messages, utiliser le bon vocabulaire. Par exemple, on nous riait au nez lorsqu'on parlait de coulées de boue. »

Autre explication : la situation politique particulièrement instable de la Colombie. Il était particulièrement délicat de faire intervenir l'armée, seule à pouvoir organiser une évacuation dans une zone en prise avec la guérilla.

L’éruption du Nyiragongo en janvier dernier était-elle prévisible ? Jacques Durieux, volcanologue. © CSI

Mais la dernière raison avancée par Jacques Durieux est beaucoup plus perverse : « Lorsqu’un pays doit évacuer une partie de sa population, il est seul face à ce problème. Il doit décider de l’évacuation, faire accepter cette décision, déplacer ensuite des milliers de personnes, les nourrir, les loger durant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. À l’opposé, dès que la catastrophe a lieu, l’aide internationale arrive en masse avec d’énormes moyens financiers, logistiques et matériels. Et très souvent, le pays s’en retrouve plus riche. Avec du recul, on constate que différents États ont fait ce calcul. »

Une action internationale limitée

Carte mondiale des volcans actifs en juin 2002 Sur les 1500 volcans actifs que compte la Terre, une cinquantaine environ entrent en éruption chaque année. Leur répartition n’est pas le fruit du hasard : elle est liée à la tectonique des plaques. En jaune : volcans actifs ; en rouge : volcans actuellement en éruption. © Olivier Boulanger / Science Actualités (CSI) 2008

Plusieurs instances internationales peuvent aider les pays confrontés à une crise volcanique. La principale d’entre elles, la World Organization of Volcanic Observatories (Wovo), rassemble les différents observatoires et instituts volcanologiques mondiaux. Bien que son objectif principal soit de stimuler la coopération entre laboratoires, le Wovo apporte son soutien scientifique aux pays qui en font la demande. Son fonctionnement rappelle néanmoins celui d’une ONG : ses experts n’ont pas à se substituer aux volcanologues locaux, et encore moins aux responsables gouvernementaux.

Quel est le rôle de l’expert dans la gestion de crise ? Jacques Durieux, volcanologue. © CSI

Malgré tout, cette collaboration internationale porte ces fruits. Depuis la catastrophe d'Armero, les experts ont revu leur manière de communiquer et de nombreuses catastrophes ont pu être évitées. Lors de l'éruption du Pinatubo en 1991, une entente parfaite entre experts internationaux et responsables gouvernementaux a permis d'organiser l'évacuation de 300 000 personnes. Malgré 500 victimes, 15 000 vies ont ainsi pu être épargnées. Même constat en 1994 où, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, la ville de Papaul a pu être évacuée très rapidement. Bilan : aucune victime.

Force est de constater que la gestion des crises volcaniques est de mieux en mieux conduite. « D'autant qu'il faut compter aujourd'hui sur un troisième acteur, avance Jacques Durieux : les médias. Les autorités gouvernementales ont bien compris que s'ils ne réagissent pas aux propositions des experts, ceux-ci seront entendus par les journalistes. Je ne crois pas qu'un gouvernement oserait aujourd'hui prendre le contre-pied de recommandations émises par les scientifiques. »

La France face au risque volcanique

Il y a cent ans : l'éruption de la Montagne Pelée Au petit matin du 8 mai 1902, personne sans doute à St Pierre de la Martinique ne peut imaginer quelle tragique journée est en train de débuter. Pourtant, depuis plusieurs semaines, la Montagne Pelée qui surplombe la ville laisse échapper d’inquiétantes fumerolles aux fortes odeurs d’hydrogène sulfuré. Curieusement, la population de St Pierre s’inquiète peu de ce regain d’activité. Et pour cause, le second tour des élections législatives ayant lieu le 11 mai, l’administration locale minimise le danger. Les élections n’auront pas lieu : vers 8h00 du matin, une nuée ardente engloutit la ville et ses 28 000 habitants. © Jean-Louis Cheminée / IPG

Le territoire français abrite quelques volcans actifs : en Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion, mais aussi en Auvergne puisque les dernières éruptions ne remontent qu'à 6 000 ans, une fraction de seconde à l'échelle géologique.

La France n'a pas échappé aux problèmes de gestion de crise. En 1976, d'inquiétants signes précurseurs laissent présager que la Soufrière de la Guadeloupe se réveille. Seul problème : le volcan n'est pas équipé de réseau de surveillance et les signaux sont difficilement interprétables. Le conflit qui s'installe entre deux scientifiques (Haroun Tazieff et Claude Allègre) ne fait alors qu'intensifier la crise. Dans ce contexte difficile, le gouvernement prend finalement la décision d'évacuer 70 000 personnes. « En adoptant un principe de précaution, les autorités ont vraisemblablement fait le bon choix, même si les scénarios envisagés étaient très exagérés, note Jean-Christophe Komorowski, ancien directeur de l'observatoire de Guadeloupe. La crise de 76 aura eu au moins un mérite : celui de mettre en évidence le peu de moyens dont disposait la France pour faire face aux éruptions volcaniques. »

Estimez-vous être toujours bien entendu par la préfecture en cas d’alerte volcanique ? Thomas Staudacher... Thomas Staudacher est directeur de l’observatoire volcanologique de La Réunion... © CSI

Depuis cette date, la surveillance s'est organisée. Chaque volcan français est aujourd'hui surveillé depuis un observatoire géré par l'Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP). Quand une activité anormale est enregistrée, les préfectures concernées et le Comité Supérieur d'Evaluation des Risques Volcaniques (CSERV) sont mis en alerte. Une évacuation peut alors être organisée, basée sur les Plans de secours spécialisé (PSS) qui prévoient l'organisation des transports, de la circulation, de l'accueil et de la protection des réfugiés, de la surveillance contre le pillage… Une organisation parfois jugée lourde si l'on considère qu'elle fait intervenir au moins trois ministères (Recherche, Environnement et Intérieur).