Plan de la grotte de Lascaux © ministère de la Culture et de la Communication

Ce jeudi 16 juin, rendez-vous est pris devant Lascaux, à deux kilomètres du village de Montignac, en Dordogne, et à 200 mètres à peine du fac-similé où se pressent, en cette période estivale, plusieurs centaines de visiteurs par jour. Une fois passé le discret portail qui protège l’accès au site, la sérénité du lieu s'impose : pins sylvestres filtrant les rayons du soleil, tapis de fougères rafraîchissant l’air, chant mélodieux des oiseaux… Les hommes du paléolithique supérieur, qui ont orné la cavité il y a environ 20 000 ans (période solutréenne), étaient-ils déjà sensibles à cette atmosphère particulière ? En tous cas, l’accès au sanctuaire qu’ils ont décoré de 1 963 représentations animales est aujourd’hui strictement limité : pas plus de 800 heures annuelles de présence humaine dans la grotte, essentiellement celle des trois agents de l'État qui se relaient chaque semaine pour la surveiller, épaulés une fois par mois par une équipe de conservateurs. Même les scientifiques, qui ont étudié ces dernières années l'évolution climatique et microbiologique de la cavité, se sont éclipsés une fois leurs programmes de recherche achevés. Lascaux est au repos complet, récupérant des outrages subis entre sa découverte en 1940 et sa fermeture au public en 1963, puis des crises des années 2000.

Lascaux 1, 2, 3... 4 ?

Inauguré en 1981, le fac-similé Lascaux 2 permet d'admirer les peintures de la Salle des Taureaux et du Diverticule axial, à 200 m de l'original. Mais la sanctuarisation de toute la colline, pour protéger plus encore Lascaux, va conduire à la réalisation d'un projet plus ambitieux... et éloigné : le Centre international d'art rupestre, ou Lascaux 4, qui reproduira l'ensemble de la cavité. En attendant, la numérisation en 3D de l'ensemble de la cavité permet déjà une visite virtuelle, sur le site du ministère de la Culture.

Une visite précautionneuse


Coiffe, chaussons, gants et combinaison stérile... constituent la tenue de rigueur avant d'entrer dans la grotte de Lascaux (16 juin 2011). © Chassain

Avant d'ouvrir la lourde porte en bronze du sanctuaire, au bas d’une rampe d’inspiration égyptienne, la conservatrice Muriel Mauriac rappelle les règles de la visite, limitée à 45 minutes : interdiction de toucher aux parois et obligation de porter coiffe, chaussons, gants et combinaison stériles... La séance d'habillage se déroule sous l’œil d’une caméra qui scrute 24/24h l’accès à la grotte, également protégée par un code secret. À l’intérieur, une fois passés les deux premiers sas hermétiques, un escalier s'enfonce sous terre. Vingt mètres plus bas, la conservatrice fait visiter la salle des machines, mitoyenne du dernier sas de protection : « Ces trois batteries dites statiques fonctionnent sans moteurs, uniquement grâce à l’eau refroidie à 12,3°C à 50 m d’ici, près du poste de garde. Elles maintiennent un point froid à l’entrée de la première salle ornée, sans générer d'air pulsé ni produire de convection dans la grotte, insiste-t-elle face à l'appareillage, souvent incriminé dans les déséquilibres observés à Lascaux. Ce point froid permet d'éviter les écarts de température à l’intérieur de la cavité et de capter l’humidité et la condensation qui s'y forment ». Deux phénomènes particulièrement surveillés, car pouvant entraîner l’apparition de rosée sur les parois... Au risque, en s'écoulant, d'entraîner des pigments.

La Salle des Taureaux


Déjà la perspective... Deux Taureaux sont face à face et, dessous, pour donner l'illusion de la distance, une frise plus petite de cerfs et de chevaux galopant (6 janvier 2011). © ministère de la Culture et de la Communication

Une dernière porte, la cinquième depuis l’entrée principale, s’ouvre enfin. Nous sommes dans la Salle des Taureaux, qui s’étend sur une vingtaine de mètres de long, pour sept de large. L’air y est frais, 13°C, et l’humidité proche des 100%. Quant à l'éclairage, parcimonieux, il est à peine renforcé par les lampes froides, de type LED, distribuées à chaque visiteur. La première impression, curieusement, ne va pas aux fresques qui apparaissent déjà sur la voûte circulaire. Le regard, encore peu habitué à la pénombre, se pose plutôt sur des câbles pendus au plafond et aux parois, évoquant autant de perfusions sur un corps malade. « Ce sont des capteurs qui mesurent en permanence la température de l’air et des parois, ainsi que l’hygrométrie de la cavité, détaille Muriel Mauriac. Il y en a soixante à Lascaux, qui permettent de réagir à la moindre variation climatique, en agissant, au 10e de degré près, sur la température du point froid. » Autre détail frappant : l’état des sols de la grotte… ou plutôt ce qu’il en reste ! Dans les années 1950, pour canaliser les centaines de visiteurs quotidiens, les niveaux archéologiques sont creusés et évacués sans ménagement, et du béton est coulé pour faciliter la progression du public au pied des fresques !

Image retirée.
Détail de la tête du Grand Taureau (6 janvier 2011) © ministère de la Culture et de la Communication

Pour Jean Clottes, spécialiste de l'art pariétal, qui a visité Lascaux une dizaine de fois depuis juin 1960, « l'équilibre de la grotte a été définitivement rompu par ces agressions, et on ne reviendra pas à un état antérieur. Pourtant, comme un organisme vivant, elle possède une capacité de résistance et de régénération. D'ailleurs, regardez l'état des peintures, elles sont toujours aussi superbes ! » En effet, l'examen attentif des parois ornées s'avère, lui, plutôt rassurant : fraîcheur apparente des pigments renforcée par l'humidité qui leur donne du brillant, polychromie éclatante des fresques qui les a rendues mondialement célèbres... Visiblement, l'état des peintures est bon et ne s'est pas dégradé depuis une précédente visite, que j’avais réalisée en 1999. Tout aussi vif, le regard énigmatique posé sur l'intrus par cinq immenses aurochs (plus de 5 m de long), accompagnés sur la voûte d'un fabuleux bestiaire : cerfs, chevaux, ours, vaches en robe d'été, d'automne ou de printemps... Ils ont été réalisés avec du manganèse, de l'ocre rouge et jaune, autant de pigments appliqués au pinceau, au tampon, ou soufflés sur la paroi, en fonction du relief et de la nature plus ou moins granuleuse du support. La grotte a souffert, certes, mais l'émotion que véhiculent ses fresques reste intacte.


Détail d'une paroi non ornée avec des vermiculations © ministère de la Culture et de la Communication

Dans cette incroyable Salle des Taureaux, tout juste Jean Clottes pointe-t-il un motif d'inquiétude, sur le dos d'un étrange animal unicorne, le premier qui apparaît sur la gauche de la paroi en encorbellement : « La ligne de dos bossue de cette licorne fantastique, tout droit sortie de l'imagination des peintres, est touchée par des vermiculations, qui sont de petites impuretés minérales ou organiques qui se déplacent sous l'effet de l'eau d'infiltration. » Ces petites traces naturelles sont difficilement perceptibles à l'œil nu : « Elles existent dans d'autres grottes comme Chauvet ou Cussac, et nous surveillons de près leur évolution », précise pourtant la conservatrice. Autre bémol : la présence, en contrebas des fresques, de restes de chaux blanche, reliquat du traitement de choc employé en 2000 pour combattre le champignon Fusarium, associé à une bactérie Pseudomonas :  « Mais seules les banquettes rocheuses au pied des parois ont été traitées, car le champignon n'a jamais atteint les peintures », précise Muriel Mauriac.

Le Passage


Régression du revêtement sombre dans l'Abside durant l'année 2010 © ministère de la Culture et de la Communication

Il est déjà temps de gagner le Passage, étroit couloir qui s'ouvre sur la droite de la Salle des Taureaux et qui conduit aux recoins les plus secrets de la grotte. Le plafond du Passage a été entièrement décoré par les artistes solutréens, comme en attestent des restes de pigment d'ocre et de manganèse... avant qu'un ou plusieurs phénomènes géo-climatiques inconnus n’effacent entièrement les fresques, bien avant la découverte de 1940. Peut-être liés à l'humidité un peu plus importante qui règne ici ? On ne le sait pas… Par contre, c'est dans cette zone, où ne subsistent que des gravures, que se sont déclarées les taches de mélanine noire les plus tenaces, lors de la dernière crise de 2006-2007. Certaines sont encore visibles sur les parois, mais très atténuées par rapport aux photos publiées il y a trois ans. Devant l'une d'entre elles, plutôt formée d'un amas grisâtre, Muriel Mauriac détaille la cause du mal, récemment élucidée : « Les taches résultent de l'assemblage de neuf bactéries et champignons, dont le principal est Ochroconis, qui sécrète à sa mort, ou en réponse à une agression, ce pigment de mélanine noirâtre. Le phénomène a peut-être été amplifié par de minuscules insectes cavernicoles, appelés Collembola et Diplura, dont l'observation en laboratoire a montré qu'ils digèrent les champignons et bactéries en rejetant la mélanine dans leurs excréments, peut-être mélangée à des spores. »


Diptyque des bisons adossés Au fond de la Nef, sur la paroi gauche (7 mars 2011). © ministère de la Culture et de la Communication

Mais impossible de savoir ce qui a provoqué la prolifération de ces espèces microbiennes plutôt que d’autres… Tout aussi mystérieuse, la nette diminution des taches en nombre et densité observée depuis deux ans, alors qu'aucun traitement biocide n'a été réalisé depuis janvier 2008. « Un essai d'extraction manuelle, mené sur une portion infime de paroi, a montré que le risque d'altération du support était supérieur au bénéfice pour la conservation », souligne la conservatrice. Pour Jean Clottes, cette rémission « naturelle » démontre le bien-fondé d'une politique de non-intervention, qui doit s'accompagner d'une meilleure connaissance de la grotte. Les programmes de recherche, conduits par le Conseil scientifique de Lascaux, ont ainsi confirmé la grande complexité microbienne de la cavité. Et devraient permettre, en cas de nouvelle crise, de réagir dans les meilleurs délais et avec les armes les plus appropriées. Autant d'efforts pris en compte par le Comité du patrimoine mondial de l'Unesco, réuni en juin 2011 à Paris, qui s'inquiétait il y a deux ans encore de l'état de la cavité...

La Nef


La Grande Vache noire, sur la paroi gauche de la Nef (6 janvier 2011) © ministère de la Culture et de la Communication

La rémission des taches et la stabilité actuelle de la cavité se confirment dans les salles suivantes : l'Abside, avec ses 900 gravures visibles en lumière rasante, et la Nef, où les somptueux panneaux de la Vache noire, des Bisons adossés ou des cinq Cerfs nageant la tête hors de l'eau, apparaissent toujours aussi vifs, comme animés sur la paroi. C'est dans cette partie droite de la grotte que se sont justement concentrées les attaques de mélanine. Les taches ont heureusement épargné en grande partie les chefs-d'œuvre et sont toutes en régression, à l'exception de quelques rares nouvelles apparitions sur la voûte de la Nef. Tout au plus, sur la partie moins verticale des parois, au pied des principales fresques, s'est formé au fil des siècles un dépôt d'argile poussiéreuse qui altère, par exemple, les couleurs à l'origine très vives de mystérieux blasons : « Raison de plus pour limiter les entrées dans la grotte, car cette poussière microscopique est soulevée par les pas des visiteurs », plaide Muriel Mauriac, en donnant cordialement le signal du retour vers l'entrée.

Le Diverticule axial


Vue sur la voûte du Diverticule axial (6 janvier 2011) © ministère de la Culture et de la Communication

Dernière étape de ce voyage en préhistoire, le Diverticule axial, étroit couloir en forme de trou de serrure de 25 m de long, baptisé Chapelle Sixtine de la préhistoire par le préhistorien et abbé Henri Breuil. Les vaches, taureaux et chevaux qui en tapissent intégralement les parois et la voûte sont d'autant plus impressionnants que l'œil, après 30 minutes dans le milieu souterrain, s'est adapté à l'obscurité. Comme dans la Salle des Taureaux avec laquelle il communique, l'état des fresques polychromes du Diverticule est remarquable, du moins à l'œil nu. Seul témoignage encore visible des traumatismes vécus par cette portion de la grotte : quatre barres métalliques rouillées, scellées dans la paroi à quelques centimètres d’une douce jument – ou ânesse selon les interprétations – représentée gravide… Explication, délivrée sur un ton navré par la conservatrice : « À l’époque des visites, une plaque en verre protégeait ce panneau situé à hauteur d'homme. Nous l’avons ôtée, mais nous craignons d’abîmer trop les parois en extrayant les barres. Nous cherchons encore une meilleure solution... » La visite touche à sa fin et l'on quitte à regret le sanctuaire, non sans un dernier regard aux aurochs, impassibles et hautains, de la Salle des Taureaux. De retour à l'air libre, la rumeur de la route rompt définitivement le charme. La magie de Lascaux, message mystérieux légué par nos ancêtres, a opéré. Et survivra, on l'espère, bien longtemps encore.
À lire : Lascaux, Le geste, l'espace et le temps, Norbert Aujoulat, Éditions du Seuil.