L’hydroélectricité n’est pas la vedette de la transition énergétique. Pourtant son rôle est loin d’être secondaire : elle est la première source d’énergie renouvelable dans le monde, et son unique forme de stockage. Dans les pays en développement, il reste encore une place pour de grands ouvrages – sous réserve d’une attention accrue portée à l’environnement, aux populations locales et à la biodiversité. En revanche, dans les pays industrialisés, la plupart des sites disponibles, dont l’exploitation a débuté dès le 19e siècle, sont désormais équipés. Cela ne signifie pas, toutefois, que l’hydroélectricité ait dit son dernier mot : capable d’être mobilisée en quelques minutes seulement, elle est le complément naturel des énergies intermittentes comme l’éolien ou le solaire, aujourd’hui en plein essor.

Un rôle clé dans la transition énergétique

L’hydroélectricité présente bien des atouts : stockable, flexible et offrant, de ce fait, un excellent complément aux énergies renouvelables intermittentes.

Priorité a été donnée au nucléaire : en France – pays unique en son genre – cette source d’énergie fournit… les trois quarts de la consommation annuelle d’électricité, contre 13 % pour l’hydroélectricité. Mais les sources dites « renouvelables », c’est-à-dire issues des éléments naturels et inépuisables, jouent un rôle croissant. La loi du 17 août 2015 sur la transition énergétique prévoit de réduire la part du nucléaire de 75 % à 50 % de la consommation électrique d’ici 2025 (délai repoussé à 2035 depuis janvier 2019) : il faut donc développer des alternatives pour couvrir cette baisse. La même loi prévoit la baisse de 40 % des émissions de gaz à effet de serre ou GES (par rapport à 1990) ; or les barrages n’en produisent quasiment pas (1). Enfin, elle fixe un objectif de 40 % d’énergies renouvelables dans la production d’électricité à l’horizon 2030, contre 17 % aujourd’hui. Or l’éolien et le solaire sont des sources intermittentes, dépendantes de l’ensoleillement et du vent : il faut donc les adosser à une autre source de production, stockable et flexible, capable de prendre le relais en cas de baisse de la production. C’est aujourd’hui le grand atout de l’hydroélectricité. Quant à accroître la production, le potentiel est limité car les grands sites sont déjà équipés. En revanche, certains ouvrages peuvent être optimisés, à l’instar de Romanche-Gavet dans l’Isère : au terme de ce chantier titanesque (2010-2020), cinq barrages et six centrales seront remplacés par une centrale souterraine et une retenue d’eau unique, avec une puissance électrique accrue de 30 %, à 92 MW.

(1) La Washington State University estime que les réservoirs des barrages dégagent une gigatonne de dioxyde de carbone par an, soit 1,3 % de tous les GES produits par les activités humaines (BioScience, 5 octobre 2016).

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©STEVE GSCHMEISSNER/SPL/PHANIE

Faute d’oxygène…

Par fortes chaleurs, en vallée et en moyenne montagne, la concentration d’éléments nutritifs
(azote ou phosphore) favorise la prolifération d’algues saisonnières ou d’espèces envahissantes,
puis l’appauvrissement de l’eau en oxygène. Les retenues de Grangent et Villerest, sur la Loire, ont
ainsi été contaminées par des efflorescences de cyanobactéries (photo). La raréfaction en oxygène
peut aussi entraîner des dégagements de méthane, un gaz à effet de serre. Un article paru dans
la revue Nature le 19 février 2019 rappelle toutefois que les barrages, en endiguant les crues,
limitent les émissions de méthane produites dans les terres naturellement inondées.

Des impacts importants sur la biodiversité

Les barrages ont des effets indéniables sur la faune et la flore, malgré les efforts déployés pour les limiter.

Comme tous les usages de l’eau, l’hydroélectricité perturbe la faune et la flore aquatiques, ainsi que la circulation des sédiments (1). Les poissons dits amphihalins – qui migrent sur de longues distances entre la mer et les cours d’eau – sont particulièrement pénalisés, car ils doivent franchir plusieurs ouvrages pour rejoindre les frayères ou repartir en mer : anguille, aujourd’hui considérée comme en danger critique d’extinction ; saumon, protégé depuis 1988 et qui ne subsiste plus que dans quelques cours d’eau français ; esturgeon – dont il ne reste que quelques milliers d’individus dans le bassin Gironde-Garonne-Dordogne. Certes, le rôle des ouvrages hydrauliques n’est pas seul en cause : surpêche et pollution ont aussi contribué à la raréfaction des espèces (2). Plusieurs dispositifs s’efforcent néanmoins de réduire l’impact des perturbations liées aux barrages : « passes à poissons » pour faciliter le passage des grands migrateurs comme les lamproies ou les saumons sur la Loire ou le Rhin ; introduction d’espèces dans les lacs ou protection d’espèces autochtones ; turbines dites fish friendly susceptibles de réduire la mortalité des poissons ; le cas échéant, transfert de poissons par camions, comme sur la Garonne… Cas extrême : la destruction partielle d’ouvrages, comme celle de deux barrages sur la rivière Sélune, dans la Manche, annoncée en 2009 et prévue courant 2019. Cette solution – la plus importante destruction de barrages prévue en Europe – est en effet jugée comme le seul moyen de restaurer l’habitat naturel des anguilles, saumons et truites de mer, ainsi que la qualité de l’eau (3).

(1) Yves Souchon, Véronique Nicolas, Barrages, seuils : impacts environnementaux, novembre 2011

(2) Fondation pour la recherche sur la biodiversité, De la pollution aux obstacles sur les cours d’eau : comment lever les barrages à la biodiversité ? février 2018

(3) Ministère de l’écologie/ministère de l’économie, Expertise du projet d’effacement des ouvrages de Vezins et La Roche-qui-Boit sur la Sélune, mars 2015

Des milliers de barrages en construction

Plus de 3 700 barrages sont planifiés ou en cours de construction dans le monde. À cela, deux raisons principales : la hausse de la demande d’énergie et l’existence de capacités disponibles dans des pays en développement, notamment sur les bassins de l’Amazone, du Mékong ou du Congo (sur la photo, le barrage Inga II). L’hydraulique représente aujourd’hui 17 % de la production électrique mondiale, loin derrière les combustibles fossiles avec 65 % (pétrole, charbon, gaz naturel) mais devant le nucléaire, à environ 10 %. Dans une trentaine de pays, comme au Brésil, en Norvège, au Mozambique ou au Népal, l’hydraulique couvre plus de 80 % de la consommation électrique.

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©BENOIT DOPPAGNE / BELGA MAG / Belga / AFP

Un appui essentiel aux énergies intermittentes

Traditionnellement utilisée pour couvrir des pics de demande, l’hydroélectricité accompagne aujourd’hui le développement de l’éolien et du solaire.

En fin de journée ou durant l’hiver, lorsque les besoins en électricité sont plus élevés, l’hydraulique est davantage sollicité et vient s’ajouter à la production électrique régulière dite « de base », d’origine majoritairement nucléaire en France. Il est en effet possible de mobiliser, en dix minutes seulement, une centaine de centrales réparties sur tout le territoire et représentant 14 gigawatts de puissance. Ainsi, les vannes des centrales d’éclusée, en moyenne montagne, peuvent être fermées durant quelques dizaines d’heures, à la manière des écluses à bateau, puis ouvertes rapidement pour accroître la production. À cela s’ajoute le stockage de l’énergie dans les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) et leurs doubles réservoirs : aux heures creuses, l’eau est puisée dans un bassin inférieur pour remplir un réservoir supérieur dont l’eau est turbinée aux heures pleines. Ce stockage représente 7 térawattheures de production potentielle d’électricité. Enfin, la réactivité de l’hydraulique permet de l’associer aux sources intermittentes telles que le solaire ou l’éolien. Baptisée soFLEX’hy, une « centrale virtuelle » est ainsi en cours d’expérimentation depuis 2018 en Provence-Alpes-Côte d’Azur, pour adapter la production hydroélectrique sur la Durance aux fluctuations de production de deux fermes photovoltaïques. Pour cela, pas besoin de nouvelle installation, mais d’une simple coordination entre infrastructures existantes. À l’avenir, ce type de « centrales virtuelles » permettrait d’offrir des services d’électricité « 100 % verte ».

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©EDP S.A. Group, photos by Pixbee

Demain, des panneaux solaires sur les retenues ?

Outre leur rôle dans le stockage de l’énergie, à l’avenir les lacs de retenue pourraient accueillir… des fermes photovoltaïques flottantes. C’est l’idée défendue par la PME lilloise Ciel & Terre, qui a construit une première petite centrale à Alto Rabagão, au Portugal, sur un barrage hydroélectrique, en service depuis fin 2016. Des projets comparables sont à l’étude au Brésil, afin d’utiliser au mieux l’eau des retenues. De son côté, EDF étudie aussi l’équipement de certaines retenues d’eau en fermes éoliennes ou solaires.

Des risques parfois sous-estimés

La rupture d’un barrage au Laos, en juillet 2018, a rappelé les risques inhérents
aux grands ouvrages, à la fois pour l’Homme et pour l’environnement.

Difficile de généraliser les enjeux liés aux nouveaux barrages… Dans les pays développés, la mode n’est plus aux grands projets, et pour cause : en France, par exemple, 95 % du potentiel hydraulique est déjà exploité. Mais près d’un milliard d’individus, soit 13 % de la population mondiale, vit encore sans électricité, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). C’est d’ailleurs dans le monde en développement que de grands ouvrages sont aujourd’hui édifiés : Brésil, Tanzanie, Tadjikistan, Cambodge… Entrée en service en 2009 dans le centre de la Chine, la centrale des Trois-Gorges a une puissance record de 18,2 gigawatts (GW) : un ordre de grandeur comparable à celui… de tout l’hydraulique installé en France (25,5 GW). Ce barrage illustre de manière éclatante les impacts liés aux grands ouvrages : déplacement de 1,4 million de personnes ; destruction d’un millier de villes et villages ; catastrophes pour l’écosystème, comme l’extinction du dauphin du Yangzi ; baisse du niveau des eaux en aval du barrage, pénalisant les agriculteurs et l’approvisionnement en eau potable… Ce projet titanesque est bien sûr exceptionnel, mais d’autres grands projets, en Amazonie, en Afrique, en Asie du Sud, soulèvent des inquiétudes pour l’environnement et les populations voisines. Certains sont d’ailleurs emmenés par le numéro 1 mondial de l’hydroélectricité, l’entreprise China Three Gorges, à l’instar du projet Inga III (11 GW), au Congo. Or les risques ne sont pas toujours bien pris en compte, comme l’a montré, à l’été 2018, au Laos, l’effondrement d’un barrage en construction, qui a englouti sept villages et entraîné la mort de dizaines de personnes.

Une surveillance high-tech

Depuis l’effondrement du barrage de Malpasset, dans le Var, en 1959, avec ses 423 victimes, les normes de sûreté ont été renforcées. Les ouvrages supérieurs à dix mètres sont soumis à des vérifications complètes tous les dix à quinze ans. Pour les réaliser, il a longtemps fallu procéder à une vidange complète de la retenue, avec un déversement de sédiments problématique pour l’environnement. Les nouveaux moyens techniques facilitent dorénavant la surveillance, à l’instar des drones aériens ou aquatiques, capables d’inspecter des conduites difficiles d’accès ou de cartographier des sites jusque dans les moindres détails (altérations dans le béton, par exemple).

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©EDF

Face au dérèglement climatique...

En modifiant le rythme et l’ampleur des précipitations, le changement climatique pourrait compliquer le travail des producteurs d’hydroélectricité.

Avec le changement climatique, la France (comme d’autres pays dans le monde) pourrait connaître des épisodes de sécheresse plus fréquents et des températures en moyenne plus élevées. Les débits en rivière s’en trouveront modifiés, et donc le remplissage des réservoirs et la production hydroélectrique. Ces réservoirs d’eau ne seront donc sans doute plus en capacité de satisfaire tous leurs usagers sans modification des règles de gestion et de partage de l’eau. Ainsi, à Serre-Ponçon, le grand lac de retenue créé par le barrage d’EDF dans les Alpes sert aussi à l’irrigation dans les plaines cultivées en aval et constitue une destination touristique phare des Hautes-Alpes. Si l’apport en eau diminue, les activités, qu’elles soient agricoles ou récréatives, seront sans doute fragilisées (1). Pour les experts, le changement climatique devrait donc être pris en compte dès la conception de nouveaux aménagements hydrauliques. Tel n’a pas toujours été le cas jusqu’à présent, y compris parmi les ouvrages les plus récents. Ainsi, sur l’Amazone, la production des grands barrages de Jirau et de Santo Antonio, construits dans les années 2010, serait déjà pénalisée par une pluviométrie inférieure aux prévisions. Idem pour l’immense barrage de Belo Monte, toujours au Brésil, où la production pourrait chuter, faute d’eau, à moins de la moitié de la capacité installée (2).

(1) Éric Sauquet, Risque, ressource en eau et gestion durable de la Durance en 2050, Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea), Lyon, 2015

(2) Emilio F. Moran et al., « Sustainable hydropower in the 21st century », Pnas, 25 septembre 2018

De l’électricité, mais pas seulement

L’irrigation – et non la production électrique – est le principal motif d’édification des barrages : un quart des 59 000 ouvrages recensés par la Commission internationale des grands barrages (CIGB) lui sont destinés de manière exclusive. Parmi les barrages à fonction unique (la moitié des ouvrages mondiaux), 17 % seulement sont destinés à l’hydroélectricité, indique aussi la CIGB. Un nombre croissant de barrages est cependant polyvalent : amortissement des crues et inondations, irrigation, production électrique, tourisme balnéaire… En France, selon le Syndicat des énergies renouvelables, l’électricité ne représente parfois que 25 à 50 % de la valeur d’un barrage.

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La centrale de demain

Connectée, intégrée à l’environnement et adaptée aux aléas climatiques : Denis Aelbrecht,
du Centre d’ingénierie hydraulique d’EDF, dresse le portrait de l’hydroélectricité du futur.

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Small is beautiful?

En France, trois appels d’offres sont planifiés d’ici 2020 pour rénover ou construire des petites centrales au fil de l’eau. Le premier appel d’offres a retenu quatorze projets (pour une puissance totale de 37 mégawatts), dont dix en région Auvergne-Rhône-Alpes. Utiles localement ou dans des endroits isolés, ces nouveaux ouvrages jouent un rôle modeste au regard de la capacité totale installée. En outre, leur développement est limité par des coûts de transport de l’énergie élevés et des contraintes environnementales lourdes, comme l’interdiction de nouveaux ouvrages sur une partie des cours d’eau depuis la loi du 30 décembre 2006.