La conquête de l’espace a ouvert la voie à de formidables avancées technologiques. Téléphonie, télévision, radio, Internet, GPS, surveillance de la Terre, recherche scientifique… Bien qu’invisibles à nos yeux, les technologies spatiales et satellitaires nous accompagnent partout et sont devenues indispensables à nos modes de vie. Mais pourra-t-on toujours compter sur les satellites ? Une menace pèse sur ces corps artificiels en orbite autour de la Terre : les débris spatiaux. Se déplaçant à des vitesses faramineuses, ces objets représentent un risque croissant pour la sécurité spatiale. Au point que l’Agence spatiale européenne (Esa) tire la sonnette d’alarme en avril 2017. Selon l’Agence, les débris spatiaux suffisamment gros pour endommager un vaisseau ou un satellite ont plus que doublé en un quart de siècle. Une situation qui risque d’empirer avec la mise en orbite prochaine de gigantesques constellations de satellites, afin notamment d’élargir à la Terre entière l’accès Internet haut débit.

Gravity : un scénario plausible ?

Dans Gravity, le film d’Alfonso Cuarón, les débris d’un satellite russe détruit par un missile foncent tout droit sur la Station spatiale internationale, détruisant tout sur leur passage… Est-ce crédible ? Oui et non, car si le phénomène de réaction en chaîne montré dans le film s’inspire directement du « syndrome de Kessler » décrit comme possible par les scientifiques, le scénario prend tout de même des libertés avec les faits scientifiques. Par exemple, si un tel incident devait se produire sur une orbite croisant celle de l’ISS, les débris mettraient un temps suffisant à rencontrer la trajectoire de la station pour être catalogués. La collision pourrait alors être prévenue grâce à une manœuvre d’évitement.

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Gravity

D’où viennent les débris spatiaux ?

Plus de 5 200 lancements ont eu lieu dans le monde depuis 1957, plaçant près de 7 500 satellites en orbite.

Une suroccupation de l’espace mal maîtrisée. Dans la nuit du 4 au 5 octobre 1957, le lancement du satellite Spoutnik 1 par l’Union soviétique marque le début de l’odyssée de l’espace. Si les activités spatiales ont, depuis, révolutionné nos modes de vie (notamment dans le domaine des télécommunications), elles ont également laissé des traces. Outre les satellites, une myriade de débris de tailles et de formes variées orbitent autour de la Terre. Ces objets peuvent être issus des fusées, avoir été relâchés volontairement pendant les missions ou provenir de fragmentations provoquées par une explosion ou une collision. Les débris supérieurs à 1 mm seraient déjà plus de 160 millions. Bien que ces objets soient très éloignés les uns des autres, ils représentent de par leur vitesse un véritable danger pour les quelque 1 300 satellites actuellement en activité, ainsi que pour les missions habitées. La menace s’est d’ailleurs avérée bien réelle à plusieurs reprises, le premier incident catalogué remontant à janvier 1996 : la collision entre le micro satellite Cerise et un débris issu de l’explosion, dix ans plus tôt, d’un étage d’une fusée Ariane. Deux incidents majeurs achèveront ensuite de convaincre les autorités de la nécessité de s’intéresser au problème des débris spatiaux : la destruction volontaire d’un satellite chinois en 2007 et la collision entre deux satellites américain et russe en 2009. Désormais, les gros débris font l’objet d’une surveillance continue de la part des agences spatiales et des centres de recherche.

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Des objets de toutes sortes en orbite

Débris sous surveillance

Près de 19 000 objets spatiaux d’une taille supérieure à 10 cm sont actuellement suivis par des radars et télescopes au sol, ainsi que par des satellites. Pour l’essentiel, cette surveillance s’appuie sur des renseignements fournis par le réseau militaire américain. Dès 2018, les données fournies devraient considérablement augmenter avec la mise en service du nouveau système radar Space Fence, capable de suivre des objets d’au moins 5 cm. Outre les États-Unis, la France est l’une des rares puissances spatiales à posséder ses propres capacités de surveillance de l’espace, notamment grâce au système Graves (Grand Réseau Adapté à la VEille Spatiale) dont le récepteur est implanté près d’Apt (photo).

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© Patrick AVENTURIER/GAMMA

Quels sont les risques réels ?

La présence de débris spatiaux est prise très au sérieux par les spécialistes. Le scénario d’une réaction en chaîne est le plus redouté...

La proche banlieue de notre planète est jonchée de fragments de satellites, boulons, éclats de carbone... Même à très haute altitude, ces objets finissent par retomber sous l’effet de l’atmosphère résiduelle qui entraîne une érosion progressive de leur orbite. Les spécialistes appellent ce phénomène « le nettoyage naturel ». Si certaines de ces rentrées atmosphériques sont maîtrisées – c’est le cas pour les engins spatiaux les plus volumineux et les plus récents –, la plupart échappe à tout contrôle. Pas d’inquiétude toutefois, l’essentiel des engins se désintègre complètement avant d’atteindre le sol. Dans les rares cas contraires, la Terre étant recouverte à 75 % d’océans et de terres inhabitées, il y a très peu de risques d’accident. La véritable menace est liée aux risques de collision en orbite. Un satellite lancé aujourd’hui a environ 5 % de risque de tomber en panne à cause d’une collision. Un pourcentage qui pourrait augmenter considérablement dans le futur, car les résidus « s’autoalimentent ». Lorsqu’un petit débris percute un objet, l’impact peut générer une centaine de nouveaux fragments. Si ce phénomène devient trop important, les experts craignent une réaction en chaîne catastrophique, connue sous le nom de « syndrome de Kessler ». Si ce scénario se réalisait, l’orbite terrestre pourrait devenir, à terme, impraticable. La prévention et le nettoyage naturel ne suffisant plus, la seule solution serait alors le retrait actif des débris. Mais pour l’instant, de tels projets restent très compliqués et coûteux à mettre en œuvre.

Un risque minime sur Terre

Le 12 juillet 1979, la station spatiale Skylab est détruite dans l’atmosphère, semant une pluie de débris sur l’Australie (photo). Heureusement, aucun blessé n’est à déplorer. De tels incidents ont poussé les opérateurs d’engins spatiaux à contraindre la trajectoire des objets dans l’atmosphère pour qu’ils finissent leur course loin de toute implantation humaine. Leur cible privilégiée : une zone située au beau milieu du Pacifique sud, à environ 4 000 kilomètres des côtes de la Nouvelle-Zélande. Surnommée « le cimetière des vaisseaux spatiaux », ce secteur accueille déjà près de 260 objets spatiaux, dont des débris de la station spatiale russe Mir, détruite le 23 mars 2001.

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Nasa

Quelles protections en cas de collision ?

En orbite, les objets se déplacent à des vitesses prodigieuses. Pour éviter les dégâts liés à une collision, des solutions existent… dans certains cas.

À la vitesse de 30 000 km/h, un objet d’un millimètre inflige les mêmes dégâts qu’une boule de pétanque lancée à 100 km/h. À une telle allure, il est donc extrêmement difficile et coûteux de protéger les satellites en cas d’impact. Seules les missions habitées sont équipées de systèmes de blindage, et ces derniers n’arrêtent que les objets d’une taille inférieure à 1, voire 2 cm. Au-delà, aucune protection n’est capable d’éviter les dégâts. Les collisions sont alors qualifiées de létales, voire de catastrophiques. Soit l’impact crée une onde de choc capable de détruire l’engin spatial, soit non seulement les structures sont endommagées mais de nombreux nouveaux débris sont également créés. Le niveau de gravité dépend du ratio entre l’énergie cinétique du débris et la masse de l’objet impacté. Au-delà de 10 cm, la collision est presque toujours catastrophique. C’est pourquoi tous les gros débris sont surveillés et, en cas de probabilité élevée de collision, la trajectoire des satellites fonctionnels peut être modifiée. Près de 300 manœuvres d’évitement sont ainsi effectuées chaque année. En revanche, dans l’éventualité d’une collision entre deux objets inactifs, aucune solution n’existe pour l’instant. Les deux appareils se disloquent en milliers de morceaux, comme cela s’est déjà produit en 2009, lorsque le satellite américain Iridium 33, en activité, a percuté le satellite russe inactif Cosmos 22-51. L’accident a généré près de 3 500 gros débris répertoriés et une myriade d’autres plus petits.

Objectif « évitement de dernière minute »

Avec l’arrivée de la nouvelle version du système de surveillance américain Space Fence, près de 200 000 objets spatiaux vont désormais pouvoir être suivis. Une avancée technologique précieuse, mais qui ne servirait à rien en cas de collision entre deux objets ne pouvant être manœuvrés à distance. Pour parer à cette éventualité, les scientifiques travaillent à une nouvelle activité appelée « Just in Time Collision Avoidance » (JTCA) – en français : évitement de dernière minute. Plusieurs technologies susceptibles de dévier un objet inactif de sa course sont à l’étude, dont des lasers au sol ou en orbite, et des nuages de gaz ou de particules pulvérisés par une fusée sonde.

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© LOCKHEED MARTIN

Des mesures de prévention suffisantes ?

L’orbite terrestre n’est pas un espace sans limites. Si l’on veut continuer de l’exploiter, la mise en place de règles anti-pollution s’impose.

En 2016, selon le Joint Space Operations Center (JSpOC), l’organisme américain chargé de suivre et de cataloguer les débris spatiaux, outre les satellites et les étages de fusées, 86 gros débris ont été libérés en orbite. Conscients des risques considérables que représentent ces objets pour l’avenir des opérations satellitaires, les agences spatiales ont adopté de nombreux standards, codes de bonne conduite et lois visant à diminuer au maximum le nombre de débris produits par l’activité spatiale. Pour la plupart, ces réglementations sont dérivées des recommandations publiées en 2002 par le Comité de coordination inter-agences sur les débris spatiaux (IADC). Elles visent à diminuer les risques d’explosion par l’élimination de toutes les sources d’énergie à bord des satellites inactifs. Autres objectifs de ces mesures : éviter les collisions identifiées et limiter la durée de vie des satellites à 25 ans avec la désorbitation systématique en fin de vie (orbite cimetière ou rentrée dans l’atmosphère). En 2007, le Comité des Nations unies pour l’utilisation pacifique de l’espace a publié une série de consignes inspirées de ces recommandations. La France est le premier pays à avoir intégré certaines de ces règles dans son corpus législatif (loi sur les opérations spatiales, 2009). Mais ces réglementations tardent à porter leurs fruits. Pourquoi ? D’une part, parce qu’elles ne sont pas suivies à la lettre par tous les pays, d’autre part parce que les nouvelles normes de conception des objets spatiaux sont longues à mettre en œuvre. Rappelons qu’il faut en moyenne près de dix ans pour développer et construire un lanceur ou un satellite. Il est donc trop tôt pour savoir si ces mesures suffiront à stabiliser le nombre de débris en orbite.

Le boom des satellites de télécommunication

Une révolution est en cours sur les orbites basses : les méga-constellations de satellites de télécommunication, principalement destinées à assurer une couverture mondiale à l’Internet haut débit. Comme leur nom l’indique, ces projets visent à mettre en orbite des groupements de satellites opérant de concert et permettant une couverture au sol coordonnée. Plus d’une dizaine de projets sont en cours ou à l’étude, dont les pharaoniques programmes de One Web (illustration) et Space X, visant à mettre respectivement en orbite 900 et 4 400 satellites ! 430 nouveaux satellites devraient avoir été lancés d’ici la fin de l’année 2017. Un ajout qui risque de peser très lourd face aux 700 satellites opérationnels actuellement en orbites basses.

Vers un nettoyage de l’espace ?

Si les mesures de prévention s’avèrent insuffisantes pour réduire le nombre de débris spatiaux, il ne restera alors plus qu’une solution : le retrait actif de débris. Selon une étude publiée par la Nasa en 2010, si la réglementation préventive en vigueur est parfaitement respectée, il suffirait, pour stabiliser l’environnement spatial, de retirer cinq à dix gros objets par an des orbites basses. De nombreux projets sont actuellement à l’étude, dont des systèmes de capture (harpons, crochets et filets) (photo), d’augmentation de traînée (airbag, voile, ballons gonflables), de lasers ou de câbles électrodynamiques. Cette dernière solution a fait l’objet d’un essai grandeur nature fin janvier 2017 par l’agence spatiale japonaise, mais s’est soldée par un échec.

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© Orchard-Trapview

Les débris spatiaux sont-ils une forme de pollution ?

Selon Christophe Bonnal, spécialiste des débris spatiaux au Cnes, l’expression « pollution spatiale » traduit de façon exagérée le problème environnemental posé dans l’espace.

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Les différentes orbites des débris spatiaux