L’hydrogène suscite de grands espoirs : il pourrait tout simplement donner naissance à une nouvelle révolution industrielle et énergétique. Un peu partout dans le monde, d’ambitieux « plans hydrogène » annoncent la transition de l’ère du « tout pétrole », vouée à décliner, vers une ère nouvelle et décarbonée. Un monde où l’hydrogène permettrait de verdir le bilan des transports et de bien d’autres secteurs de l’économie. Et ils sont nombreux. Toutefois, avant de voir triompher cette révolution, que certains appellent de leurs vœux depuis de longues années, de nombreux défis techniques restent à relever. Comment produire l’hydrogène sans plomber son bilan carbone, comme c’est le cas aujourd’hui ? Et à des coûts permettant de réduire son prix à la pompe, beaucoup plus élevé que celui de l’essence ? Comment tirer le meilleur parti de son énorme potentiel énergétique ? Comment le transporter et le stocker efficacement et en toute sécurité ? Comment déployer à des coûts acceptables la gigantesque infrastructure qui accompagnera cette transition ? Autant de défis à la hauteur des espoirs que suscite le plus petit et le plus léger de tous les atomes : énormes.

Une énergie prometteuse… qui se fait attendre

Après moult faux départs, l’urgence climatique semble enfin sonner l’heure de la transition vers l’hydrogène.

L’hydrogène est depuis longtemps présenté comme un possible successeur au pétrole, qu’il pourrait supplanter en vertu de ses faibles émissions de gaz à effet de serre. La combustion de l’hydrogène ne génère en effet que de l’eau, là où les hydrocarbures émettent de nombreux gaz à effet de serre, parfois toxiques et des particules fines, dangereuses pour la santé. Malgré ce potentiel, les surcoûts liés à la transition vers cette énergie dite « décarbonée » ont jusqu’ici freiné son essor. Mais face à l’urgence climatique, plusieurs pays annoncent des objectifs ambitieux visant à atteindre la neutralité carbone – promise à l’horizon 2050 en Europe, 2060 en Chine, par exemple. Une transition dans laquelle l’hydrogène est appelé à jouer un rôle central, à condition que l’on parvienne effectivement à le produire, à le transporter et à le stocker dans des conditions environnementales et économiques acceptables. Ce qui n’est pas totalement acquis. Ces défis font l’objet de plans nationaux annoncés au cours des derniers mois, visant à lever ces freins grâce à des investissements massifs en faveur du développement d’une filière hydrogène viable. La France, par exemple, a rendu publique en septembre 2020 sa « Stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné », dotée de 7 milliards d’euros d’ici à 2030. Un montant équivalent à l’effort annoncé cette même année par le Portugal, et légèrement inférieur à celui prévu par l’Allemagne (9 milliards). Ceci dans la lignée des feuilles de route déjà programmées par d’autres États : Pays-Bas, Corée, Japon, États-Unis, etc.

Une production maîtrisée… mais polluante

 

Image légendée
© Julien Tredan-Turini

Propre… mais localement

L’hydrogène est considéré comme une énergie décarbonée, car son utilisation dans une pile à combustible – comme celle qui alimente ce moteur – n’émet que de l’eau, selon la formule 2 h 2 + O2 → 2 h2O + électricité. Il faut néanmoins prendre en compte la façon dont l’hydrogène est produit : s’il est issu de combustibles fossiles (comme c’est majoritairement le cas aujourd’hui), il induit des émissions nocives (oxyde de carbone, oxydes d’azote) ou des gaz à effet de serre en amont de son utilisation. Les émissions ne sont donc que transférées du pot d’échappement aux cheminées d’usines… Ce qui peut avoir un intérêt pour les émissions nocives qui asphyxient les centres-villes, mais ne change rien au changement climatique.

Image légendée
© B. Christopher / Alamy / Hemis

Des transports propres… mais chers

  • Image légendée
    Ce vélo électrique équipé d’une pile à combustible a été imaginé par Pragma Industries, une entreprise française du Pays basque. Vu son prix, il est surtout destiné aux services publics, aux entreprises de livraisons, et au tourisme.
  • Image légendée
    Cette voiture, signée Toyota, est la première berline commercialisée roulant à l’hydrogène. Trois minutes sont nécessaires pour faire le plein de ses 2 réservoirs d’une capacité totale de 122 litres d’hydrogène, à 700 bars de pression. Une nouvelle version devrait être lancée en Europe courant 2021.
  • Image légendée
    Conçu et fabriqué par Alstom, ce train à hydrogène est le premier au monde à avoir été mis en service lors d’une phase pilote lancée en 2018 en Allemagne. Une pile à combustible de 200 kW et des réservoirs à 350 bars de pression lui permettent de rouler sur des lignes non électrifiées. La mise en service commercial est prévue pour 2023.
  • Image légendée
    Plusieurs bus à hydrogène sont déjà en opération, dont celui-ci, fabriqué par la société albigeoise Safra. Entré en service en 2019 dans le Pas-de-Calais, il est doté de batteries dont l’autonomie est augmentée grâce à l’ajout d’une pile à combustible de 30 kW alimentée par de l’hydrogène stocké à 350 bars de pression.
  • Image légendée
    Quelques camions à hydrogène sillonnent déjà les routes, comme celui-ci, proposé à la location, par le Coréen Hyundai en Suisse. Ses deux piles à combustible de 95 kW sont alimentées par sept réservoirs contenant 32 kg d’hydrogène, stocké à 350 bars de pression. Le constructeur vise 2 000 exemplaires par an dès 2021.
  • Image légendée
    Plusieurs navettes et bateaux-taxis à hydrogène sont déjà en service, mais la technologie est en passe d’équiper des navires de plus gros tonnage : ferries, porte-conteneurs et yachts. Comme ce projet de l’armateur norvégien Wilhelmsen, supporté à hauteur de 8 millions d’euros par l’Union européenne, visant à développer un prototype doté d’une pile à combustible de 3 mégawatts.
  • Image légendée
    Dans l’aviation, l’hydrogène était surtout envisagé pour alimenter les équipements de bord. Mais Airbus a annoncé en septembre 2020 un projet de trois appareils utilisant cette énergie pour la propulsion, dont un bi-turboréacteur de 200 places fonctionnant à l’hydrogène liquide. Une pile à combustible complémentaire est prévue pour apporter un regain de puissance si nécessaire.

L’hydrogène est envisagé comme une solution prometteuse pour rendre la mobilité plus vertueuse, avec l’avantage d’une autonomie compétitive, supérieure à celle des batteries électriques, sans l’inconvénient du temps de recharge. En pratique, c’est cependant pour le rail et le fret maritime que la technologie semble la mieux adaptée, car les contraintes liées à la sécurité et au stockage de l’hydrogène à bord y sont moins fortes que pour les transports individuels. Et le surcoût moins sensible. 

Énergétique… mais dangereux

L’hydrogène est l’un des éléments les plus énergétiques que nous connaissions… mais c’est aussi l’un des plus hautement inflammables.

Le principal intérêt de l’hydrogène est qu’il est très dense en énergie. C’est même l’élément le plus énergétique par unité de masse que nous connaissions : sa densité d’énergie est presque deux fois et demie supérieure à celle du gaz naturel. Si bien que la combustion d’un kilogramme d’hydrogène libère environ trois fois plus d’énergie que la même quantité d’essence (avec l’avantage de ne produire que de l’eau). En contrepartie de cette puissance énergétique, ce gaz incolore et inodore peut s’avérer très dangereux. Car l’hydrogène est aussi l’une des substances les plus inflammables, comme l’ont tristement montré l’embrasement soudain du dirigeable transatlantique Hindenburg en 1937 et la désintégration de la navette américaine Challenger en 1986, victime d’une fuite de son réservoir d’hydrogène juste après le décollage. Des événements qui ont durablement marqué les esprits et gravé la dangerosité de l’hydrogène dans l’imaginaire collectif. Les conditions dans lesquelles l’hydrogène présente un risque de détonation sont toutefois limitées : sa légèreté et sa vitesse de diffusion (quatre fois supérieures à celles du gaz naturel) sont telles qu’il a tendance, en cas de fuite, à se disperser rapidement au lieu de se concentrer. Ce qui limite les risques de détonation spontanée.

Léger… mais délicat à transporter 

La légèreté pourrait sembler un avantage pour le transport. Au contraire, elle induit des contraintes fortes en termes de pression et de température. 

L’hydrogène est le plus léger des atomes : son noyau ne dispose que d’un seul proton, et aucun neutron. Et il est, sous sa forme H2 (dihydrogène), le plus léger des gaz : deux fois plus que l’hélium et onze fois plus que l’air que nous respirons. Revers de la médaille : il est, à masse égale, plus volumineux que tout autre gaz, ce qui pose un problème d’encombrement lorsque l’on souhaite le stocker ou le transporter. Il faudrait, par exemple, un réservoir de 11 000 litres pour stocker la quantité de dihydrogène (1 kg) nécessaire pour parcourir 100 km en voiture. Deux options sont possibles pour contourner ce problème : le refroidir à -252,87 °C, pour atteindre sa température de liquéfaction. On peut alors parcourir 100 km avec un réservoir de 15 litres d’hydrogène liquide. Mais maintenir une température aussi basse est une vraie gageure : cette solution n’est utilisée que dans des cas très spécifiques et exigeants, comme pour les réservoirs des fusées spatiales. La plupart du temps, la solution retenue consiste à comprimer le gaz (sous 350 à 700 bars de pression) pour augmenter sa densité, et donc réduire son volume. À 700 bars, la quantité nécessaire pour parcourir 100 km tient dans un volume de 25 litres. Ce qui nécessite tout de même des réservoirs à la fois très résistants et parfaitement étanches pour éviter les fuites : la molécule de dihydrogène est si petite qu’elle parvient à migrer à travers de nombreux matériaux, dont le métal, qu’elle peut fragiliser et rendre cassant. D’où l’utilisation, par exemple, de bonbonnes en matériaux composites tissés (pour la résistance) dont l’intérieur est tapissé de résine polymère (pour l’étanchéité).

Disponible à la pompe… mais rarement

Pour un véhicule à pile à combustible, le plein nécessite environ 5 kilos d’hydrogène, mis sous pression à 350, 550 ou 700 bars (selon les véhicules), et il ne prend que quelques minutes. Sur la base d’1 kg de dihydrogène aux 100 km, la facture du trajet s’élève actuellement à 15 euros contre environ 10 euros pour une voiture à essence. Autre problème : le réseau de distribution est encore très peu développé. La France disposait d’un réseau de 41 stations à hydrogène fin novembre 2020*, dont une grande partie en accès privé, réservé à des entreprises. À titre de comparaison, les stations de carburant sont au nombre de 11 000 sur l’ensemble du territoire.

* Source : Association française pour l’hydrogène et les piles à combustible (Afhypac)

Image légendée
© Mauritius Images GmbH / Alamy / Hemis

Abondant… mais pas sur Terre

Présent en grandes quantités dans l’Univers, l’hydrogène est paradoxalement quasi inexistant sur Terre sous sa forme gazeuse.

C’est tout le paradoxe de l’hydrogène : il est à la fois abondant… et rare. Abondant parce que c’est l’un des tout premiers atomes apparus dans l’Univers, dans les fractions de seconde qui ont suivi le Big Bang il y a 13,8 milliards d’années, et qu’il reste l’élément chimique le plus présent, de très loin, avec à lui seul 74 % de la masse totale de l’Univers visible. On le trouve dans l’espace interstellaire, et c’est le « carburant » de la formation des galaxies : il est notamment le principal constituant des étoiles, comme notre Soleil. Mais sur Terre en revanche, l’hydrogène se fait rare. Du moins sous sa forme gazeuse (la molécule de dihydrogène : H2), celle que l’on utilise dans les piles à combustible. Le dihydrogène est bien présent dans l’atmosphère, mais en quantités infimes : 0,000055 % en volume, loin derrière l’azote (78 %), l’oxygène (21 %), l’argon (0,93 %) ou encore le CO2 (0,04 %). Il est si léger qu’il s’échappe dans l’espace. Ce qui explique que, sur Terre, l’hydrogène étant par ailleurs extrêmement sensible et réactif, on ne le trouve généralement qu’associé avec d’autres atomes pour former des composés chimiques, comme l’eau (H2O) ou des hydrocarbures, comme le méthane (CH4). Ce qui nécessite une étape préliminaire de production pour extraire le dihydrogène de ces différentes formes, avant de pouvoir l’utiliser.

Des réserves naturelles… mais pas exploitables

On sait, depuis les années 70, que de l’hydrogène s’échappe de certaines dorsales océaniques, mais à des profondeurs telles que son exploitation apparaît difficilement envisageable. Récemment, des sources naturelles d’hydrogène ont été identifiées aux Philippines, en Turquie et en Russie. Mais elles sont peu nombreuses, et les émanations trop faibles pour être exploitées. Ces sources naturelles sont parfois trahies par la présence de « trous de sorcières », des cuvettes dénuées de végétation pouvant atteindre plusieurs kilomètres de diamètre : au fil du temps, l’infiltration de l’hydrogène dans le sol provoque sa déstructuration, son tassement et sa stérilité.

Image légendée
© Alain Prinzhofer

Un vecteur d’électricité… mais difficile à stocker

L’hydrogène pourrait notamment servir à lisser les fluctuations récurrentes du réseau électrique. Mais le procédé fait encore débat.

Instrument privilégié de transition vers une mobilité décarbonée, l’hydrogène pourrait aussi régler le problème du stockage transitoire de l’énergie à grande échelle. Le principe est plutôt simple, du moins sur le papier : lorsqu’une centrale électrique (nucléaire, à charbon, éolienne ou solaire) produit plus d’électricité que ce qui est consommé sur le réseau, ce surplus peut être utilisé pour produire de l’hydrogène, par électrolyse de l’eau. Cette réserve d’hydrogène pourrait ensuite être utilisée pour restituer de l’électricité à l’aide d’une pile à combustible, lors de pics de consommation. Cette technique permettrait notamment de compenser les fluctuations de production des énergies renouvelables intermittentes (solaire, éolien), qui ne produisent pas forcément l’électricité au moment où on en a le plus besoin. En pratique, cela signifie qu’il faudrait disposer d’installations de conversion électricité/hydrogène de grandes capacités, pas trop coûteuses, et être capable de stocker de grands volumes d’hydrogène. Une piste envisagée consisterait à l’injecter dans des cavités salines souterraines creusées dans le sous-sol jusqu’à 2 km de profondeur, le sel formant une barrière naturelle étanche. Une solution déjà utilisée pour le stockage de gaz naturel, mais qui se heurte souvent – dans le cas de l’hydrogène – à l’inquiétude des riverains, par crainte de fuites ou d’explosion.

Image légendée
© Bruno Celica

Première centrale à hydrogène… mais peu puissante

Cette centrale électrique, inaugurée en décembre 2019 au Lamentin, en Martinique, est la première installation au monde à utiliser l’hydrogène généré par la raffinerie de pétrole SARA (à laquelle elle est accolée) pour fabriquer de l’électricité, ensuite injectée dans le réseau martiniquais. Cet hydrogène dit « fatal » – issu du processus de raffinage – est habituellement brûlé, faute de valorisation. Cette centrale expérimentale est dotée d’une des plus grosses piles à combustible actuellement en activité dans le monde. Elle ne développe cependant que 1 mégawatt (MW), très loin des 900 MW (au minimum) des réacteurs des centrales nucléaires françaises.


Un enjeu international

Comment l’hydrogène va-t-il modifier la géopolitique mondiale de l’énergie ? L’analyse de Cédric Philibert, spécialiste de l’énergie décarbonée et du climat à l’Institut français des relations internationales (Ifri). Durée : 3 min