La demande croissante en ressources métalliques pousse l’industrie à se tourner vers un nouveau type de filon, découvert au XIXe siècle mais jusqu’ici préservé : les ressources marines profondes. Situées à plusieurs milliers de mètres sous la mer, ces réserves sont le fruit de processus géologiques sous-marins extrêmement lents. Leur inventaire reste toutefois très parcellaire et continue de faire l’objet de campagnes d’exploration organisées par les pays disposant d’importants territoires maritimes comme les États-Unis, la France ou l’Australie. L’exploitation de ces gisements, très différents des filons terrestres, exige le développement de technologies spécifiques et coûteuses. Mais leur richesse en minerais attise d’ores et déjà les convoitises : la première mine sous-marine du monde devrait entrer en service dès 2019, au large de la Papouasie–Nouvelle-Guinée. Avec des risques encore mal connus pour les écosystèmes du monde abyssal.

HMS Challenger, une découverte historique

C’est à une expédition océanographique anglaise que l’on doit la découverte de l’omniprésence des ressources métalliques sous-marines. Organisée par la Royal Society de Londres, l’expédition HMS Challenger parcourt, entre 1872 et 1876, près de 130 000 km à travers les océans Atlantique, Austral, Indien et Pacifique, en sondant et en draguant les fonds. Elle décèle ainsi l’existence de vastes champs de nodules polymétalliques au fond de la plupart des océans. La découverte des deux autres types de gisements sous-marins est beaucoup plus récente. Les premiers « encroûtements » ont été identifiés en 1971 en Polynésie française, et les premiers « sulfures hydrothermaux » actifs en 1978 au large du Mexique.

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© akg-images / SPL

Des abysses très convoités

Enjeux géopolitiques et pression sur les gisements terrestres renforcent l’intérêt pour les ressources minérales du fond des océans.

Selon le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), l’extraction globale de minerais a été multipliée par 27 au cours du XXe siècle : la production de cuivre par 36, celle d’acier (à base de fer) par 57, celle de phosphates par 70 et celle d’aluminium... par environ 7 000 ! La demande mondiale en métaux rares – essentiels aux technologies numériques ou renouvelables grâce à leurs propriétés physico-chimiques uniques (conductivité, magnétisme, rayonnement...) – ne cesse elle aussi d’augmenter. Il faut ainsi pas moins de 60 éléments chimiques (sur les 118 du tableau périodique de Mendeleïev) pour fabriquer des ordinateurs, des tablettes et des smartphones : des terres rares (europium, terbium) pour les écrans, de l’argent, du bismuth, de l’yttrium et du zirconium pour les cartes électroniques, du lithium et du cobalt pour les batteries... Et ce n’est pas fini ! La population mondiale va passer de 7,5 milliards d’individus aujourd’hui à presque 10 milliards en 2050, selon l’Onu. Or, cette croissance démographique s’accompagne d’une hausse de la consommation de produits manufacturés. De quoi faire peser un risque de pénurie sur des métaux rares ou de plus en plus coûteux à extraire, comme le cuivre ou le platine. Sans compter que l’approvisionnement de certains métaux, comme les terres rares, est assujetti à des contraintes géopolitiques importantes, leur lieu de production principal étant la Chine. Avec le recyclage des métaux terrestres, les ressources minérales sous-marines sont une des pistes envisagées pour faire face à cette situation critique.

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© IFREMER

Les nodules : des boules posées sur le plancher océanique

Ces concrétions rocheuses de cinq à dix centimètres de diamètre sont principalement composées d’hydroxydes de manganèse et de fer. La formation d’une épaisseur d’un centimètre nécessite plusieurs millions d’années. Plusieurs techniques d’exploitation des nodules ont été étudiées, mais aucune n’a pour l’instant été testée : les champs de nodules les plus riches gisent par 4 000 mètres de fond, là où les machines devraient résister à 400 fois la pression atmosphérique. Des contraintes extrêmes qui, aujourd’hui, excluent tout espoir de rentabilité.

À qui appartiennent ces réserves ?

Chaque État ayant accès à la mer est propriétaire des ressources jusqu’à 200 milles des côtes. Au-delà, les réserves font partie du patrimoine mondial.

Entrée en vigueur en 1994, la Convention des Nations unies sur le droit de la mer stipule que chaque État côtier est propriétaire de l’espace maritime qui s’étend jusqu’à 200 milles marins (environ 370 km) de ses côtes. Ce domaine, appelé « zone économique exclusive » (ZEE), définit les limites dans lesquelles un État peut disposer des ressources minérales sous-marines qui s’y trouvent, sans avoir de compte à rendre. À l’instar de la Papouasie–Nouvelle-Guinée, qui a donné son feu vert à l’exploitation de la mine de Solwara 1 située dans ses eaux territoriales. Les pays avec les plus vastes ZEE sont, dans l’ordre, les États-Unis, la France, l’Australie, la Russie et le Royaume-Uni. Mais certaines eaux dites « internationales » n’appartiennent à aucun État. Elles représentent plus de 60 % de la surface totale des océans. Leur exploitation et même leur exploration sont sous le contrôle de l’Autorité internationale des fonds marins, sous l’égide des Nations unies. À ce jour, elle a accordé 27 contrats d’exploration, dont deux à la France (via l’Ifremer), pour l’étude des nodules dans le Pacifique et des sulfures dans l’Atlantique. L’objectif de ces explorations consiste le plus souvent à tenter d’évaluer les quantités de minerais présentes en analysant leur étendue et leur richesse, des données pour l’instant très mal connues (vu leur difficulté d’accès), mais indispensables avant toute activité minière. Aucun permis d’exploitation n’a pour l’instant été délivré dans ces eaux, dont les ressources sont considérées comme « patrimoine commun de l’humanité » et donc protégées.

Sulfures métalliques : des cheminées d’eau chaude

Les systèmes hydrothermaux sous-marins participent à la dissipation de la chaleur issue du manteau terrestre, situé sous la croûte océanique, et siège de l’activité magmatique. L’eau de mer s’infiltre dans les roches, se réchauffe, puis est ré-éjectée dans l’eau froide. Ces processus à l’œuvre près des dorsales océaniques à environ 2 000 mètres de profondeur donnent naissance à des cheminées (« fumeurs noirs ») d’où s’échappent des panaches riches en sulfures métalliques. Des dizaines de milliers d’années sont nécessaires pour former un dépôt de 100 mètres de diamètre et de 50 mètres de haut. Les plus grosses formations peuvent atteindre quelques centaines de mètres de diamètre pour plus de 70 mètres de hauteur.

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© NOAA

Des ressources très riches en minerais

« Nodules », « sulfures » et « encroûtements » : le tiercé gagnant des ressources riches en métaux dans les gisements sous-marins du futur.

Certaines ressources font déjà l’objet d’une exploitation sous-marine, comme les diamants au large de la Namibie, mais à des profondeurs n’excédant pas quelques centaines de mètres. L’enjeu aujourd’hui est d’une autre nature puisqu’il s’agit d’atteindre des gisements situés dans les grands fonds marins, de 1 000 à plus de 6 000 mètres de profondeur, très difficiles à exploiter vu l’énorme pression qui règne dans les abysses. Avantage : leur mécanisme de formation leur confère une richesse en métaux exceptionnelle, jusqu’à 20 fois supérieure à celle des filons continentaux. Premier type de gisement : les dépôts ou « encroûtements » qui recouvrent les reliefs sous-marins et renferment surtout cobalt, mais aussi fer, manganèse, platine, nickel, or, argent, cuivre et terres rares. Deuxième type de gisement : des petites concrétions rocheuses appelées « nodules polymétalliques » riches en fer, manganèse et nombreux autres métaux, situées le plus souvent dans les plaines abyssales, entre 3 000 et 5 000 mètres de profondeur. Enfin, dans les zones volcaniques sous-marines, à près de 2 000 mètres de profondeur, des cheminées nommées « fumeurs noirs » recrachent une eau chaude (300 °C) chargée de sulfures métalliques issus des roches profondes. Au contact de l’eau de mer, ces sulfures précipitent, formant sur le fond marin des dépôts riches en cuivre, plomb, zinc, or et argent. C’est cette ressource qui sera la première exploitée en 2019, dans la mer de Bismarck au large de la Papouasie–Nouvelle-Guinée.

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© Nautilus Minerals

Des robots téléguidés depuis la surface

Pour l’exploitation des sulfures hydrothermaux de la première mine sous-marine, Solwara 1 (Papouasie–Nouvelle-Guinée), par 1 600 mètres de profondeur, Nautilus Minerals a mis au point trois types d’engins inspirés de ceux utilisés dans les mines terrestres et dans l’industrie du pétrole et du gaz offshore. Sur la photo, « Auxiliary cutter », le premier à entrer en action, pour fragmenter le relief sous-marin. Le « bulker cutter » retravaille ensuite ces débris et forme des monticules. Enfin, la « collecting machine » aspire le minerai et le fait remonter vers le bateau-usine. Les trois engins sont alimentés et pilotés depuis la surface, par liaison filaire.

Quels impacts au plan environnemental ?

L’exploitation des fonds marins fait peser une menace réelle sur ces écosystèmes riches, fragiles, et souvent propres aux grandes profondeurs.

L’extension de l’activité minière aux fonds marins soulève évidemment la question des risques environnementaux. Car aux profondeurs concernées (de 1 000 à plus de 6 000 mètres), les biologistes ont identifié une faune et une flore riches (poissons, éponges, anémones, crustacés, coraux, bactéries…) et propres à ces milieux. Cet écosystème pourrait être déstabilisé par la destruction des habitats, la mise en suspension de sédiments, les vibrations occasionnées par les machines et la lumière générée par l’exploitation. Un rapport d’expertise commandité par le ministère français de l’Environnement et piloté par le CNRS et l’Ifremer a conclu en 2014 que « si les techniques d’exploration sont bien connues et leur faible incidence sur les environnements profonds vérifiée, il n’en va pas de même pour les techniques d’exploitation envisagées, pour lesquelles il est très difficile d’obtenir des industriels des paramètres précis, soit que ceux-ci relèvent du secret industriel, soit qu’ils restent très mal évalués. » En 2015, Nautilus Minerals a publié un rapport concluant que l’impact socio-environnemental de sa future mine, Solwara 1, serait moins important que celui d’une exploitation terrestre à production équivalente, le site marin occupant une surface restreinte (14 ha) comparée aux mines terrestres (800 ha pour la plus grande mine de cuivre du monde à Chuquicamata, au Chili). Un argument qui ne convainc pas les biologistes des milieux abyssaux, qui craignent un bouleversement irréversible des écosystèmes. Quant à l’impact sur la pêche artisanale, et plus largement sur les populations, on reste à ce stade dans l’inconnu.

Encroûtements : des dépôts riches en cobalt

Pouvant s’étendre sur plusieurs kilomètres carrés, ces dépôts sous-marins sont jusqu’à 10 fois plus concentrés en cobalt que les gisements terrestres. L’étude de ces processus, parmi les plus lents connus sur Terre (la formation d’un encroûtement de 20 centimètres d’épaisseur peut nécessiter jusqu’à 60 millions d’années), est aussi utilisée par les scientifiques comme archive paléo-océanographique, pour mesurer les changements globaux sur de grandes échelles de temps, comme par exemple les variations climatiques, les variations de circulations océaniques, le cycle du carbone et les flux provenant de l’érosion des continents.

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© Ifremer - Philippe SAGET

Une première mine exploitée dès 2019

La Papouasie–Nouvelle-Guinée a délivré un permis à l’entreprise canadienne Nautilus Minerals pour l’exploitation de la première mine sous-marine.

La première mine sous-marine profonde du monde devrait entrer en service en 2019. Baptisée Solwara 1, elle se situera à 1 600 mètres de fond dans la mer de Bismarck, à environ 30 km des côtes de la Papouasie–Nouvelle-Guinée, au nord de l’Australie. Le permis, délivré en 2011 à l’entreprise minière canadienne Nautilus Minerals, l’autorise à exploiter un gisement de sulfures hydrothermaux contenant d’importantes quantités de cuivre (estimées à 16 790 tonnes) mais aussi d’or (26,6 tonnes), de zinc et d’argent. Selon les calculs de Nautilus Minerals, les surcoûts d’exploitation du fait de la profondeur, mais aussi de l’acidité et des hautes températures (plus de 300 °C à la sortie des cheminées) devraient être compensés par la richesse du minerai. Sa teneur en cuivre est en effet estimée à environ 7 %. À titre de comparaison, les mines de cuivre terrestres affichent une teneur de 0,5 % en moyenne. Solwara 1 contient également 6 grammes d’or par tonne en moyenne, soit 6 fois plus que la plus grande mine d’or terrestre du monde, également située en Papouasie–Nouvelle-Guinée. L’entreprise minière annonce que l’ensemble des machines d’extraction sous-marine sont prêtes et que le navire-usine est construit à 70 %, le coût total s’élevant à plusieurs centaines de millions d’euros. Un autre pays, la Nouvelle-Zélande, a également été sollicité pour un projet de mine près de la fosse des Kermadec, sur la ceinture de feu du Pacifique. Mais à ce jour, le permis d’exploitation a été refusé.


Quelles sont les réserves sous-marines profondes de la France ?

Les explications de Ewan Pelleter, géologue au Laboratoire cycles géochimiques et ressources (Ifremer).