Les jeux de balle au pied existent depuis l’Antiquité et ont évolué durant des millénaires pour devenir, au milieu du xixe siècle, l’un des sports les plus populaires au monde : le football. Aujourd’hui, on est loin du ballon en peau d’animal rempli de plumes ou de la vessie de porc gonflée rebondissante... Les ballons se font légers, les chaussures sont moulées aux pieds des joueurs, les trajectoires des buts sont décryptées, les footballeurs sont bardés de capteurs, les entraîneurs se fient aux statistiques et même les stades sont devenus écologiques. Depuis quelques années, la science a fait une entrée fracassante dans le monde du football : biomécaniciens, médecins, physiciens, généticiens, ingénieurs, sociologues, tous décryptent le terrain, l’arbitrage, le joueur, le supporteur. Comment les scientifiques améliorent-ils les performances des joueurs ? Peut-on fabriquer des « génies du foot » ? Quelles sont les dernières techniques d’arbitrage vidéo ? À l’heure de la Coupe du monde de football 2018, place au techno-foot !

Les génies du foot

Quels que soient les apports de la science, le football a eu et aura toujours ses génies. Parmi les grandes figures du football entrées dans la légende de ce sport, il y a Pelé, Kopa, Yachine, Platini, Beckenbauer, Maradona, Sócrates, Zidane, Messi, Neymar, et peut-être bientôt Kylian Mbappé (photo)… En 2013, le journaliste américain David Epstein(1) rouvre le débat sur la part de l’inné et de l’acquis dans le sport de haut niveau, en recensant plus de 200 gènes liés de près ou de loin à la performance physique. Par exemple, le gène ACTN3, aussi appelé « gène du coureur », incite le corps à produire une protéine qui aide les muscles à générer l’énergie nécessaire aux contractions répétées.

(1) The Sport Genes, Penguin

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© Simon Morcel/FFF

Le tir du ballon décrypté

« Balles flottantes » ou « pointus », les figures de style des footballeurs intéressent les physiciens.

Difficile d’imaginer que le sport le plus populaire du monde puisse servir de support à des recherches en physique. Et pourtant, le football est à l’origine de nombreuses études. Depuis 2010, l’analyse des trajectoires et des impacts mobilise les physiciens des milieux déformables, en particulier pour étudier le phénomène de « balle flottante ». Lorsque la vitesse du ballon dépasse trente mètres par seconde, la force aérodynamique l’emporte sur la gravité et la rotation du ballon intervient alors sur sa trajectoire. Dans ce cas, elle se courbe de façon trompeuse pour le gardien de but, à l’image de célèbres coups francs tirés, par exemple, par Roberto Carlos ou Michel Platini ; et, plus proches de nous, par Antoine Griezmann, Paul Pogba ou Gareth Bale. Autre exemple d’une meilleure compréhension du jeu grâce à la physique : quelle que soit la puissance avec laquelle le joueur tape dans le ballon, la balle revient au sol à une distance maximale d’environ cent mètres. Il existe donc un « mur » aérodynamique au-delà duquel le ballon ne peut pas aller. Voilà pourquoi la longueur d’un terrain de foot oscille autour de cent mètres. Le « pointu » est aussi un objet d’études pour les physiciens. Avec ce geste technique, illustré par le but mémorable de Ronaldinho en Ligue des champions contre Chelsea en 2005, seul le bas de la jambe est utilisé pour prendre de l’élan, permettant un tir très rapide. Après l’impact, le ballon quitte systématiquement la chaussure avec une vitesse deux fois supérieure à celle du pied. Ainsi, malgré la précision moindre du geste, le « pointu » s’avère être le tir d’urgence par excellence.

Le jeu du ballon

Les précurseurs en matière d’études scientifiques liées au football sont sans conteste les statisticiens anglais Reep et Benjamin. Suite à de nombreuses observations menées de 1953 à 1967, ils prouvent que la probabilité de perdre le ballon (sur la photo, celui de la Coupe du monde 2018) augmente fortement après trois passes. Aujourd’hui, plus que jamais, les managers suivent de près les analyses et conseils des statisticiens pour adapter les entraînements et sélectionner les joueurs lors des matchs. Y compris au Barça, le club de foot de la capitale catalane, qui est le champion de la conservation du ballon et du nombre de passes… sans le perdre !

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© David Shutterland/Getty

Des supporters sous l’œil des scientifiques

Pourquoi des individus de divers horizons s’unissent-ils pour soutenir une équipe ? La question intéresse les sciences humaines et les neurosciences.

Pour les personnes qui n’aiment pas le foot, difficile de comprendre cette liesse collective qui s’empare des supporters à la moindre passe réussie par leur club ! En fait, une certaine classe de neurones (les neurones miroirs impliqués dans l’apprentissage par imitation) serait activée dans le cerveau des supporters lors de ces moments cruciaux. Les phénomènes « d’imitation du voisin » et de bonheur collectif observés dans les stades de foot seraient-ils donc dictés par nos neurones ? Une approche forcément réductionniste, le déroulé d’un match de football vu depuis les tribunes présentant des spécificités non explicables par les seules neurosciences, nous disent les sciences humaines. Les travaux de l’anthropologue Christian Bromberger ont ainsi démontré que le public du stade de football ne forme pas une masse homogène d’individus : ils peuvent être classés selon leur degré d’adhésion à un club, du supporter occasionnel à « l’ultra » qui manifeste de façon spectaculaire le soutien à son équipe. Le stade peut dès lors être vu comme un système d’articulation de réseaux. Dans chaque réseau (tribunes, virages, quarts de virage...) s’expriment collectivement, quoique sur des modes différenciés, les valeurs du groupe auquel les individus appartiennent.

Les stades verts du foot

En octobre 2012, le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) dénonçait l’organisation défaillante du Mondial en Afrique du Sud en matière d’écologie. Forts de ce constat, le Brésil en 2014 et la Russie en 2018 se sont engagés à réduire les impacts environnementaux. Pour cette vingt et unième édition de la Coupe du monde, le stade Loujniki, qui accueille le match d’ouverture et la finale, a par exemple été entièrement rénové avec pour conséquence une économie importante d’eau et d’énergie. L’utilisation de LED permet notamment de réduire la consommation d’électricité.

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Femmes et hommes, l'égalité en question, Insee 2017, Recherche, sciences et stéréotypes. Ipsos/La Recherche, 2017

L’arbitrage fiabilisé, mais déshumanisé ?

La vidéo fait son entrée dans les stades pour aider l’arbitre dans certaines situations de jeu complexes. Une technologie non dépourvue de risques…

L’œil humain a ses limites. Dans certaines situations où le ballon ressort de la cage du goal – à la suite d’une trajectoire ou d’un rebond particuliers –, le doute sur le franchissement de la ligne de but est possible : le ballon doit rester au moins 60 millisecondes dans la cage pour que l’œil de l’arbitre puisse le percevoir. En 2010, la société mexicaine Agent avait développé un « ballon intelligent » avec GPS et caméra intégrée qui devait changer de couleur en cas de but, c’est-à-dire si l’intégralité du ballon franchissait la ligne. Mais ce projet n’a pas abouti. En revanche, la technologie sur la ligne de but (GLT en anglais) – avec des caméras braquées sur les cages et une alerte visuelle informant l’arbitre via une montre connectée dès que le ballon dépasse la ligne blanche – a fait son entrée officielle dans les stades lors de la Coupe du monde au Brésil en 2014. Mais elle est désormais complétée par l’arbitrage assisté par la vidéo (VAR en anglais), qui a déjà fait ses preuves au rugby. En mars 2018, la Fédération internationale de football (FIFA) a donné son feu vert à l’utilisation de ce dispositif lors de la Coupe du monde en Russie. L’arbitre du match peut s’appuyer sur des arbitres assistants vidéo pour vérifier un but, en situation de penalty, de carton rouge et pour vérifier l’identité d’un joueur sanctionné. Mais certains experts dénoncent d’ores et déjà les risques liés au recours de la vidéo dans les stades de foot : extension de son usage au moindre doute (penalty, hors-jeu…), jeu moins spectaculaire car entrecoupé d’arrêts vidéo, moindre légitimité de l’arbitre.

On gagne plus à domicile

Jouer à domicile présente l’avantage pour une équipe d’être encouragée par une foule de supporters, ce qui accroît la motivation des joueurs. En outre, cela permet d’éviter la fatigue du voyage, d’où un gain de forme. Mais cela se traduit aussi dans l’organisme des joueurs. Une étude britannique montre ainsi que jouer à domicile induit une élévation du taux de testostérone (hormone favorisant la combativité), comparé au jeu à l’extérieur. Ce taux augmente de 40 à 67 % selon le niveau du rival : plus l’adversaire est difficile à battre, plus le taux est élevé.

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©Reuters/ Marcos Brindicci

Les stratégies de récupération physique

Rotation des joueurs, nutrition et sommeil sur mesure, immersion en eau froide : tout est mis en œuvre pour que les footballeurs récupèrent vite.

Dans le football de haut niveau, les joueurs sont appelés à enchaîner les matchs : certains jouent jusqu’à 70 matchs par saison ! La récupération totale des capacités physiques est un enjeu crucial, car une récupération incomplète peut entraîner des contre-performances voire des blessures. Un joueur de football subit en moyenne une blessure sérieuse tous les 25 matchs. Il faut savoir qu’un footballeur court plusieurs kilomètres par match : cinq en moyenne pour un gardien, douze pour un milieu défensif. À cela s’ajoutent les sprints, les changements rapides de direction et de vitesse, les sauts et les duels entre joueurs, ainsi que les actions techniques comme le dribble ou le tir au but. Autant de motifs de déshydratation, d’épuisement des réserves énergétiques (glycogène) et de lésions musculaires. Les entraîneurs ont donc mis en place des stratégies de rotation des joueurs en fonction de leur poste. De plus, l’hydratation et l’apport énergétique par la nutrition sont extrêmement contrôlés : les diététiciens font aujourd’hui partie intégrante des équipes d’entraînement. La gestion des plages de sommeil fait également l’objet de plannings individuels. Enfin, la technique de l’immersion en eau froide, qui consiste à passer dix minutes dans un bain à dix degrés après l’effort, a un triple effet : diminution de l’inflammation, réduction des douleurs musculaires et vasoconstriction au niveau des jambes. D’où une meilleure récupération.

La biomécanique du champion

Pour le footballeur, l’étude du mouvement peut se faire au laboratoire ou en condition de jeu. Des capteurs posés sur le joueur permettent de reconstituer le mouvement en trois dimensions. Grâce aux données recueillies, on calcule ensuite la vitesse et les accélérations du sportif. Ces études biomécaniques permettent d’individualiser l’entrainement et de viser une performance supérieure avec moins d’énergie. On peut également déduire des probabilités de blessures, et travailler des gestes techniques moins traumatisants pour les articulations.

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© Peter Ginter/Bilderberg/TCShecoverstory/MAXPPP

Du big data derrière le football

« Pour la Coupe du monde 2018, les données des joueurs sont disponibles en temps réel depuis le banc de touche », constate Grégory Dupont (Insep et cellule Performance de la FFF).

La lutte contre le dopage en France

Testostérone, hormone de croissance, morphine… Pas plus que les autres sports de compétition, le football de haut niveau n’échappe au dopage.

L’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) procède tout au long de la saison à des prélèvements urinaires et sanguins pour détecter la présence de produits dopants chez les athlètes. La testostérone – hormone qui augmente la masse et la puissance musculaires, mais qui peut entraîner des désordres hormonaux tels que le développement des seins chez l’homme – compte pour 35 % des cas de dopage chez les footballeurs français. D’après les données recueillies par l’AFLD, sur un total de 548 footballeurs testés, 37 étaient dopés (soit 6,7 %), dont treize avec de la testosté- rone et onze positifs au cannabis, qui calme la douleur, mais provoque une baisse de la vigilance et des troubles de la mémoire. Les autres produits dopants se partagent entre les hormones de croissance, qui améliorent la performance et la récupération après l’effort, la terbutaline, un bronchodilatateur qui facilite la respiration, la morphine qui recule le seuil de la douleur et la prednisolone qui agit comme anti-inflammatoire. Depuis 2014, afin de renforcer le contrôle du dopage, l’AFLD a mis en place le passeport biologique de l’athlète, déjà utilisé dans certains pays. Ce suivi personnalisé de certains paramètres biologiques tout au long de la carrière du sportif permet de détecter des variations anormales qui seraient signe de dopage (comme une augmentation de globules rouges suite à la prise d’érythropoïétine, l’EPO).

Quand le foot se féminise...

Moins résistantes dans la course sur les longues distances, les footballeuses (ici, la Française Corine Franco et la Colombienne Oriánica Velásquez aux JO de Londres en 2012) ne développent pas le même jeu que leurs homologues masculins. Selon Pierre Lo rca, formateur en Staps à l’université Lyon 1, lorsqu’elles attaquent, les femmes exploitent davantage le couloir central pour optimiser les distances de courses. Les hommes, eux, empruntent plutôt les couloirs latéraux avant de centrer. Pour que les deux sexes jouent en conditions réelles d’égalité, il faudrait donc que le terrain des femmes soit plus petit. Hormis cela, femmes et hommes se retrouvent à égalité sur le raisonnement tactique et la coordination des gestes.

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© Reuter/Nigel Roddis