Méditation : que dit la science ?
Le succès de cette pratique ancestrale interroge scientifiques et médecins. Ils multiplient les études afin de comprendre les réels effets de la méditation sur notre santé.
Enquête de Bruno Bucher - Publié le
Pratiquée par plusieurs religions d’Orient depuis cinq millénaires, la méditation rencontre aujourd’hui un succès croissant en Occident sous une forme laïcisée, la pleine conscience. Elle a été introduite dans certains hôpitaux comme accompagnement thérapeutique, mais aussi dans des écoles, des entreprises, des prisons... et même à l’Assemblée nationale en France où les députés, comme leurs homologues britanniques, se voit proposer depuis début 2018 des séances de méditation. De nombreuses études scientifiques évaluent ses bienfaits sur la santé : amélioration de l’attention, meilleure résistance au stress, lutte contre les rechutes dépressives, les troubles du sommeil, les douleurs chroniques et les inflammations. Et de nouvelles études sont en cours pour évaluer le rôle qu’elle pourrait jouer contre le vieillissement cérébral et cellulaire. Toutes ces recherches sur la méditation s’inscrivent dans une nouvelle approche de la médecine qui s’intéresse aux liens étroits et complexes entre notre esprit et notre corps.
Au service de la performance en entreprise !
Effet de mode porté par la vague New Age pour certains, la méditation est, pour d’autres, une technique de maîtrise du corps et de l’esprit ultra bénéfique. Elle connaît aujourd’hui un succès fulgurant, notamment dans les entreprises de la Silicon Valley (Apple, Facebook, Google…) aux États-Unis. En améliorant le bien-être des salariés, la méditation est devenue un nouvel outil pour augmenter la productivité. Par ailleurs, certains critiquent la dérive commerciale de la méditation telle qu’elle est parfois visible dans les magazines, aux côtés de la mode du détox ou de l’esthétique zen.
Méditer... en pleine conscience
Scientifiques et médecins s’intéressent à une forme non religieuse de méditation qui fait de plus en plus d’adeptes dans le monde.
Plus de 20 millions de personnes pratiqueraient la méditation dans le monde*. Cette tradition millénaire venue d’Orient s’est répandue en Occident sous une forme laïcisée : la méditation dite de pleine conscience. C’est l’Américain Jon Kabat-Zinn, chercheur à l’école de médecine de l’université du Massachusetts, qui en 1979 a recouru pour la première fois à cette pratique pour lutter contre le stress. Comment ? En mettant au point un programme très structuré (MBSR**) d’une durée de huit semaines, combinant une séance hebdomadaire de deux heures et demie en groupe avec un entraînement quotidien de 45 minutes à domicile. En quoi consiste ce travail mental ? Comme l’expliquent les adeptes de la méditation, « méditer, ce n’est pas se replier sur soi ni faire le vide dans sa tête ». Il s’agit au contraire de « laisser venir le flux de ses pensées, sans les analyser ni les juger, sans ruminer les angoisses du passé ni du futur ». L’objectif étant de focaliser son attention sur l’instant présent et sur ses sensations corporelles. Depuis sa création, et grâce au développement des techniques d’imagerie cérébrale, la méthode MBSR a fait l’objet de multiples évaluations scientifiques, qui en ont relevé les effets positifs. Ainsi, plusieurs centaines d’hôpitaux et cliniques dans le monde – dont une dizaine en France – proposent la méditation comme thérapie complémentaire. L’université de Strasbourg a même mis en place en 2012 un diplôme de « médecine, méditation et neurosciences ».
Que se passe-t-il dans la tête d’un méditant ?
Le Français Matthieu Ricard, moine bouddhiste et docteur en génétique moléculaire, est l’un des experts en méditation qui a le plus participé à des études scientifiques. Le casque d’électroencéphalographie (EEG) qu’il porte pendant ses séances de méditation détecte des variations de certaines ondes cérébrales. Les chercheurs ont notamment observé une amplification des ondes gamma qui contribuent à synchroniser l’activité de zones très éloignées du cerveau. Cette synchronisation jouerait un rôle dans la perception consciente de notre environnement et dans les processus d’attention sélective.
Des effets jusque dans l’ADN
Les bienfaits de la méditation sont visibles au niveau moléculaire, dans certains gènes et marqueurs épigénétiques.
L’influence de la méditation s’observe jusque dans le fonctionnement de notre génome. Méditer peut en effet modifier l’expression de certains gènes, par exemple ceux impliqués dans le métabolisme général des cellules, plus activés chez des méditants, même débutants. À l’inverse, les gènes exprimés lors d’un stress oxydatif qui endommage les cellules sont moins activés (1). La méditation réduit aussi l’expression de gènes liés à l’inflammation, grâce vraisemblablement à une meilleure régulation du taux de cortisol, l’hormone du stress (2). La méditation influe aussi sur notre « horloge épigénétique ». Il s’agit de marqueurs chimiques (groupes méthyles) qui s’ajoutent à l’ADN et modulent l’expression de nos gènes. Le rythme de cette méthylation de l’ADN – qui dépend notamment de notre environnement et de notre mode de vie – peut avoir des effets sur la santé. Une méthylation trop rapide augmenterait, par exemple, le risque de maladies chroniques. Or, en 2017, une étude montre qu’une pratique régulière de la méditation peut ralentir cette « horloge épigénétique » dans les cellules du système immunitaire (3). Enfin, la méditation, par son action anti-stress, pourrait freiner le vieillissement de nos cellules. Les méditants présentent en effet un taux plus élevé de télomérase, une enzyme qui joue un rôle crucial dans la réparation des chromosomes (4). Cette enzyme a valu le prix Nobel de médecine 2009 à ses découvreurs.
Une collaboration entre science et bouddhisme
Dès les années 1980, le dalaï-lama apporte son soutien aux scientifiques qui cherchent à comprendre comment la méditation agit sur le cerveau. Mais ce n’est qu’au début des années 2000, avec le développement des techniques de neuro-imagerie (scanner, IRM), que des études de grande ampleur sont menées avec des méditants experts : des moines bouddhistes mais aussi des laïcs enregistrant au moins 10 000 heures de pratique (durée équivalant à une retraite bouddhiste de trois ans). C’est en comparant leur cerveau à celui des non-méditants que les chercheurs ont réussi à observer les effets de ce travail mental sur l’activité cérébrale.
Méditer pour bien vieillir ?
Une grande étude européenne a été lancée pour évaluer l’effet de la méditation contre le vieillissement cérébral.
Avec l’âge, notre cerveau perd chaque année 0,5 à 1 % de son volume. Cette atrophie touche des régions cérébrales impliquées dans la mémoire, l’attention et la planification des actions. Le stress, la dépression ou les problèmes de sommeil peuvent aggraver ce déclin cognitif et favoriser l’apparition de maladies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer. Or les zones du cerveau qui diminuent avec l’âge sont précisément celles qui sont renforcées par une pratique méditative régulière. Serait-il donc possible de freiner le vieillissement cérébral par la méditation ? Cette question est au centre d’une grande étude européenne, Silver Santé, qui a débuté en 2017 au CHU de Caen et dont le pilotage est assuré par l’Inserm. Réparties en trois groupes, 150 personnes âgées de plus de 65 ans non-méditantes vont, pendant 18 mois, soit pratiquer la méditation, soit apprendre l’anglais, soit ne rien faire de particulier. Ces volontaires seront suivis avec des examens réguliers d’imagerie cérébrale et des tests sanguins. L’apprentissage des langues étrangères étant connu pour être un facteur protecteur contre le vieillissement du cerveau, cette expérience permettra de comparer les effets spécifiques de la méditation par rapport à une autre forme d’entraînement mental. Les résultats de cette étude inédite – par la taille de son échantillon et la durée de l’expérimentation – sont attendus pour fin 2019.
Une meilleure protection des chromosomes
L’extrémité de nos chromosomes est protégée par un capuchon appelé télomère (ici en rose). Lorsque nos cellules se renouvellent, elles recopient l’ADN des chromosomes. Mais au fil du temps, les télomères se raccourcissent et quand ils sont trop usés, la cellule meurt. Cependant, il existe une enzyme, la télomérase, chargée de les réparer, et qui ralentit par là-même le vieillissement des cellules. Alors que le stress chronique réduit l’activité de cette enzyme, une étude montre que chez les méditants experts, le taux de télomérase est 30 % plus élevé que chez les non-méditants, et les télomères de leurs chromosomes sont sensiblement plus longs.
D’abord, un remède anti-stress
En permettant d’apaiser notre esprit, la méditation a des effets bénéfiques sur le stress et pourrait même prévenir les rechutes dépressives.
L’un des premiers objectifs des programmes de méditation de pleine conscience est de lutter contre le stress. Pourtant, d’un point de vue biologique, le stress est une réponse adaptative qui nous permet de faire face à un danger. Lorsque notre cerveau détecte une menace, il déclenche une cascade d’hormones, en particulier du cortisol, qui accélère notre rythme cardiaque et notre respiration et aide notre corps à fuir ou à combattre. Dès que le danger est passé, le taux d’hormones revient à son niveau normal. Mais dans notre vie quotidienne, le stress peut devenir chronique. Dans ce cas, notre organisme se retrouve exposé à un niveau élevé de cortisol de manière prolongée, ce qui peut conduire à des pathologies : troubles cardiovasculaires, digestifs, affaiblissement du système immunitaire, altération de la mémoire… Or, diverses études menées notamment à l’hôpital général du Massachusetts de Boston montrent que la méditation de pleine conscience peut aider à stopper cet emballement hormonal. Une autre application thérapeutique de la méditation concerne le traitement des rechutes dépressives. Un groupe de psychologues a développé un programme de pleine conscience contre la dépression (MBCT*). Utilisée en complément des traitements classiques (psychothérapie et antidépresseurs), la méthode MBCT permet de réduire de 30 à 40 % le risque de rechute dépressive chez des personnes ayant déjà eu au moins trois épisodes dépressifs dans leur vie. Dans ces cas précis, elle permet aussi de réduire la dose des médicaments antidépresseurs.
Le test de stress
Pour mesurer l’impact de la méditation sur la gestion du stress, des chercheurs ont soumis 19 méditants expérimentés et 21 non-méditants à un faux entretien d’embauche face à un jury et une caméra. Puis ils leur ont demandé de réaliser des calculs mentaux. Des prélèvements de salive avant, pendant et après le test ont permis de mesurer le taux de cortisol, la principale hormone du stress. Résultat : les méditants experts reviennent plus rapidement à un niveau normal de cortisol après avoir subi un épisode stressant.
Une méthode miracle ?
Non, mais... L’évaluation des effets thérapeutiques de la méditation doit encore se poursuivre.
Les résultats des études sur les bienfaits de la méditation sur la santé sont prometteurs. Mais il faut les considérer avec précaution car il est beaucoup plus difficile d’évaluer scientifiquement la réelle efficacité des pouvoirs de l’esprit que de tester les propriétés thérapeutiques d’une molécule chimique. L’interprétation des données recueillies chez les personnes méditantes est en effet très délicate. Les bénéfices observés sont-ils apportés spécifiquement par la pratique méditative ou par l’état de bien-être qui peut aussi être atteint grâce à d’autres disciplines (la relaxation ou le yoga, par exemple), voire la pratique d’un sport ? Autre limite : la plupart des études sont réalisées sur des échantillons réduits de volontaires, quelques dizaines de personnes, et souvent non pas des méditants débutants mais des experts ayant entre 10 000 et 50 000 heures de pratique à leur actif. D’autres recherches devront être menées pour savoir à partir de quelle « dose » de méditation, et avec quelle régularité, de réels effets positifs sont observables au plan sanitaire ou médical. Selon ses partisans, même s’il reste encore beaucoup d’hypothèses à valider, la méditation de pleine conscience doit trouver sa place dans une médecine ouverte à une approche globale corps-esprit.
À l’hôpital, contre la douleur
Dans certains services hospitaliers (ici à l’hôpital Saint-Louis, Paris), la méditation de pleine conscience vise à aider les patients à mieux gérer la douleur. Des études scientifiques (1) montrent en effet que cette pratique permet de réduire l’anticipation anxieuse de la douleur, c’est-à-dire la peur d’avoir mal et donc de fait la perception de la douleur. En méditant, les patients sont aussi plus à l’écoute de leur corps, des symptômes de leur maladie, et des effets secondaires de leur traitement. Cette conscience particulière contribue à une meilleure personnalisation des soins.
Les zones du cerveau modifiées par la méditation
Pour lutter contre les rechutes dépressives…
Christophe André, psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne (Paris), considère la méditation comme une approche complémentaire aux psychothérapies et aux antidépresseurs.