Originaire de l’Altiplano en Amérique du Sud, la pomme de terre est l’une des clés de la sécurité alimentaire mondiale. Nutritive et relativement facile à cultiver, elle est déjà le troisième aliment le plus consommé au monde après le riz et le blé. Pour répondre à la croissance démographique des pays en développement et réduire la dépendance aux céréales, sa consommation est appelée à augmenter dans le futur. Or, les impacts du changement climatique commencent à se faire sentir sur le précieux tubercule. Afin de garantir la diversité des espèces et se prémunir contre les risques sur les récoltes (maladies, insectes ravageurs, gel, sécheresse...), des scientifiques conservent et analysent des milliers d’échantillons de pomme de terre. Reportage au Pérou dans la réserve naturelle du Parc de la patate et à Lima où se trouve le Centre international de la pomme de terre (CIP) qui collecte des variétés du monde entier.

Image légendée
©Gonterre

Des plants de qualité

Les racines de la pomme de terre peuvent former jusqu’à vingt nouveaux tubercules, clones de la plante mère. À partir d’un morceau de pomme de terre, il est ensuite possible de faire pousser une nouvelle plante. Les agriculteurs les plus pauvres conservent une partie de leur récolte à cet effet, au risque de récupérer des plants malades ou de mauvaise qualité. Ils n’ont pas les moyens d’acheter des semences certifiées. Un des défis des agriculteurs andins du Parc de la patate est de sélectionner et conserver des graines (contenues dans les fruits) ou des plants plus sains. Ils ont réussi à créer des variétés de bonne qualité, qui augmentent la production de 30 à 50 %.

Attention, culture sensible...

Le réchauffement climatique accentue les menaces de toutes sortes qui fragilisent les cultures de pomme de terre.

Si la pomme de terre a su s’adapter à des terroirs variés, elle doit faire face à diverses agressions. Insectes (doryphore, mouche mineuse…) et maladies (provoquées par des moisissures, bactéries, virus…) peuvent affecter brutalement les récoltes. Son plus redoutable ennemi est le mildiou. En France, cette maladie a provoqué une chute de rendement en 2016 (environ 10 %, selon l’Union nationale des producteurs de pommes de terre), du fait notamment des fortes pluies : causé par une moisissure, le mildiou se développe plus facilement avec la chaleur et l’humidité. Dans le monde, les pertes totales dues au mildiou (pertes de cultures et coût des fongicides) sont estimées à 2 milliards d’euros par an. Autre menace sur les cultures de pommes de terre : le réchauffement climatique. Il détruit déjà entre 10 et 20 % de la production annuelle en Amérique du Sud, selon l’Association latino-américaine de la pomme de terre (Alap). Les hausses de température réduisent la production d’amidon et donc la croissance des tubercules. Les sécheresses et la disparition de glaciers posent des problèmes d’approvisionnement en eau. Les maladies et les insectes migrent peu à peu en altitude, là où les pommes de terre étaient jusque-là protégées. Dans le Parc de la patate, les agriculteurs ont dû monter de 250 mètres en 30 ans et doivent désormais cultiver à plus de 4000 mètres. Outre le fait qu’à cette altitude le travail physique est épuisant, les sommets des Andes ne sont plus très loin et bientôt ils ne pourront pas monter plus haut.

Conservation au froid

Les variétés de pommes de terre sont conservées grâce à différentes méthodes. Les graines se gardent pendant 40 ans à -20 °C. Les jeunes pousses sont cultivées in vitro dans des éprouvettes stériles remplies d’un gel qui leur offre les nutriments dont elles ont besoin et freine leur croissance. Elles sont repiquées tous les deux ans. D’autres sont plongées dans de l’azote liquide à -196 °C (photo) et peuvent être « ressuscitées » après des centaines d’années ! On parle alors de cryo-conservation. Chaque échantillon stocké est doté d’un code barre et enregistré dans une base informatique. L’ADN de 6000 variétés de pommes de terre est également conservé à -70 °C.

Image légendée
©CIP
Image légendée
©Alice Pouyat

Une collaboration fructueuse

Les scientifiques du Centre international de la pomme de terre à Lima collaborent depuis 2005 avec les communautés agricoles du Parc de la patate. Ils ont « rapatrié » sur place plus de 400 variétés natives qui avaient été oubliées avec le temps. Ils aident les agriculteurs à sélectionner et conserver des semences de bonne qualité. Ensemble, agriculteurs et scientifiques étudient aussi, sur des parcelles réparties à différentes altitudes, les caractéristiques de ces différentes variétés pour déterminer les plus résistantes aux insectes ravageurs, aux maladies et aux changements climatiques.

Et les patates OGM ?

Les nouvelles variétés de pommes de terre créées au Centre international de la pomme de terre (CIP) à Lima sont en général issues d’un croisement. Mais le CIP a aussi développé une espèce génétiquement modifiée, avec un gène insecticide. Toutefois celle-ci n’a jamais été cultivée, compte tenu des nombreuses questions que soulèvent encore les OGM. Le Pérou a d’ailleurs voté en 2011 un moratoire de dix ans sur toutes les cultures OGM, de peur notamment de voir ses nombreuses variétés natives contaminées. Aujourd’hui, seuls les États-Unis ont délivré des autorisations de culture de pommes de terre OGM, mais elles ne sont pas encore sur le marché.

Image légendée
©CIP
Image légendée
©CIP

Des patates sur Mars ?

Dans le film Seul au monde de Ridley Scott, l’acteur Matt Damon plante des pommes de terre sur Mars. Fiction et bientôt réalité ? La Nasa et le Centre international de la pomme de terre (CIP) ont lancé en janvier 2016 des recherches sur leurs capacités d’adaptation sur la planète rouge. Les essais se font dans une zone désertique du sud du Pérou, près d’Arequipa, et dans une serre. Les scientifiques y préparent des semis pour de futures plantations dans des conditions (atmosphère, température, composition du sol...) proches de celles de Mars

Au pays des Quechuas, le Parc de la patate

Préserver l’immense biodiversité andine, mais aussi le patrimoine culturel des communautés quechuas, tel est l’objectif du Parc de la patate.

Sur l’Altiplano péruvien, la pomme de terre est reine. C’est là, dans la région de Cuzco, au cœur de l’ancien empire Inca que cinq communautés quechuas regroupées au sein de l’association Andes ont créé en 1997 le Parque de la papa, le Parc de la patate. Objectif : préserver la biodiversité de ce tubercule. Les Andes sont en effet le berceau de la pomme de terre. Des milliers de variétés sont nées dans la région. Des agriculteurs ont commencé à les domestiquer dès 8000 av. J.-C., dans les environs du lac Titicaca, à la frontière du Pérou et de la Bolivie, avant d’être « découvertes » par les conquistadors espagnols au XVIe siècle. Aujourd’hui, dans le Parc de la patate, des agriculteurs andins travaillent avec des scientifiques du Centre international de la pomme de terre, basé à Lima, pour conserver in situ plus d’un millier de variétés natives, et améliorer leurs rendements (dans le respect du Sumaq Kausav, un principe quechua d’équilibre entre les besoins de l’Homme et de la nature). Ils ont aussi développé ensemble un tourisme écologique, l’autre objectif du Parc étant en effet d’assurer l’avenir des familles quechuas et de protéger leurs cultures ancestrales. Les 6000 paysans des communautés Saccada, Chawaytire, Pampallaqta, Paru Paru et Amaru cultivent la pomme de terre dans de rudes conditions, souvent à plus de 4000 mètres d’altitude, et doivent désormais s’adapter au changement climatique.

Des milliers de variétés

Il existe plus de 4500 variétés de pommes de terre natives (traditionnelles, non issues de croisement comme les variétés hybrides), de toutes formes, couleurs et tailles, en majorité originaires des Andes et qui se sont peu à peu répandues dans le monde. Plus de 150 pays cultivent de la pomme de terre sur tous les continents. Selon la FAO*, la Chine est le premier producteur (et exportateur) mondial : 96 millions de tonnes en 2014, soit 25 % de la production mondiale, devant l’Inde et la Russie. La Biélorussie est le plus gros consommateur : 180 kg par personne et par an, contre 50 kg pour la France et 15 kg en moyenne en Afrique.

* Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture

Image légendée
©Alice Pouyat

Le troisième aliment mondial

Nutritive et étrangère aux fluctuations des marchés internationaux, la pomme de terre joue un rôle clé dans la sécurité alimentaire mondiale.

Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la pomme de terre contribue à nourrir plus d’un milliard de personnes chaque jour. Elle est le 3e aliment le plus consommé dans le monde (34 kg par personne par an en moyenne), après le riz et le blé (respectivement 54 kg et 66 kg en moyenne). Pour renforcer la sécurité alimentaire mondiale, la FAO recommande aujourd’hui d’augmenter la culture de la pomme de terre dans les pays en développement. En effet, cet aliment est riche en glucides complexes, source d’énergie progressive qui confère un sentiment de satiété. Une portion de 250 grammes de pommes de terre cuites à l’eau couvre aussi un quart des besoins quotidiens en vitamine C (alors que le blé ou le riz n’en contiennent pas). La pomme de terre apporte également de nombreux minéraux, oligo-éléments et antioxydants. Elle ne contient pas de gluten et est pauvre en lipides. Cuisinée sans trop de matières grasses, la pomme de terre contribue donc à une alimentation équilibrée. En outre, elle est facile à cultiver, y compris sur de petites parcelles ou en altitude, et a le mérite de produire plus et plus vite que n’importe quelle autre plante alimentaire sur une même surface. Enfin, contrairement aux céréales, la pomme de terre ne s’échange pas sur les marchés internationaux. Son prix varie en général en fonction de l’offre et de la demande locales, mais échappe aux fortes fluctuations des marchés mondiaux. De plus en plus de pays, comme le Pérou, misent donc sur la pomme de terre pour réduire leur dépendance aux céréales.

Image légendée
©CIP

Un aliment sacré pour les Quechuas

Les Quechuas du Parc de la patate en mangent plusieurs fois par jour, dès le petit déjeuner, frites, cuites à l’eau ou dans des braises enfouies sous terre… Ils élaborent aussi des pommes de terre déshydratées (dites chuño) par exposition au gel et au soleil, comme leurs ancêtres incas qui les utilisaient en cas de mauvaises récoltes ou lorsqu’ils partaient pour de longues campagnes militaires. Chaque année, au mois de mai, une cérémonie marquée par des danses, des jeux et des offrandes est organisée en l’honneur du précieux tubercule.

Protéger la pomme de terre !

Scientifiques et agriculteurs unissent leurs efforts entre science de pointe et savoir-faire traditionnels pour préserver les cultures du tubercule.

Diverses stratégies sont mises en œuvre pour protéger la pomme de terre des aléas climatiques et des maladies, et favoriser des cultures plus productives dans les pays en développement. Premier défi : améliorer les prévisions météorologiques. À Lima, au Pérou, le Centre international de la pomme de terre (CIP) est en train de concevoir un outil de simulation informatique qui permettra d’anticiper les pratiques agricoles à mettre en place (choix des espèces, des périodes de culture, des insecticides…) en fonction de l’évolution de la météo. Dans le même temps, les scientifiques du CIP collectent et étudient le plus grand nombre de variétés possibles afin de déterminer lesquelles sont les plus adaptées à chaque terroir et climat. Une centaine d’espèces sauvages apparentées à la pomme de terre, non comestibles mais au très riche patrimoine phytogénétique, est également conservée dans ce Centre. Autre objectif des chercheurs : mettre au point des variétés plus résistantes à la chaleur, à la sécheresse, aux inondations, aux maladies, aux insectes, voire plus productives ou nutritives… Une cinquantaine de nouvelles variétés ont ainsi été créées au CIP par croisement, en collaboration avec l’Institut national d’innovation agricole péruvien (INIA) ; une vingtaine sont aujourd’hui cultivées. Enfin, les scientifiques aident les petits producteurs à sélectionner des plants de bonne qualité, non infestés par les maladies, et à développer des pratiques agricoles durables (rotation des cultures, engrais et pesticides biologiques).

À qui appartiennent les semences ?

Philippe Ellul, directeur du Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (Montpellier), commente la garantie d’accès aux agriculteurs des ressources génétiques.

Un stockage mondial

Logé dans un édifice antisismique de Lima, le Centre international de la pomme de terre abrite la plus grande collection mondiale de tubercules : près de 7000 variétés de pommes de terre et de patates douces. Fondé en 1971 et financé par 58 États et organisations internationales, il garantit la conservation de ces différentes variétés dans des conditions optimales, sur le long terme et gratuitement, pour les chercheurs et les agriculteurs du monde entier. 750 semences de pommes de terre ont également été envoyées à 11 000 km de là, dans la réserve mondiale du Svalbard, qui stocke plus de 860 000 semences de cultures vivrières.

Image légendée
©CIP