Les humains consomment des céréales et notamment du blé depuis des milliers d’années. Une publication récente révèle que des chasseurs-cueilleurs fabriquaient déjà une sorte de pain en Jordanie il y a plus de 14 000 ans ! C’est devenu l’aliment de base dans de nombreux pays. Mais aujourd’hui, des études montrent que la consommation régulière de pain pourrait avoir des effets néfastes sur la santé de certaines personnes. Principal suspect : le gluten, des protéines que l’on retrouve dans le blé, mais aussi dans le seigle ou l’orge. Les alternatives au gluten connaissent un succès grandissant, mais est-il véritablement responsable de tous les maux qu’on lui attribue ? À l’heure où les questionnements autour du gluten rejoignent les inquiétudes que suscite la boulangerie industrielle, le point sur les recherches menées pour diversifier et améliorer la production du pain.

À chacun son pain !

Il existe de très nombreuses sortes de pain selon la céréale utilisée (blé, seigle, orge…), le traitement qu’elle a subi (conservation ou non du germe et des enveloppes, qui sont absentes dans le pain blanc par exemple), le mode de préparation (ajout de levure ou de levain) et de cuisson : four, vapeur comme pour le Mantou, petit pain chinois, ou encore friture pour certains pains africains. Sans compter les éventuels ajouts de matières grasses et de sucre. Sur la photo, une femme indienne préparant des chapatis à partir de farine de blé complète et sans levain.

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Le pain, un aliment ancestral

Riches en énergie, faciles à transporter et à conserver, les graines de céréales, et notamment celles de blé, ont accompagné toute l’histoire de l’humanité.

Bien avant l’émergence de l’agriculture, nos ancêtres consommaient déjà des céréales sauvages. Les plus anciennes traces archéologiques connues attestent qu’ils préparaient de la farine d’orge au Proche-Orient il y a 23 000 ans (1). En outre, une étude récente révèle qu’en Jordanie des chasseurs-cueilleurs faisaient cuire l’ancêtre du pain, une sorte de galette, il y a 14 400 ans (2). Lors de la révolution agricole du néolithique, 4000 ans plus tard, les céréales (blé, maïs, riz…) seront les premières plantes à être domestiquées à partir d’espèces adaptées à leur milieu. Elles se consomment alors bouillies ou sous forme de pâtes non levées. On ignore quand le pain au levain fut découvert mais il est connu en Égypte au IIIe millénaire avant notre ère. De là, il se répand dans le monde grec, puis chez les Romains qui installent dans tout l’Empire des meules et des fours. Dans l’Europe du Moyen Âge, les progrès techniques (charrue, moulin à vent...) et l’amélioration des rendements agricoles permettent au pain levé de devenir l’aliment de base. La nature de la farine employée – blé, orge ou seigle – et sa qualité, varient grandement selon les classes sociales. Outre la démocratisation du pain blanc, différentes innovations se développent au XIXe siècle : remplacement du levain par la levure, four à vapeur donnant une croûte dorée... Ainsi naît au XXe siècle la baguette, symbole de la France dans le monde entier ! Aujourd’hui, la baguette représente 70 % du pain consommé dans notre pays, avec 6 milliards de baguettes vendues par an.

(1) Plos One, juillet 2015
(2) Proceedings of the National Academy of Sciences, juillet 2018

Toutes les céréales ne sont pas « panifiables »

Au sens strict, le mot pain désigne une pâte cuite, levée, à base de farine et d’eau. Seules les farines contenant du gluten (blé, seigle, orge, épeautre, petit épeautre) permettent de fabriquer du pain. Ce qui n’est pas le cas, par exemple, du riz, du maïs, du millet ou du sorgho. Les pains blancs de l’Europe méditerranéenne sont à base de blé alors qu’en Europe du Nord, on utilise davantage le seigle (pains noirs). Lorsque la céréale est complète, le pain est riche en glucides complexes (qui libèrent de l’énergie progressivement), fibres, sels minéraux et vitamines B et E. En France, le Plan national nutrition santé recommande de diminuer la consommation de pain blanc au profit du pain complet.

Le blé tendre, première céréale cultivée en France

En moyenne, 37 millions de tonnes de blé tendre à partir duquel on produit le pain – le blé dur servant aux pâtes, semoule, couscous… – sont cultivées chaque année en France (1). Environ 5 millions sont transformées en farine et près de 3 millions servent à la fabrication du pain. Depuis les années 1950, la mécanisation du pétrissage de la pâte à pain a favorisé la culture de nouvelles variétés de blé avec un gluten (protéines contenues dans la graine) qui permet un pétrissage intensif et une levée rapide. Aujourd’hui, on assiste à un regain d’intérêt pour la boulangerie artisanale et les variétés anciennes de blé, dont le gluten est plus digeste et mieux toléré.

(1) Le blé tendre est aussi la céréale la plus cultivée dans le monde et la plus consommée avec le riz.

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Dans la graine, le gluten

Qu’est-ce que ce fameux gluten, autant recherché pour l’élasticité qu’il confère au pain que redouté par ceux qui ne le supportent pas ?

Pétrissez de la farine sous un robinet d’eau. Une fois éliminées les substances solubles, comme l’amidon, il vous reste dans les mains une pâte gluante : le gluten. Il se compose principalement de protéines (prolamines et gluténines) qui constituent des réserves nutritives permettant aux graines de céréales de germer. Seules certaines céréales possèdent ces protéines comme le blé, le seigle, l’orge, les épeautres... Dans une pâte à pain formée d’eau et de farine, les protéines du gluten s’associent en un réseau qui confère son élasticité à la pâte et la rend pétrissable. Lorsqu’on ajoute les levures, celles-ci fermentent et dégagent du dioxyde de carbone (CO2) qui se retrouve piégé dans ce réseau et fait lever la pâte. Ces propriétés élastiques intéressent grandement l’industrie agro-alimentaire, qui utilise le gluten dans des plats préparés et des sauces. On le retrouve aussi dans quelques rares produits cosmétiques ou d’hygiène comme les rouges à lèvres ou les dentifrices (1). Or, le gluten est incriminé dans certaines maladies. Des deux familles de protéines qui le constituent, les prolamines sont les plus toxiques pour les personnes sensibles. Toutes les céréales ne possèdent pas les mêmes prolamines. Celles du blé (gliadines), par exemple, sont différentes de celles de l’avoine (avénines). Le gluten de l’avoine ne permet d’ailleurs pas de faire du pain.

(1) Journal of Pediatric Gastroenterology and Nutrition, août 2018

Au rayon du « sans gluten »

Le marché des produits sans gluten est en forte croissance depuis le début des années 2010. En France, il est estimé entre 50 et 70 millions d’euros et augmente de 20 % par an. Près d’un quart des nouveaux produits alimentaires sont étiquetés « sans gluten » c’est-à-dire, selon la loi, qu’ils en contiennent moins de 20 mg/kg. Pourtant, en dehors des rares cas d’intolérance avérée, les produits industriels sans gluten ne présentent pas d’avantage nutritionnel. Pauvres en protéines et en fibres, ils contiennent plus de sucres, de graisses et d’additifs (épaississants, émulsifiants).

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Les malades du gluten

Deux affections dues au gluten sont clairement caractérisées : la maladie cœliaque, qui touche environ 1 % de la population, et l’allergie au blé.

L’intolérance au gluten semble concerner depuis quelques années un grand nombre d’individus. Pourtant, les véritables intolérants, c’est-à-dire les personnes atteintes de la maladie cœliaque, représentent environ 1 % de la population (1). Cette affection se traduit par une malnutrition sévère, alors que le régime alimentaire est tout à fait normal. Les symptômes sont essentiellement digestifs (diarrhées, douleurs abdominales…) mais peuvent s’accompagner d’une anémie, voire d’une dépression. La maladie cœliaque est due à une réaction immunitaire dirigée contre le gluten qui évolue en une réaction auto-immune attaquant la paroi de l’intestin grêle. Il s’ensuit une inflammation et la destruction des microvillosités de l’intestin servant normalement à l’absorption des nutriments. Elle est diagnostiquée par une prise de sang, puis une biopsie de l’intestin. Quant à l’allergie au blé (2), elle déclenche une réaction typique : eczéma, urticaire, pouvant aller jusqu’à un œdème de Quincke, voire un choc anaphylactique extrêmement grave. Celle-ci peut se manifester quelques jours après l’ingestion de blé. Contrairement à la maladie cœliaque, les parois intestinales ne sont pas touchées. L’allergie est diagnostiquée par une prise de sang ou un test cutané. Dans les deux cas, dès que le diagnostic est avéré, le gluten est à proscrire de l’alimentation.

(1) La prévalence est estimée entre 0,56 % et 1,26 % en Europe. Source : Gastroenterology, avril 2005
(2) Selon les études, l’allergie alimentaire au blé touche entre 0,5 et 1 % des adultes européens et entre 0,5 et 9 % des enfants.

Des alternatives au gluten

Pour remplacer les farines à base de gluten, il existe des farines d'autres céréales (riz, maïs...), mais aussi de châtaignes, de pommes de terre, de noix... et même de la farine d'insectes, commercialisée dans quelques pays d'Europe. Dans les gâteaux ou les crêpes sans gluten, la farine de maïs remplace le blé, éventuellement complétée par de la pomme de terre. On peut remplacer le pain par des galettes confectionnées avec des farines sans gluten comme la tortilla mexicaine au maïs ou la pulenda corse à la farine de châtaigne.

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Des paysans au service de la recherche !

Pour sélectionner de nouvelles variétés de blé conduisant à des pains de plus grande qualité, l’équipe d’Isabelle Goldringer, généticienne à l’Inra, travaille avec des paysans.

Des hypersensibles énigmatiques

En dehors de la maladie cœliaque et de l’allergie au blé, il existe une hypersensibilité au gluten, difficile à diagnostiquer.

Depuis plusieurs années, un nombre croissant d’individus décide d’arrêter de consommer du gluten. Ces personnes déclarent alors mieux se porter : moins de douleurs abdominales, de ballonnements, de fatigue. Pour autant, elles ne souffrent ni d’allergie au blé, ni de maladie cœliaque. Longtemps divisée, la communauté scientifique s’accorde désormais sur l’existence d’une « hypersensibilité au gluten », sans être sûre que le gluten en soit le seul responsable. D’autres composants du blé pourraient également jouer un rôle. Parmi eux, les Fodmap (1), des sucres fermentescibles peu absorbés par l’intestin grêle. Ils sont inégalement métabolisés selon les individus, en particulier à cause des variations individuelles du microbiote, les microorganismes de la flore intestinale. Une étude récente (2), menée sur des personnes qui présentaient toujours des douleurs intestinales après arrêt du gluten, a montré que le retrait des Fodmap de leur alimentation leur permettait de retrouver un certain confort digestif. Les Fodmap et le gluten sont souvent associés dans les aliments, ce qui complique l’identification du coupable. Les différents gaz produits par le microbiote (hydrogène, méthane, dioxyde de carbone...) pourraient également être responsables de certains dérangements intestinaux. Il se pourrait donc que l’hypersensibilité au gluten ne soit pas causée par les mêmes facteurs pour tout le monde. Il est également possible que les bénéfices d’un régime sans gluten pour certaines personnes soient en réalité dus à une alimentation globalement plus saine, et que le gluten n’ait jamais été en cause.

(1) Fodmap : Fermentable Oligo-, Di-, Mono-saccharides And Polyols ; exemples : sorbitol, lactose, fructose
(2) Nutrients, août 2018

Des micro-organismes au service du boulanger

La levure Saccharomyces cerevisiae est un champignon microscopique utilisé par le boulanger : en l'absence d'oxygène, elle consomme des sucres et produit du dioxyde de carbone. Les bulles de ce gaz font lever la pâte et structurent la mie du pain. Le levain, lui, est une culture conjointe de levures et de bactéries lactiques. Elles produisent de l'acide lactique qui, outre le goût donné au pain, permet une plus longue conservation et rend le pain plus digeste en dégradant partiellement le gluten. En France, les chercheurs du programme Bakery ont analysé les levains naturels de paysans-boulangers (1) et montré que leur composition varie fortement d'une boulangerie à l'autre.

(1) Genomic Data, septembre 2017

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© Science Source / Phanie

Les progrès de la génétique

Du séquençage du génome à sa manipulation, de nouvelles variétés de blé se préparent dans les laboratoires.

Nos céréales modernes, et en particulier le blé tendre à partir duquel on fabrique le pain, ont été obtenues par sélections et croisements au cours des millénaires. Les techniques utilisées aujourd’hui vont du simple croisement de plantes aux manipulations du génome. L’objectif est d’améliorer les rendements, les qualités boulangères dans le cas du blé, la résistance aux maladies… La recherche doit être continue car plus une variété est cultivée, plus sa résistance aux pathogènes est susceptible d’être contournée, la nature s’adaptant. En 2018, une étape importante a été franchie avec le séquençage du génome de blé tendre (Triticum aestivum L.) (1). Fruit d’une collaboration de 200 scientifiques dans 20 pays – avec notamment des équipes françaises de l’Inra, du CEA, du CNRS et de plusieurs universités (2) –, ce travail est un exploit scientifique car le génome du blé contient cinq fois plus de gènes que le génome humain : plus de 100 000 gènes ont ainsi été localisés parmi lesquels des gènes potentiellement impliqués dans la qualité du grain, la résistance aux maladies ou la tolérance à la sécheresse. Autre avancée récente : en manipulant le génome du blé grâce à la technique Crispr/Cas9, une équipe espagnole (3) a réussi à éliminer jusqu’à 92 % de la teneur en gluten du blé. Reste à savoir si la farine obtenue est panifiable et si les personnes sensibles au gluten la toléreront.

(1) Science, août 2018
(2) Les universités de Clermont-Auvergne, d’Évry Val d’Essonne, de Paris-Sud et de Paris-Saclay
(3) Plant Biotechnology Journal, avril 2018

Cuisson de haute technologie

Pour favoriser le gonflement du pain, en particulier avec une farine pauvre en gluten, les chercheurs de l’Irstea (1) de Rennes ont mis au point une technique innovante : la cuisson sous vide partiel. En pompant les gaz du four, ils permettent aux bulles de la pâte de se développer plus rapidement et régulièrement, même à une température de cuisson moins élevée économe en énergie. Pour élaborer ce procédé, ils ont observé la formation des bulles à l’aide d’une technique d’imagerie non invasive, l’IRM, qui permet aussi bien de suivre la croissance d’une seule bulle à l’intérieur du pain que d’obtenir une vision d’ensemble.

(1) Irstea : Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture

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© Irstea