L’Europe de la recherche a d’abord revêtu, dès 1954, le visage d’un grand laboratoire de physique aujourd’hui bien connu, le CERN – c’est là, par exemple, qu’a été observé le boson de Higgs en 2012. À l’initiative de chercheurs, la fondation d’autres laboratoires intergouvernementaux enrichit peu à peu cet espace scientifique balbutiant. Une seconde étape est franchie au début des années 1980, avec l’adoption, à l’échelle européenne, d’un premier « programme-cadre » (PCRD) : les instances communautaires se dotent d’un plan stratégique de recherche sur plusieurs années, qui encourage la coopération entre laboratoires et entreprises. Plus récemment, en 2007, une place significative est enfin accordée à la recherche fondamentale grâce aux financements « ERC ». Communautaires ou intergouvernementaux, ces dispositifs et grands instruments tissent le vaste réseau de l’Europe de la recherche.

La recherche, presque absente des textes fondateurs

Le 25 mars 1957, l’Allemagne, la Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas signent le traité de Rome, acte de naissance de la Communauté économique européenne, et le traité Euratom, qui fonde la Communauté de l’énergie atomique. Le premier ne confère aucune compétence en matière de politique de recherche à la nouvelle organisation, alors que le second tente d’instaurer une coopération scientifique dans le domaine du nucléaire civil. Ce n’est qu’en 1986, avec la signature de l’Acte unique européen, que la recherche et le développement deviennent une compétence communautaire, confirmée et élargie, en 1992, par le traité de Maastricht qui donne naissance à l’Union européenne.

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© EC/AP 1957/Mario Torrisi
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©CERN photolab

Le CERN, la première organisation de recherche

Après la Seconde Guerre mondiale, des scientifiques de renom – Raoul Dautry, Pierre Auger et Lew Kowarski en France, Edoardo Amaldi en Italie et Niels Bohr au Danemark – se mobilisent pour qu’un grand laboratoire de physique des particules soit construit en Europe. Louis de Broglie, prix Nobel en 1929, soutient cette demande, qui reçoit aussi l’appui de l’UNESCO. En février 1952, une instance provisoire, le Conseil européen pour la recherche nucléaire (CERN), est créée pour mener à bien le projet. En 1953, onze pays européens signent la convention instituant l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire. Elle entre en vigueur le 29 septembre 1954 – tout en conservant le nom de CERN.

Une coordination devenue indispensable

Des accords entre gouvernements posent les premiers jalons de l’Europe de la recherche.

Jusqu’à ce qu’une coordination européenne devienne nécessaire. De 1950 à 1975, plusieurs très grands laboratoires sont créés en Europe, souvent à l’initiative de scientifiques, avec un statut d’organisations intergouvernementales. C’est le cas du CERN en 1954, de l’Observatoire européen austral (ESO) en 1962, de l’Institut Laue-Langevin (ILL) en 1967, du Laboratoire européen de biologie moléculaire (EMBL) en 1974, ou encore de l’Agence spatiale européenne (ESA) en 1975. Mais en octobre 1972, les chefs d’État expriment leur volonté d’aller plus loin et de « promouvoir le développement d’une politique commune dans le domaine scientifique et technologique ». En janvier 1974, ils entérinent la proposition de la Commission d’entreprendre des actions dans le domaine de la science et de la technologie « en vue de soutenir les politiques de la Communauté européenne ». Plusieurs programmes de recherche sont dès lors lancés, mais au cas par cas, sans vue d’ensemble. Le premier Programme-Cadre de Recherche et de Développement (PCRD), instrument stratégique visant à gérer l’adoption de programmes de recherche de façon cohérente, ne voit le jour qu’en juillet 1983. À l’époque, la recherche n’est pas encore une compétence communautaire. Mais l’article 235 du traité de Rome permet aux parties prenantes de prendre toute décision jugée appropriée à la réalisation du marché commun : c’est le cas de ce premier PCRD, qui porte sur quatre années, de 1984 à 1987. Sa mission principale est de soutenir les collaborations entre le monde académique et l’industrie. À l’image du programme ESPRIT, le premier adopté dans le secteur des technologies de l’information, qui se distingue par la participation étroite de partenaires du secteur privé.

Le JRC, en appui aux politiques publiques

Créé en 1957 par le traité Euratom, le Centre commun de recherche ou JRC (Joint Research Centre) fournit un appui scientifique à la conception et à la réalisation des politiques communautaires en matière de biotechnologie, énergie, environnement, alimentation ou santé. Le JRC dispose de ses propres laboratoires dans sept instituts thématiques situés en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Espagne et en Italie (photo : une chambre de mesure de la contamination radioactive du corps humain dans un laboratoire italien du JRC, à Ispra).

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© JRC/European Union

La R&D et la technologie, au centre de l’attention

Quand la recherche devient une compétence communautaire, elle privilégie les applications et le développement technologique.

Signé en février 1986, l’Acte unique fait de la recherche une compétence communautaire : il s’agit de « renforcer les bases scientifiques et technologiques de l’industrie européenne et de favoriser le développement de sa compétitivité internationale ». Dans la droite ligne du 1er PCRD, les programmes-cadres suivants encouragent la coopération entre universités, organismes de recherche et entreprises. Des initiatives intergouvernementales se développent en parallèle, en particulier le programme Eurêka, lancé en 1985 par la France et l’Allemagne. Initialement fort de 17 États membres, réunissant aujourd’hui 47 pays, Eurêka vise à renforcer la compétitivité européenne en soutenant des projets transnationaux de développement de technologies de pointe, conçus et portés par des industriels. La mise en réseau est aussi au cœur de l’Institut européen d’innovation et de technologie (EIT, European Institute of Innovation and Technology), créé en 2008 par l’Union européenne. Sa mission ? Soutenir la création de partenariats de longue durée entre des universités, des centres de recherche, et des entreprises, dans certains domaines ciblés : climat, alimentation, santé, énergie, numérique. D’abord indépendant des PCRD, l’EIT y a été intégré à partir du 7e PCRD, Horizon 2020, qui s’est déroulé de 2014 à 2020. Son successeur, Horizon Europe, voit quant à lui le lancement effectif du Conseil européen de l’innovation (EIC), qui existe sous forme pilote depuis 2018. L’EIC va nettement plus loin que les initiatives précédentes puisque la Commission européenne y tient le rôle d’investisseur, en apportant du capital pour financer le développement de start-up.

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© ESA/ATG medialab

Copernicus, la Terre vue par l’Europe

Ils sont huit à orbiter autour de la Terre. Huit satellites nommés Sentinel qui scrutent l’atmosphère, le sol et les océans. Plusieurs autres les rejoindront d’ici 2030. Tous sont partie prenante de Copernicus, programme européen d’observation de la Terre, qui s’appuie aussi sur les données de milliers de capteurs terrestres, aériens et marins. Créé en 1998, opérationnel depuis 2014, Copernicus fournit, en accès ouvert, le panorama le plus complet au monde de l’état de la planète, qu’il s’agisse de climat, de pollution, d’urbanisation, d’évolution des surfaces cultivées, de déforestation ou, même, de crise humanitaire.

Enseignement supérieur : d’Erasmus à Bologne

L’harmonisation des cursus et les accords de coopération entre établissements offrent une ouverture européenne.

Vous en avez probablement entendu parler. Peut-être même en avez-vous bénéficié. Adopté en 1987, Erasmus, le « programme d’action européen pour la mobilité des étudiants », permet aux étudiants d’effectuer une partie de leur formation dans une autre université ou grande école. À sa création, Erasmus est une goutte d’harmonie dans l’océan d’hétérogénéité des cursus et des diplômes. Mais une goutte bienvenue, d’autant qu’à l’époque, la Communauté européenne ne dispose d’aucun pouvoir en matière d’éducation. Elle n’en acquerra qu’avec le traité de Maastricht, signé en 1992, mais de façon limitée : son rôle est de favoriser la coopération et la coordination, mais le contenu des enseignements et l’organisation du système éducatif restent la prérogative des États. Il faut attendre plusieurs années pour que ces derniers engagent le processus dit « de Bologne ». Réunis à la Sorbonne le 25 mai 1998, les ministres allemand, français, italien et britannique proposent de réformer l’enseignement supérieur en Europe, pour harmoniser les systèmes et les diplômes. En 1999, ils signent, avec leurs homologues de 25 autres pays, la Déclaration de Bologne. Celle-ci aboutit, entre autres, à une structuration des études supérieures en trois cycles : la licence, le master et le doctorat. La Déclaration de Bologne a aussi ouvert la voie à la création, en 2010, de l’« Espace européen de l’enseignement supérieur », qui vise à favoriser les échanges et la coopération entre les universités, les enseignants-chercheurs et les étudiants des pays participants. Ces derniers sont aujourd’hui 49, dont la Turquie, la Russie et l’Ukraine.

À Florence, un Institut unique en son genre

En 1955, à la conférence de Messine où sont négociés les traités de Rome et Euratom, le secrétaire d’État allemand aux affaires étrangères suggère de créer une université européenne. Sans succès. Il faudra attendre 1972 pour que les six pays fondateurs de la Communauté s’accordent sur la création d’un « Institut universitaire européen ». Située à Florence, cette structure est atypique : intergouvernementale par sa gouvernance ; universitaire par ses formations de troisième cycle en histoire, droit, économie et sciences politiques ; communautaire par ses recherches orientées sur les questions européennes. Depuis 1986, l’Institut abrite aussi les archives historiques de l’Union européenne.

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© Photo12/Alamy/Wojciech Stróżyk

Financement : des États et des entreprises à la traîne

Chaque État européen devrait consacrer 3 % de son PIB à la R&D. Fixé il y a 20 ans, cet objectif est loin d’être atteint.

« Faire de l’Europe l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde d’ici à 2010 » : c’est l’ambition de la stratégie de Lisbonne, définie en mars 2000 par les quinze États membres de l’Union européenne, lors d’une session extraordinaire du Conseil (qui réunit les chefs d’État ou de gouvernement des États membres). Il s’agit en particulier de remédier au décrochage de l’UE vis-à-vis de ses principaux compétiteurs en matière d’innovation, afin d’améliorer ses performances économiques. Au printemps 2002, à Barcelone, le Conseil fixe un objectif chiffré devenu emblématique : les États membres doivent faire en sorte que leurs dépenses de R&D atteignent 3 % du PIB en 2010. Il ne s’agit pas seulement d’argent public : normalement, les deux tiers de ces dépenses doivent provenir de financements privés. Mais au bout de quelques années, l’échec est patent. En juin 2010, la stratégie Europe 2020 réaffirme cet objectif. Dix ans plus tard, il n’est toujours pas atteint. Certes, l’Allemagne et les pays d’Europe du Nord atteignent les 3 %, mais les pays du sud stagnent, autour de 2,2 % pour la France, 1 % pour l’Italie. Sans même parler des pays du centre et de l’est de l’Europe. À titre de comparaison, les États-Unis sont proches de 3 %, Israël et la Corée du Sud sont au-delà de 4 % (dont plus de 3,5 % provenant du secteur privé). La contribution des programmes européens, réelle, ne peut compenser ces manques : sur la période 2014-2020, les 79 milliards d’euros du programme-cadre Horizon 2020 représentaient moins de 10 % de l’ensemble des dépenses de recherche publique en Europe.

Enfin une place pour la recherche fondamentale

Alors que les traités européens se focalisaient sur la R&D, l’année 2007 voit la naissance d’une structure dédiée à la recherche fondamentale.

Financer la recherche exploratoire, celle qui repousse toujours plus loin les frontières de la connaissance : c’est la raison d’être du Conseil européen de la recherche, plus connu sous son acronyme anglais, ERC (European Research Council). Établi par la Commission européenne en 2007 dans le cadre du 7e PCRD, l’ERC constitue une rupture par rapport aux modalités antérieures de soutien à la recherche. D’abord, parce qu’il finance des projets de recherche fondamentale, pas des projets de R&D. Mais aussi, car ces financements vont presque exclusivement à des chercheurs à titre individuel, avec pour seul critère l’excellence scientifique du candidat et du projet qu’il porte. La nationalité du postulant n’entre pas en ligne de compte : il faut simplement que ses recherches soient menées dans un pays de l’Union européenne, ou un pays associé. De plus, les montants alloués permettent aux récipiendaires de monter une équipe sur une durée assez longue (cinq ans), ce qui permet de dynamiser la recherche dans son ensemble. C’est particulièrement le cas des bourses Starting Grant, attribuées à de jeunes chercheurs ayant obtenu leur thèse 2 à 7 ans auparavant, et des bourses Consolidator Grant, destinées aux chercheurs l’ayant obtenue 7 à 12 ans plus tôt. Les premières peuvent atteindre 1,5 million d’euros sur 5 ans ; les secondes, 2 millions d’euros. Les bourses Advanced Grant, d’un montant maximal de 2,5 millions d’euros, sont, elles, destinées à des scientifiques confirmés, pour leur permettre d’explorer un sujet ouvrant des perspectives particulièrement novatrices. Depuis 2007, l’ERC a soutenu plus de 12 000 projets, dans tous les champs du savoir.

Nobel : 2021, année faste pour l’Europe

En octobre 2021, Giorgio Parisi et Klaus Hasselmann (à gauche sur la photo), respectivement physicien théoricien et modélisateur du climat, ont reçu le prix Nobel de physique pour leurs travaux sur les systèmes physiques complexes (partagé avec l’Américain Syukuro Manabe). Benjamin List (à droite) a, quant à lui, reçu le prix Nobel de chimie pour ses travaux sur l’organocatalyse asymétrique (prix partagé avec l’Américain David MacMillan). Tous les trois bénéficient depuis plusieurs années de financements européens, via l’ERC pour Giorgio Parisi et Benjamin List, via le 7e PCRD pour Klaus Hasselmann. Ce n’est pas la première fois que la recherche européenne est ainsi récompensée. Ce ne sera pas la dernière !

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Horizon Europe, une feuille de route pour 2027

Très discuté, le budget « recherche » de l’Union européenne pour les années à venir augmente un peu.

Les négociations ont été ardues ! Mais le budget du 9e programme-cadre Horizon Europe, voté en décembre 2020, est finalement en hausse par rapport à son prédécesseur Horizon 2020 : il bénéficiera de 95,5 milliards d’euros sur sept ans, de 2021 à 2027, au lieu de 79 milliards. Où ira cet argent ? Horizon Europe est principalement structuré en trois piliers. 25 milliards d’euros iront au premier pilier, « Excellence scientifique », dont 16 milliards alloués à la recherche fondamentale via l’ERC. Le deuxième pilier, « Problématiques mondiales et compétitivité industrielle européenne », bénéficiera quant à lui de 53,5 milliards. Plus de la moitié du total ! Il soutient des projets de recherche appliquée impliquant organismes de recherche et entreprises, en particulier dans les domaines de la santé, du climat et du numérique. C’est également dans ce second pilier que l’on trouve l’une des nouveautés de ce programme-cadre : des projets de recherche s’inscrivant dans cinq objectifs ciblés à l’horizon 2030 portant sur la résilience au changement climatique, les villes neutres en carbone, la lutte contre le cancer, la restauration des océans et la lutte contre la dégradation des sols. Quant au troisième pilier, « Europe innovante », il doit contribuer à la croissance économique de l’Europe, en favorisant l’innovation et la création de start-up. Doté de 13,6 milliards d’euros, il englobe l’Institut européen d’innovation et de technologie (l’EIT), ainsi que l’autre nouveauté de ce programme-cadre : le Conseil européen de l’innovation (EIC), qui voit la Commission se transformer en capital-risqueur.

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Faciliter l’accès aux données de la science

Le 23 novembre 2018, la Commission européenne, les États membres et la communauté scientifique ont donné le coup d’envoi au « nuage européen pour la science ouverte », ou EOSC (European Open Science Cloud) : un « nuage » digital, sous forme d’un portail web qui permet d’accéder aux données produites par la recherche européenne, toutes disciplines confondues, en fédérant les infrastructures existantes. Ce sont ainsi des millions d’articles scientifiques et de données qui sont stockés, archivés, et surtout accessibles et réutilisables. Objectif ? Utiliser cette mine de données pour lancer de nouveaux programmes de recherche, d’innovation ou d’enseignement.