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Barrer la route à la biopiraterie est l’ambitieux objectif de la réunion historique qui s’ouvre aux Nations unies pour conclure un traité visant à lutter contre l’appropriation illégitime des ressources génétiques © AFP Fabrice Coffrini

Le combat contre la biopiraterie pourrait bientôt s’appuyer sur un traité international, si des négociations de plus de 20 ans aboutissent enfin. « Permettez-moi d’être franc : les négociations ne seront pas faciles », a averti Daren Tang, directeur général de l’agence des Nations unies pour la propriété intellectuelle (Ompi), dont les plus de 190 États membres sont réunis à Genève jusqu’au 24 mai pour tenter de trouver un accord par consensus. Mais « nous pouvons montrer qu’il n’y a pas de contradiction entre un régime de propriété intellectuelle solide et prévisible – qui encourage l’innovation, attire les investissements et stimule la recherche – et un régime qui répond aux besoins de tous les pays et de toutes les communautés, y compris ceux des peuples autochtones et des communautés locales », a-t-il ajouté.

Le projet de traité stipule que les déposants de demandes de brevet seront tenus de divulguer le pays d’origine des ressources génétiques de l’invention et le peuple autochtone ayant fourni les savoirs traditionnels associés. « Il s’agit de lutter contre la biopiraterie, c’est-à-dire l’utilisation de savoirs traditionnels ou de ressources génétiques sans l’accord de ceux qui les détenaient et sans qu’ils puissent en bénéficier », a expliqué le chef de la délégation française, Christophe Bigot.

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Le projet de traité stipule que les déposants de demandes de brevet seront tenus de divulguer le pays d'origine des ressources génétiques de l'invention et le peuple autochtone ayant fourni les savoirs traditionnels associés © AFP/Archives Diptendu Dutta

Ces ressources comme les plantes médicinales, les variétés végétales et les espèces animales sont utilisées dans de nombreuses inventions par la recherche et l’industrie (cosmétiques, semences, médicaments, biotechnologie, compléments alimentaires...). Si elles ne sont pas brevetables en tant que telles, les inventions qui reposent dessus peuvent l’être, donnant lieu parfois à de longues batailles juridiques. 

Comme il n’est pas obligatoire pour l’instant de publier l’origine des innovations, des pays en développement sont inquiets quant au fait que des brevets sont accordés sans que les peuples autochtones en soient informés ou pour des inventions qui n’en sont pas réellement.

Les opposants au traité craignent que cela n’entrave l’innovation. Pour ses partisans, « cela contribuera à garantir que ces savoirs et ces ressources sont utilisés avec l’autorisation des pays ou des communautés dont ils proviennent, ce qui leur permettra de bénéficier d’une manière ou d’une autre des inventions qui en résulteront », selon Wend Wendland, directeur de la Division des savoirs traditionnels de l’Ompi. « Bien que le nouvel instrument ne crée pas de nouveaux droits, son adoption conclurait plus de deux décennies de négociations sur une question d’une grande importance pour de nombreux pays », a-t-il indiqué.

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Plus d’une trentaine de pays disposent d’exigences de divulgation, pour la plupart des pays en développement © AFP/Archives Ben Stansall

Des désaccords sur le projet de texte persistent, notamment la création de sanctions et les conditions pour révoquer les brevets. « Le texte a été considérablement réduit afin de parvenir à un possible compromis », a affirmé à l’AFP Viviana Munoz Tellez, experte au South Centre, un centre de réflexion intergouvernemental représentant les intérêts de 55 pays en développement. Ce projet d’accord a une « valeur symbolique car ce serait la première fois qu’un instrument (juridique) sur la propriété intellectuelle ferait référence aux savoirs traditionnels, explique-t-elle. Mais il aura aussi un effet direct en apportant plus de transparence », même s’il ne résout pas tous les problèmes, a-t-elle observé. 

Plus d’une trentaine de pays disposent d’exigences de divulgation, pour la plupart des pays en développement, dont la Chine, le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud, mais également des pays européens, parmi lesquels la France, l’Allemagne et la Suisse. Mais ces procédures varient et ne sont pas toujours obligatoires.

Il faut dépasser les affrontements stériles entre le Nord et le Sud, estime une source diplomatique. Ainsi, plusieurs pays développés possèdent des ressources génétiques, comme l’Australie ou la France, et plusieurs pays du Sud possèdent de grands laboratoires et entreprises qui utilisent des ressources génétiques, comme l’Inde ou le Brésil. 

Il y a deux ans, les pays membres de l’ONU avaient, contre toute attente, décidé de convoquer une conférence afin de conclure un accord au plus tard en 2024. Seuls les États-Unis et le Japon s’étaient « officiellement désolidarisés de la décision », sans toutefois s’opposer au consensus.