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La commissaire européenne à la Santé, Stella Kyriakides, lors d’une conférence de presse, le 26 avril 2023 à Bruxelles © AFP Kenzo Tribouillard

La Commission européenne a proposé mercredi une réforme visant à contraindre les entreprises pharmaceutiques à se prémunir contre les pénuries, mais aussi à les encourager à développer de nouveaux antibiotiques et à lancer leurs médicaments dans l’ensemble de l’Union européenne (UE). Très attendu et plusieurs fois reporté, ce projet de législation a été aussitôt critiqué par l’industrie pharmaceutique qui y voit un risque de « saboter » la recherche et développement en Europe.

Les ruptures de stock ou tensions d’approvisionnement sur les médicaments, particulièrement criantes pendant la pandémie de Covid-19, ont notamment touché des antibiotiques largement prescrits comme l’amoxicilline, mais également le paracétamol ou récemment la pilule abortive en France. « Durant la dernière décennie, les pénuries signalées de médicaments ont grimpé en flèche », a rappelé la commissaire européenne à la Santé Stella Kyriakides.

La réforme prévoit que les entreprises devront signaler rapidement les éventuelles ruptures de stock et mettre en place des plans de prévention des pénuries. Bruxelles doit dresser d’ici la fin de l’année une liste de médicaments essentiels, qui pourra ensuite servir de base à une obligation de constituer des stocks.

Les pénuries de médicaments sont liées à plusieurs facteurs, dont la concentration de la production des principes actifs dans quelques pays asiatiques, notamment la Chine et l’Inde. La proposition ne résoudra pas l’ensemble du problème, reconnaît un haut fonctionnaire de la Commission, rappelant que l’UE œuvrait par ailleurs à renforcer sa souveraineté industrielle et à sécuriser son approvisionnement en matières premières critiques.

La réforme entend aussi rendre les médicaments plus abordables, en favorisant l’arrivée des génériques. Elle réduit de dix à huit ans la période garantie de protection des données et d’exclusivité commerciale sur un médicament, pendant laquelle la mise sur le marché de génériques, moins chers, est impossible. L’UE n’a toutefois pas compétence pour fixer les prix des médicaments, qui sont du ressort des autorités nationales dans le cadre de négociations avec le fabricant, de même que les taux de remboursement. 

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Des boîtes d’Amoxicilline dans une pharmacie, le 18 novembre 2022 à Toulouse © AFP/Archives Charly Triballeau

Les entreprises pourront prolonger leur droits d’exclusivité de deux ans si elles lancent leurs nouveaux médicaments dans tous les États membres. Une façon de s’attaquer aux inégalités au sein de l’UE, entre d’un côté les pays les plus peuplés et les plus riches, et de l’autre les États plus petits de l’Est surtout, les plus mal lotis. « Nous ne pouvons pas avoir deux classes de citoyens », a martelé Stella Kyriakides.

Des délais supplémentaires seront accordés aux fabricants de médicaments correspondant à des « besoins de santé non satisfaits » ou capables de traiter d’autres maladies notamment, ce qui pourra permettre aux entreprises répondant à un ensemble de conditions d’avoir jusqu’à 12 ans d’exclusivité, contre 11 actuellement. Pour les maladies rares, la durée pourra s’étendre jusqu’à 13 ans.

Ce système est parmi les plus généreux au monde pour l’industrie, fait valoir la Commission. Mais la Fédération européenne des associations et industries pharmaceutiques (EFPIA) a déploré que le projet « pénalise l’innovation », jugeant que rendre disponible un médicament dans tous les États membres en deux ans était un « objectif impossible ». Sans modifications substantielles du texte dans les négociations à venir, « l’Europe ne sera qu’une consommatrice des innovations médicales réalisées ailleurs dans le monde », a-t-elle déclaré. L’ONG Oxfam a fustigé, en réponse, « les larmes de crocodile » et « les menaces ridicules » des compagnies pharmaceutiques, qui « peuvent utiliser cette législation pour prolonger encore davantage leur exclusivité ». 

Autre défi de taille auquel la législation veut répondre : la résistance aux antibiotiques, qui fait chaque année dans l’UE quelque 35000 morts. Pour lutter contre cette menace croissante et encourager le développement de nouveaux antibiotiques – peu lucratifs puisqu’ils sont voués à un usage modéré –, la Commission propose un système de bons d’exclusivité transférables. Il s’agit de permettre à une entreprise, en échange du développement d’un nouvel antibiotique, d’étendre d’un an la durée pendant laquelle elle a l’exclusivité sur la vente d’un autre produit plus rémunérateur, ou de revendre ce bon à une autre compagnie. Mais l’idée suscite les réticences de la moitié des États membres (dont la France et les Pays-Bas), qui la jugent trop onéreuse pour les systèmes de santé. 

Bruxelles prévoit en outre des procédures d’autorisation de mise sur le marché plus rapides et plus simples, comme celles qui ont été appliquées aux vaccins anti-Covid. La durée d’évaluation par l’Agence européenne des médicaments (EMA) sera réduite à 180 jours, contre une moyenne de quelque 400 jours actuellement.