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Emmanuel Macron s'exprime à l'Elysée devant plus de 300 membres de la communauté de la recherche scientifique le 7 décembre 2023 © POOL/AFP Ludovic Marin

Emmanuel Macron a lancé jeudi les grands travaux pour réorganiser la recherche publique française afin que le pays reste « une grande nation de savoirs », rouvrant au passage le chantier à hauts risques de l’autonomie des universités. « D’ici dix-huit mois », le chef de l’État a annoncé depuis l’Élysée où il avait réuni plusieurs dizaines de chercheurs, une « vraie révolution » pour l’ensemble du système de recherche, souvent décrié pour sa grande complexité et ses lourdeurs bureaucratiques. 

Objectif : remédier à un « morcellement » qui affaiblit la position mondiale des chercheurs hexagonaux et in fine la capacité de la France à figurer au premier rang des innovations scientifiques. « Ce morcellement désordonné nous prive de nous concentrer sur de grands défis partagés, nous empêche d’être réactifs en cas d’urgence et diminue notre capacité parfois d’être attractif aussi dans le monde », a-t-il estimé. En toile de fond, Emmanuel Macron a déploré l’« étrange défaite » du vaccin contre le Covid-19, la France ayant découvert le principe de l’ARN messager mais n’ayant pas su mettre au point le remède. 

« La France est passée du sixième au neuvième rang entre 2005 et 2017 en termes de volume mais aussi de qualité des publications », a en outre rappelé le président de la République. Face au risque de déclassement, mais sans oublier de vanter son bilan depuis 2017 avec les milliards promis par la loi de programmation sur la recherche (+25 milliards sur 10 ans) et ceux du programme d’investissement France 2030, M. Macron a décidé d’engager une vaste transformation du rôle et des missions des grands organismes nationaux de recherche, comme le CNRS, l’INSERM, l’Inrae et le CEA. 

Ils doivent se transformer « en de vraies agences de programmes », qui seront « stratèges » dans leur domaine pour tout l’écosystème de la recherche publique. Il a aussi promis un « choc de confiance » pour les chercheurs qu’il veut débarrasser de toute « bureaucratie ». 

Le chef de l’État a également installé un « Conseil présidentiel de la science » chargé de l’éclairer sur les enjeux scientifiques d’avenir, composé d’une dizaine de chercheurs dont les prix Nobel de physique Alain Aspect et d’économie Jean Tirole, et le mathématicien Hugo Duminil-Copin, lauréat de la médaille Fields. 

Pour Jean-Michel Minovez, responsable du secteur recherche du Snesup-FSU, premier syndicat de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, les annonces du chef de l’État relèvent d’une « hyper présidentialisation » et d'un « pilotage par le haut ». Le syndicaliste fustige une logique de « planification » qui « met en danger la recherche fondamentale » et « empêche l’émergence de découvertes qui sont le fruit d’un long cheminement collaboratif ». 

« Sans tabou » 

En dévoilant cette nouvelle feuille de route, Emmanuel Macron en a profité pour prôner davantage « d’autonomie » aux universités pour qu’elles « organisent et gèrent la recherche » au niveau local, selon une « logique de site ». « Ce que je leur propose, c’est d’ici à dix-huit mois d’ouvrir l’acte deux de l’autonomie et d’aller vers la vraie autonomie », a-t-il lancé. « Il faut avancer sans tabou » sur « les enjeux de gouvernance, de modèle économique et, en effet, bâtir des vrais contrats d’objectifs, de moyens et de performance avec des financements beaucoup plus incitatifs », a-t-il ajouté.

 Le président s’est gardé d’évoquer une modification du « statut » des personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche, un vrai casus belli pour les syndicats du secteur. L’acte un de l’autonomie, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, avait donné lieu à un long bras de fer entre l’exécutif et les enseignants-chercheurs rejoints par les syndicats étudiants durant l’hiver 2007/2008. La loi Liberté et responsabilités des universités (LRU) d’août 2007, dite « loi Pécresse », a transformé la gouvernance des universités en leur conférant plus d’autonomie : les établissements gèrent leur budget (les grands axes ne sont plus prédéterminés par l’État) et leurs ressources humaines (notamment la masse salariale).

Cet « acte 2»  de l’autonomie risque de « renforcer la concurrence entre les universités et déconstruire l’idée d’un service public d’intérêt national », met en garde Hugo Harari-Kermadec, enseignant-chercheur à l’Université d’Orléans, spécialiste de l’économie de l’enseignement supérieur et de la recherche.