Réchauffement climatique : le captage du CO2 en débat
Après le Sommet mondial de Copenhague sur le climat, que faut-il penser des technologies de captage et stockage du CO2, dont un rapport de l'Agence internationale de l'énergie affirme qu'elles pourraient contribuer à une réduction de 19% des émissions annuelles globales de CO2 à l'horizon 2050 ?
Catherine Ferrieux - Publié le
Une première en France : le projet de Lacq
À l'usine de production de gaz naturel de Lacq dans les Pyrénées-Atlantiques, l'entreprise Total a débuté en juillet 2009 les premiers essais français de captage de dioxyde de carbone (CO2).
Ce site pilote comporte tous les maillons de la chaîne de captage et stockage du CO2 : captage du CO2 sur le lieu d'émission (à l'usine de Lacq) ; compression puis transport du CO2 par des pipelines existants vers le site d'injection (à Rousse, à 30 km de Lacq) ; stockage dans le réservoir épuisé de gaz naturel (méthane) de Rousse, à 4 500 m de profondeur. Le projet durera deux ans et il s'agira de stocker 60 000 tonnes de CO2 par an, pour un coût de 60 millions d'euros. La phase d'injection du CO2 devait débuter en octobre, mais un problème technique sur une sonde de fonds de puits a retardé l'opération. Une enquête menée par le BRGM et l'École des Mines de Paris est en cours pour tenter de comprendre les causes de l'incident.
Le CSC : qu’est-ce que c’est ?
Le «CSC» signifie le captage et le stockage géologique du CO2 (en anglais «CCS» Carbon Capture and Storage). C'est une filière technologique relativement nouvelle, qui n'a qu'une dizaine d'années d'existence. Objectif : réduire la quantité de CO2 dans l'atmosphère. La première étape consiste à capter le dioxyde de carbone émis par les sites industriels (centrales électriques, thermiques, hydrauliques, raffineries, cimenteries, exploitations de pétrole ou de gaz). Plusieurs techniques existent : extraction du CO2 à la source, avant même la combustion (c'est la «pré-combustion») ; séparation du CO2 d'avec les autres gaz dans les fumées de combustion (c'est la «post-combustion») ; utilisation d'oxygène pur (c'est «l'oxycombustion» ) et non de l'air (qui contient de l'azote et de l'oxygène) afin de produire des fumées entièrement composées de CO2. C'est cette dernière technique qui est utilisée à Lacq. Ensuite, vient la phase de transport du CO2 «purifié» : on le comprime, puis on l'achemine près d'un site de stockage. Enfin, on injecte le CO2 comprimé à haute pression (20 à 50 bars) dans le site de stockage géologique choisi, à plus de 4 000m de profondeur. Les types de sites les plus étudiés pour le stockage sont les gisements de pétrole ou de gaz naturel «déplétés» (épuisés) ; les veines de charbon non exploitées ; ou les aquifères salins, c'est-à-dire des nappes d'eau salée très profondes, impropres à la consommation.
Au lieu de stocker le CO2, on peut aussi le réutiliser. Cette piste est encore marginale. En France, le projet Vasco mené par Geogreen, implanté dans le port de Marseille, a pour but de faire de la revalorisation pour l'industrie agro-alimentaire : par exemple, le CO2 peut être utilisé pour la production d'algues à des fins de pisciculture, pour obtenir des boissons gazeuses ou encore pour le traitement des eaux usées...
Selon Guy Zahan, délégué régional Grand Sud-Ouest à la communication de Total, «l'incident ne remet pas en cause la sécurité des opérations, et la préfecture devrait donner d'ici la fin de l'année son accord pour entamer l'injection». Ainsi, c'est sous la plus haute surveillance que se dérouleront les opérations : surveillance du puits d'injection, de la sismicité, de la température et de la pression du CO2. Le projet doit permettre de mieux connaître le comportement du CO2 dans les réservoirs géologiques.
Quels sont les risques du stockage du CO2 ?
Un rapport du Groupe international d'experts sur le climat (GIEC) paru en 2005 – plutôt favorable au développement des technologies de captage et stockage géologique du CO2 (CSC ou CCS en anglais pour Carbon Capture and Storage) dans la lutte pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre – suggérait que les risques du stockage de CO2 seraient vraisemblablement peu différents de ceux occasionnés par l'exploitation industrielle de pétrole ou de gaz.
D'autres considèrent qu'il faut être plus prudent. Comme Pierre Toulhoat, directeur scientifique de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris), qui souligne qu'«on manque encore beaucoup de connaissances dans le domaine du captage et du stockage du CO2».
Ce qu'il faut surveiller
Parmi les risques du stockage, il faut surveiller :
Le risque de relargage brutal dans l'atmosphère. Cela peut arriver, par exemple, s'il y a une grosse brèche dans une canalisation de transport. À très haute dose, le CO2 est toxique, comme lors de l'accident du lac Nyos au Cameroun. Mais ce genre d'accident dramatique est improbable dans un cadre industriel, où les sites et installations seront instrumentés et surveillés ;
Le risque de pollution des nappes d'eau potable : le CO2 n'est pas un polluant en soi, mais il a des effets chimiques sur le milieu, notamment l'acidification, qui peut provoquer la dissolution de métaux présents dans le sous-sol et leur relargage dans l'eau. Ces modifications chimiques au niveau des aquifères profonds peuvent influencer la qualité des nappes d'eau moins profondes dont certaines sont potables ;
Les autres risques possibles : une fissuration des aquifères liée à l'augmentation de pression en injectant le CO2 ; la présence de forages anciens dans le sous-sol qui compromettent l'étanchéité du confinement ; ou encore le risque sismique. Tous ces risques doivent être précisés à la fois par la modélisation et par les données recueillies dans le cadre de projets pilotes comme celui de Lacq. L'entreprise Total a d'ailleurs dû s'engager à rendre publics les résultats et données des essais d'injection, ainsi qu'à rendre les opérations d'injection réversibles en cas de problème.
Les coûts du CSC
Parmi les obstacles au déploiement industriel des technologies du CSC, la question des coûts est cruciale. Car ceux-ci sont très élevés : le coût du captage et du stockage du CO2 est actuellement de 100 euros la tonne de CO2. Dans toute la chaîne, c'est la phase de captage qui est la plus chère, représentant à elle seule 60 à 70% des coûts de l'ensemble de la chaîne. «Il faut travailler à réduire la pénalité énergétique du captage», prévient Olivier Appert, président de l'Institut français du pétrole (IFP) à l'occasion du colloque international «Captage et stockage géologique du CO2», qui s'est tenu à la Cité des sciences et de l'industrie à Paris les 5 et 6 novembre 2009.
La pénalité énergétique, c'est le fait que pour pouvoir capter le CO2 quelle que soit la technologie employée, il faut dépenser beaucoup d'énergie, ce qui réduit d'autant l'efficacité énergétique. Ainsi pour le moment, l'installation de captage lors de la construction d'une centrale à charbon abaissera son rendement de 30% à 25%. L'installation de CSC sur des sites industriels déjà existants, comme une centrale électrique, occasionne un surcoût de 40% de l'électricité produite. «C'est très cher, mais de toute façon la facture du réchauffement climatique sera très chère», plaide François Kalaydjian de l'IFP. L'objectif annoncé de réduction des coûts du CSC est d'un facteur 3 à l'horizon 2020.
Quelle place accorder au CSC ?
Dans un rapport datant de 2008, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) évaluait la contribution relative des différentes technologies de l'énergie pour réduire ces émissions à l'horizon 2050. L'AIE se fonde sur la comparaison de deux scénarios d'émissions de CO2 dans l'atmosphère : le «scénario de référence» (c'est-à-dire la poursuite des tendances actuelles sans modification de nos modes de vie) et le scénario de réductions «BlueMap», qui vise à respecter en 2050 la division par 2 des émissions de CO2 pour limiter l'augmentation de température du globe à +2°C. Selon les projections de l'AIE, à l'horizon 2050, il ressort que le plus grand facteur de réduction des émissions de CO2 est l'amélioration de l'efficacité énergétique (environ 40% des émissions évitées). Les énergies renouvelables contribueraient à hauteur de 21%, et le CSC à hauteur de 19% à la réduction globale. Le CSC serait donc un facteur important de réduction des émissions de CO2, au même titre que les énergies renouvelables. Il faut cependant préciser que le scénario «BlueMap» de l'AIE est très optimiste car il repose notamment sur l'idée que les gouvernements décident dès maintenant et de manière concertée au niveau international de se lancer dans le CSC et de concéder les efforts financiers considérables nécessaires au développement du CSC à l'échelle industrielle.
Le CSC dans le monde
Ces coûts importants expliquent qu'à l'heure actuelle la quasi-totalité des projets et installations de captage et stockage du CO2 se trouvent dans les pays riches : États-Unis, Canada, Australie, Norvège, Allemagne, Pays-Bas, Grande-Bretagne. Il y a au total 140 installations de CSC dans le monde.
Les pionniers sont les Norvégiens, avec le gisement offshore de gaz naturel de Sleipner, en mer du Nord. Dans ce cas, le gaz naturel est extrait à 2 500 m de profondeur. Le CO2 est ensuite séparé, puis injecté dans un aquifère sous-marin à 1000 m sous le fond des mers. Depuis 1996, 10 millions de tonnes de CO2 ont ainsi été injectées et stockées dans des aquifères sous-marins.
À Weyburn (Canada), l'injection de CO2 est utilisée depuis septembre 2000 pour la récupération assistée de pétrole : le CO2 vient «pousser» le pétrole. Le but est ensuite d'étudier comment cette injection peut être utilisée pour stocker à long terme le CO2. L'intérêt pour le CSC est en train de gagner certains pays du monde en développement à croissance rapide comme la Chine.
Actuellement, il y a trois projets d'implémentation de CSC en Chine, sur des centrales thermiques au charbon. Ce pays possède d'énormes gisements de charbon et se montre intéressé par une technologie qui lui permettrait de continuer à exploiter ses réserves. La mise en place d'un mécanisme de financement international paraît indispensable. L'inclusion du CSC dans la liste des «mécanismes de développement propre», qui permettent aux pays pollueurs du Nord d'aider à financer dans les pays du Sud des projets de CSC, sera en discussion à Copenhague.
Pour ou contre le CSC ?
Parmi les partisans du CSC, on trouve les industries les plus fortement émettrices de CO2 (industrie pétrolière, gazière, charbonnière) qui y voient une occasion rêvée de continuer à exploiter les énergies fossiles, tout en affichant une volonté de participer à l'effort de réduction des émissions de CO2. Les partisans du CSC annoncent un objectif de maturité des technologies et un passage au stade industriel à l'horizon 2020.
Pour les détracteurs du CSC, comme l'ONG Greenpeace, cette technologie n'est au contraire qu'un «faux espoir», et surtout une excuse pour ne pas abandonner l'exploitation des énergies fossiles. Les énormes besoins financiers des CSC risquent par ailleurs de priver de soutien économique les énergies renouvelables dont le déploiement à très grande échelle est, selon Greenpeace, la seule solution viable à long terme dans la lutte contre le réchauffement climatique. Enfin, le CSC ne serait jamais prêt à temps pour l'objectif qu'on lui assigne qui est de réduire significativement les émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2050. Pour le réseau «France Nature Environnement», le CSC est une «nouvelle usine à gaz».
Pour les partisans du CSC, l'urgence climatique et l'importance de l'effort requis pour réduire les émissions des gaz à effet de serre sont telles qu'on ne peut pas se priver d'une solution pouvant contribuer significativement à cette réduction. Pour les détracteurs, au contraire, l'urgence climatique est telle qu'on n'a pas le temps d'attendre que ces technologies soient matures, et il faut plutôt freiner dès que possible le recours aux énergies fossiles plutôt que de prolonger leur utilisation.