Une étude française parue le 22 octobre dans la revue scientifique Jama estime à 25 % la réduction du risque de cancer chez les consommateurs « réguliers » d’aliments bio par rapport à ceux qui en consomment moins souvent. Cette étude épidémiologique de grande ampleur, menée par une équipe du Centre de recherche épidémiologie et biostatistique Sorbonne Paris Cité (Inra/Inserm/université Paris 13/Cnam), s’est appuyée sur près de 70 000 volontaires participants à la cohorte Nutrinet-santé, de 2009 à 2016.
Pour expliquer ces résultats, les chercheurs émettent l’hypothèse de « la présence de résidus de pesticides synthétiques beaucoup plus fréquents et à des doses plus élevées dans les aliments issus d’une agriculture conventionnelle, comparés aux aliments bio », ainsi que « des teneurs potentiellement plus élevées en certains micronutriments (antioxydants, caroténoïdes, polyphénols, vitamine C ou profils d’acides gras) dans les aliments bio ».

« Une étude inédite »

Dans le journal Le Monde, l’épidémiologiste Philip Landrigan (Boston College, États-Unis) – qui n’a pas participé à l’étude – estime que c’est la première fois qu’une étude de cette ampleur « met en évidence, à partir d’une enquête prospective (suivi dans le temps d’une cohorte d’individus), un lien entre alimentation bio et risque de cancer. [...] L’une des grandes forces de ces conclusions est qu’elles sont largement cohérentes avec les résultats des études menées sur les expositions professionnelles aux pesticides , poursuit Philip Landrigan. Cela renforce grandement la plausibilité d’un lien entre l’effet mis en évidence et la présence de résidus de pesticides dans l’alimentation ».
Pour réaliser cette étude, les chercheurs ont analysé pendant sept ans les réponses de 68 946 volontaires inscrits (78 % de femmes, âge moyen 44 ans) entre mai 2009 et novembre 2016 dans la base Nutrinet-Santé portant sur les habitudes alimentaires. Les volontaires devaient indiquer dans un questionnaire, pour 16 produits, la fréquence de leur consommation : « jamais », « de temps en temps » ou « la plupart du temps » d’aliments labellisés bio. Pendant les années du suivi, 1340 nouveaux cas de cancers ont été enregistrés et validés sur la base de dossiers médicaux, précise l’Inserm : « Une baisse de 25 % du risque de cancer (tous types confondus) a été observée chez les consommateurs réguliers d’aliments bio comparés aux consommateurs plus occasionnels ». 
Une importante consommation d’aliments bio est « inversement associée avec le risque de cancers » : « Cela veut dire que chez les petits consommateurs, on retrouve six cas de cancer en plus pour 1000 personnes », précise Emmanuelle Kesse-Guyot, coauteur de l’étude, au Figaro. Cette association est particulièrement marquée pour les cancers du sein chez les femmes ménopausées avec -34 % de risque et les lymphomes – un type de cancer du sang – avec -76 % de risque. Les lymphomes sont aussi des cancers qui affectent beaucoup les agriculteurs exposés aux pesticides.

Des biais assumés

La cohorte sur laquelle s’appuie l’étude n’est pas exempte de biais, comme le reconnaissent eux-mêmes les chercheurs. « La population étudiée n’est pas représentative de la population générale au niveau des cancers, souligne dans Le Figaro Emmanuelle Kesse-Guyot. Les participants à Nutrinet sont des gens volontaires, très intéressés par la nutrition et la santé ». Ces personnes, d’emblée plus impliquées dans leur alimentation, induiraient une « tendance à sous-estimer les associations observées, car les sujets sont déjà moins à risque ». De précédentes études ont effectivement montré que les individus qui mangent bio ont moins de risque d’être atteints d’un cancer, car ils sont « moins souvent fumeurs, moins en surpoids ou obèses, ont un meilleur équilibre alimentaire, moins d’antécédents familiaux, plus de diplômes... », rappelle le Huffington Post.
Les auteurs de l’étude ont donc pris en compte divers facteurs pouvant jouer sur les résultats : indice de masse corporelle, modes de vie, régime alimentaire, catégorie socioprofessionnelle, fumeurs/non-fumeurs. Les conclusions n’en ont pas été modifiées. « Il est donc peu plausible que des facteurs liés au style de vie, autres que la consommation d’aliments bio, soient en cause dans l’effet observé », estime, toujours dans Le Monde, l’épidémiologiste Rémy Slama (Inserm/université Grenoble-Alpes) qui n’a pas participé à l’étude. Les conclusions de ces travaux doivent néanmoins être confirmées par d’autres investigations pour préciser le lien de cause à effet.

Consommer des légumes et des fruits, bio ou non

Le commentaire de trois chercheurs d’Harvard aussi paru dans la revue Jama nuance, de fait, les conclusions de l'étude. Sans nier l’importance d’un travail de cette ampleur, ils en soulignent « des faiblesses importantes, qui nécessitent une interprétation prudente des résultats ». Ils font valoir la difficulté de mesurer une réelle consommation de produits bio à travers le questionnaire proposé par Nutrinet par exemple.
D’autre part, ils insistent sur le fait que si le lien entre réduction de risque de cancer et alimentation bio n'est pas encore complètement établi, « il existe déjà des preuves convaincantes qu’améliorer d’autres facteurs tels que le poids corporel, l’activité physique et l’alimentation peuvent réduire le risque de cancer ». Selon eux, il faut notamment être attentif à ce que « la préoccupation concernant les pesticides ne décourage pas la consommation de fruits et légumes provenant de l’agriculture conventionnelle, en particulier parce que, pour certains, les produits biologiques sont chers et inaccessibles ». Si ces résultats doivent alerter et pousser les chercheurs et autorités à examiner de façon plus approfondie le rôle de l’alimentation biologique dans la prévention du cancer, « il faut continuer à encourager l’alimentation saine, notamment une consommation plus élevée de fruits et légumes, qu’ils soient bio ou conventionnels ».