Toumaï, le trouble-fête ?
La découverte de Toumaï dans le désert tchadien pourrait bien remettre en cause la théorie actuelle de l’apparition de l’homme. Encore faut-il être sûr qu'il s'agisse bien d'un hominidé...
Olivier Boulanger - Publié le
Un crâne dans le désert du Djourab
Juillet 2002. Tout juste un an après sa campagne de fouilles dans le désert du Djourab, au Tchad, Michel Brunet, directeur de la Mission paléoanthropologique franco-tchadienne (MPTF), livre enfin ses conclusions* sur son extraordinaire découverte : un crâne appartenant, selon lui, au plus vieil hominidé connu à ce jour. Baptisé « Toumaï », il est âgé de 6 à 7 millions d'années, soit deux fois plus vieux que Lucy ! Dans le milieu de la paléontologie, et plus particulièrement dans le monde anglo-saxon, cette découverte a été vivement saluée: il n'est pas fréquent de trouver de si vieux fossiles.

Pour autant, l'interprétation de Michel Brunet n'est pas partagée par tous : Toumaï est-il bien un hominidé ? N'est-il pas plutôt un panidé, c'est-à-dire un ancêtre des chimpanzés ? Il est en effet troublant de constater que le crâne de Toumaï présente des caractéristiques propres à la fois aux grands singes et aux hominidés. Michel Brunet rappelle cependant que Toumaï possède des caractères présents exclusivement dans la lignée humaine.
Comment dater Toumaï ?
Le crâne de Toumaï étant fossilisé, il est impossible de le dater par des méthodes de datation directes comme, par exemple, celle utilisant le carbone 14. L'âge de Toumaï, estimé entre 6 et 7 millions d'années a donc été déterminé indirectement grâce aux restes d'animaux (plus de 700 !) trouvés à proximité du crâne : des antilopes, des chevaux tridactyles, des éléphants, des hippopotames… qui, eux-mêmes, ont pu être datés par comparaison avec des spécimens trouvés sur d'autres sites. Grâce à cet inventaire et à l'analyse des sédiments anciens, Michel Brunet et son équipe ont d'ailleurs pu déterminer l'environnement très particulier dans lequel vivait Toumaï : une zone comprise entre un lac et un désert.
Michel Brunet © CSI
« La seule présence de caractères dérivés dans la denture de Toumaï implique son appartenance au rameau humain... »
Des avis partagés...

On l'aura compris, pour son découvreur, Toumaï appartient à la branche des hominidés, tout près de l'ancêtre commun. Mais pour Brigitte Senut ou Martin Pickford (à l'origine de la découverte d'Orrorin), Toumaï se situe sur la branche qui mène aux chimpanzés.
« Ces deux interprétations placent Toumaï après l'ancêtre commun, constate Pascal Picq, maître de conférence au Collège de France. Or, nous ne connaissons rien de la période qui va de 7 à 10 millions d'années. Tant que nous n'aurons pas découvert avec certitude d'autres fossiles de part et d'autre du dernier ancêtre commun, nous ne pourrons pas affirmer si l'on est avant ou après la dichotomie. Nous découvrons aujourd'hui qu'il y a eu beaucoup plus de lignées qu'on ne le croit et tout ce que l'on peut dire c'est que Toumaï est certainement plus proche des hominidés que des panidés. Mais il n'est sans doute pas sur la branche qui conduit aux hommes. »
Pascal Picq, maître de conférence au Collège de France. © CSI
« Il est difficile de distinguer un caractère
archaïque d'un caractère évolué. »
Yves Coppens, paléoanthropologue au Collège de France. Yves Coppens est paléoanthropologue au Collège de France. © CSI
Yves Coppens, comment vous situez-vous
dans la polémique sur Toumaï ?
À l’ouest du rift

Reste que si Toumaï est effectivement un hominidé, se pose un autre problème. Comment expliquer sa présence à l'ouest du rift africain, à près de 2 500 km ? L'hypothèse communément admise considère en effet que l'homme s'est développé à l'est du rift, cette gigantesque barrière géologique séparant l'Afrique en deux. Selon cette "East Side Story", théorie proposée en 1982 par Yves Coppens, la naissance des hommes coïncide avec celle du rift, il y a environ 8 millions d'années. Les anciens primates, isolés dans les savanes de l'est se sont adaptés à la bipédie et sont devenus des hommes. Au contraire, ceux restés à l'ouest ont gardé leurs adaptations à la forêt et sont devenus des grands singes.
Les découvertes qui ont marqué la paléoanthropologie...
1924 – Découverte de l'enfant de Taung, en Afrique du Sud par Raymond Dart. Âgé de 2,5 millions d'années, ce squelette suggère que le berceau de l'humanité se situe, non pas en Asie, mais en Afrique.
1974 – Découverte de Lucy dans la Rift Valley par Donald C. Johanson, Maurice Taieb et Yves Coppens. Vieille de 3,2 millions d'années, Lucy est à l'origine de l'hypothèse de l''East Side Story'.
1995 – Découverte d'Abel par Michel Brunet : un homme de 3,3 millions d'années à l'ouest du Rift !
2000 – Découverte d'Orrorin au Kenya, par Brigitte Senut : 6 millions d'années.
2001 – Découverte de Toumaï, âgé de 6 à 7 millions d'années : Toumaï confirme la présence précoce d'hominidés à l'ouest du rift et remet en cause l''East Side Story'.
Homme cherche Origine
Yves Coppens, la découverte de Toumaï remet-elle en cause votre théorie de l’East Side Story ? Yves Coppens est paléoanthropologue au Collège de France © CSI 2002
Cette hypothèse – particulièrement séduisante – avait déjà prix du plomb dans l'aile en 1995 lors de la découverte d'Abel par Michel Brunet au Tchad. Yves Coppens avait, à l'époque, jugé que sa théorie tenait toujours, « plus de 3000 fossiles d'australopithèques ayant été trouvés en Afrique de l'Est contre un seul au Tchad ». Avec Toumaï, l'« East Side Story » vient peut-être de recevoir son coup de grâce.
L’“East Side Story“ a-t-elle vécu ? Réponse de Pascal Picq... © CSI
Mais quel serait alors le berceau de l'humanité ? « À cette question, il n'est pas possible de répondre, rétorque Michel Brunet. Dans l'état actuel de nos connaissances, la seule chose que nous pouvons dire est que la région qui recouvre le Sahel et l'Afrique orientale a joué un rôle privilégié dans l'émergence du rameau humain. N'attendez donc pas de moi une improbable "West Side Story"… »