Pourquoi passer à la 5G maintenant ? « Le plus important, dans un premier temps, est de désengorger les zones très denses comme les centres-villes qui commençaient à saturer en 4G », affirme Serge Abiteboul, informaticien à l’Inria et membre du collège de l’Arcep. D’après les chiffres de l’organisation, la consommation de données sur réseaux mobiles en France augmente constamment, avec une croissance de 32 % en 2020. « Le déploiement de la 5G va permettre d’absorber l’augmentation du trafic » abonde Arnaud Vamparys, responsable des réseaux radio chez Orange. « Ce renouvellement des standards de télécommunication a lieu tous les dix ans environ », ajoute Yaël Benayoun, cofondatrice de l’association Le Mouton numérique, qui éclaire les enjeux sociaux, politique et environnementaux du numérique.

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Antenne 4G et 5G © Marlon Trottmann/EyeEm/Getty Images

L’Union internationale des télécommunications, une agence qui dépend des Nations unies (Onu) et surtout le 3GPP, un consortium d’opérateurs et de constructeurs, jouent un rôle clé dans l’élaboration de ces standards en veillant justement à ce que les réseaux ne soient jamais saturés au niveau mondial. La 5G est donc loin de concerner uniquement la France, même si chaque pays décide de l’attribution des fréquences sur son territoire. En avril 2019, la Corée du Sud a vu le lancement de la première offre commerciale. D’autres pays ont suivi : la Chine, l’Allemagne, l’Espagne etc. Pour Arnaud Vamparys, « il existe un fort enjeu de compétitivité au niveau mondial entre les pays qui auront déployé et ceux qui n’auront pas déployé cette technologie ».

Évolution ou révolution ?

La 5G est en effet présentée comme une innovation. À l'instar de chacune des générations de téléphonie mobile, elle arrive accompagnée de promesses en termes de performance et de nouveaux usages. Dans les années 1980, les premiers réseaux mobiles étant analogiques, les téléphones étaient surtout installés dans les voitures. La 2G a vu la transition vers la téléphonie numérique et la possibilité d’échanger des SMS. Internet a débarqué sur les téléphones portables avec la 3G au début des années 2000, mais c’est surtout la 4G qui a développé l’usage massif des données, par exemple pour visionner des vidéos en meilleure définition.

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© Arcep, 2O2O

« Sur plusieurs points, contrairement à ce qu’on entend parfois, la 5G n’est pas une technologie de rupture, mais une simple évolution de la 4G » note Xavier Lagrange, chercheur spécialisé dans les réseaux mobiles à IMT – Atlantique. « Elle offre plusieurs facettes, comme un couteau multi-lames » ajoute Serge Abiteboul. La première « lame », celle que devraient principalement constater les consommateurs, est l’augmentation du débit. Celui-ci sera quelque dix fois supérieur à celui de la 4G. « Le débit pic pourra atteindre le gigabit de données par seconde. C’est un peu comme si on avait la fibre dans la poche ! » s’enthousiasme Arnaud Vamparys. Le débit moyen perçu se situe autour de la centaine ou de quelques centaines de mégabits par seconde. Comme le vante l’opérateur SFR sur son site, un film de qualité HD de 5 Go prendra moins de 2 minutes à être téléchargé quand il faut plus de 16 minutes en 4G. La deuxième « lame » concerne la latence, c’est-à-dire le temps nécessaire pour qu’un petit paquet de données atteigne le destinataire de la communication. La 5 G promet de diminuer ce temps jusqu’à dix millisecondes, voire une milliseconde seulement dans certains cas.

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Une nouvelle application permet à des groupes de musique de répéter à distance à travers Internet, comme s’ils étaient ensemble dans une même pièce. Pour permettre une bonne synchronisation entre artistes, une faible latence est cruciale. La réactivité de la 5G peut apporter un bénéfice essentiel © Orange Lab5G

Les joueurs en ligne, ou les musiciens répétant à distance peuvent en voir l’utilité. Par ailleurs, les utilisateurs professionnels, comme les industriels, auront la possibilité de se réserver une bande de fréquence pour un usage précis. Il s’agit du « network slicing ». La connexion sera ainsi plus fiable, car elle ne sera pas concurrencée, et donc dégradée, par un utilisateur voisin qui serait par exemple en train de télécharger une vidéo. Enfin, dernière « lame », la nouvelle génération permettra dans le futur de relier encore plus d’objets connectés (caméras, capteurs, ou peut-être même des voitures) au réseau mobile. En pratique, les nouveaux usages pour tout un chacun seront donc ceux offerts par un débit plus grand : « Plus de confort d’utilisation, des téléchargements plus rapides, des expériences plus immersives comme la vidéo 360°, plus de performance pour tous les services en ligne de type cloud », énumère Arnaud Vamparys, chez Orange.

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À l’occasion d’une rencontre de football, des spectateurs ont pu entendre au casque et mixer les sources audio de leur choix, en utilisant des smartphones connectés à une antenne expérimentale 5G © Orange Lab5

Dès avant le lancement commercial, un test 5G a été réalisé lors d’un match de foot au stade Vélodrome de Marseille. Des spectateurs ont pu assister au match munis d’un téléphone 5G et d’un casque audio : ils pouvaient choisir et mixer différentes sources sonores (bruit au plus près du terrain, ambiance dans les tribunes des supporters, différents commentaires sportifs…) afin de bénéficier d’une « expérience sonore augmentée ».

« Aujourd’hui, la 5G s’applique essentiellement aux smartphones, aux tablettes et aux ordinateurs. Mais on peut imaginer qu’au cours de la prochaine décennie se développe le marché des lunettes connectées, qui afficheront des informations en réalité augmentée » poursuit Arnaud Vamparys. Cela ne concerne pas que les particuliers : l’industrie expérimente également afin de savoir si la 5G peut améliorer les performances des usines (cf. encadré).

Parmi les applications moins « gadget » de la 5G, la téléchirurgie est régulièrement citée. La faible latence associée à la plus grande fiabilité de la nouvelle génération rendent en effet possibles des opérations à distance, qui nécessitent beaucoup de réactivité. « Néanmoins, à mon avis, il est peu probable qu’on utilise la 5G pour cela, une connexion par fibre resterait une meilleure solution » nuance Serge Abiteboul. Comme avec la plupart des nouvelles technologies, on ne peut pas prédire qu’elles seront les « killer app », « c’est-à-dire les applications qui seront réellement porteuses » continue le chercheur à l’Inria.

Gare, en effet, à ne pas vanter que les utilisations positives de la 5G : « La surveillance en est aussi une, souligne Yaël Benayoun. Selon une étude du cabinet Gartner datée de 2019, les caméras de vidéosurveillance représenteront le plus gros marché des objets connectés 5G dans les trois premières années suivant son lancement ».

Nouvelles fréquences, nouvelles antennes...

Si la 5G est plus une évolution qu’une révolution, elle apporte néanmoins plusieurs innovations techniques qui requièrent des modifications du réseau. Celles-ci se feront progressivement. La principale nouveauté depuis fin 2020 consiste en l’utilisation d’une nouvelle bande de fréquences radio, attribuées par l’Arcep aux opérateurs, autour de 3,5 GHz. Elle s’ajoute aux autres bandes fréquences utilisées jusqu’à présent pour la téléphonie mobile, comme celle de 700 MHz sur laquelle la 5G se déploie également.

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Fréquences attribuées à la téléphonie mobile © Arcep, 2020

À nouvelles fréquences, nouvelles antennes. Au 7 janvier 2021, l’implantation de plus de 18 000 antennes 5G avait été autorisée par l’ANFR (l’Agence nationale des fréquences, qui dépend des pouvoirs publics) tous opérateurs confondus. Ces nouvelles antennes ressemblent beaucoup à celles des anciennes générations : elles assemblent plusieurs éléments dits rayonnants, des petits circuits électriques dans lesquels circule un courant oscillant. Ces éléments émettent alors une onde électromagnétique dans toutes les directions. Mais la 5G pousse plus loin le caractère « actif » des antennes. « En jouant sur les déphasages entre les différents éléments rayonnants, l’onde émise ne part plus dans toutes les directions, mais devient un faisceau fin, qu’on peut diriger dans les trois dimensions pour suivre un utilisateur qui se déplace », explique Xavier Lagrange.

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Les antennes actives : le beamforming, une nouveauté de la 5G © Arcep, 2020

Autre nouveauté, la capacité accrue pour une seule antenne d’envoyer simultanément des signaux à la même fréquence vers plusieurs utilisateurs, ce que les spécialistes nomment MIMO massif (multiple input, multiple output). En revanche, les hautes fréquences portent moins loin que les basses : moins de 1 kilomètre à 3,5 GHz en milieu urbain, et moins de 300 mètres à 26 GHz, contre quelque 2 km à 700 MHz. Il faudrait donc plus d’antennes 5G que 4G pour couvrir tout le territoire. « Pour l’instant, nous modifions les antennes sur les sites 4G existants, essentiellement dans les zones urbaines ou d’activité économique. Il n’y a pas de nouveaux sites d’antennes au démarrage », précise Arnaud Vamparys.

Mais les promesses de la 5G reposent sur les nouvelles fréquences : « Plus les fréquences sont élevées, plus il y a de largeurs de bande disponible, ce qui permet des débits plus hauts », note Xavier Lagrange. L’utilisation d’une bande de fréquences encore plus grande, autour de 26 GHz, fait déjà l’objet d’expérimentations sur le terrain, même si la date de sa généralisation n’a pas encore été fixée.

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La portée des trois bandes 5G © Arcep, 2020

Ensuite, pour que l’utilisateur démarre avec la 5G, il lui faut un téléphone et un forfait compatibles. Pourtant, le nouveau réseau reste dans un premier temps dépendant de la 4G. Le smartphone se positionne en 4G, indique au réseau qu’il est capable fonctionner en 5G. S’il y a besoin d’avoir plus de débit, par exemple pour regarder une vidéo, une connexion 5G s’établit en complément.

« Ce qui est nécessaire pour bénéficier de toutes les capacités d’une 5G autonome, c’est d’un cœur de réseau », affirme Xavier Lagrange. Celui-ci se situe derrière les antennes. « Il est constitué de fibres optiques, de routeurs pour aiguiller les données, de serveurs pour gérer la localisation ou les droits d’accès, etc. Il s’agit en fait du réseau internet, la téléphonie n’étant qu’une de ses fonctions », décrit le chercheur à IMT-Atlantique. Ainsi, les protocoles, c’est-à-dire la façon dont les machines du réseau communiquent entre elles, évoluent pour se rapprocher toujours plus des protocoles informatiques, tel le HTTP qui gère les pages web.

Pour la 5G, le réseau va par ailleurs devenir davantage plus « virtuel ». Cela signifie que certaines fonctions ne seront plus effectuées par des machines spécialisées, mais par des logiciels fonctionnant sur des ordinateurs standard. « En conséquence, le réseau sera plus flexible et réactif que les générations précédentes. Cela permettra, par exemple, de découper le réseau en tranches, chacune spécialisée pour un type de service – ce qu’on appelle le network slicing ». Ces modifications du cœur de réseau devraient intervenir en 2022, voire en 2023.

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Industrie connectée grâce à la 5G : maintenance d’une chaîne de fabrication au Vaudreuil (Eure) © DR

La 5G en cours de test pour l’industrie du futur

Des industriels ont d’ores et déjà lancé des expérimentations 5G dans leurs usines. C’est par exemple le cas de Lacroix Electronics qui conçoit, fabrique et distribue des cartes électroniques utilisées dans l’automobile, l’aéronautique, la domotique etc. Un réseau 5G dédié à cette usine y a été installé. « Nous testons deux cas d’usage, détaille Dominique Maisonneuve, responsable “smart industry” chez Lacroix Electronics : pour la gestion technique des bâtiments, les données mesurées par les capteurs (température, hygrométrie) transitent désormais par le réseau 5G jusqu’au logiciel de supervision ». Ces paramètres environnementaux sont effet importants pour le processus de fabrication.

« Le deuxième usage est la remontée vers le serveur de l’usine des photographies prises par de caméras afin de contrôler la qualité des cartes électroniques produites ». Un gain au niveau du débit est donc attendu avec la 5G. Mais le nouveau réseau mobile pourrait aussi permettre plus de flexibilité en remplaçant les connexions filaires. « Si on veut optimiser le chiffre d’affaires au mètre carré, par exemple ne pas mettre des équipements dans l’atelier qui ne servent à rien, car la demande chute, alors il faut de la mobilité. Nous avons donc besoin d’un réseau sans fil qui tienne la route » explique Dominique Maisonneuve. Si la 5G tient ses promesses, elle pourrait être installée dans une nouvelle usine, actuellement en cours de construction.

Des critiques et des débats

Les débats autour de la 5G, eux, n’ont pas attendu. « Des questions environnementales, sanitaires et démocratiques sont posées », déclarent ainsi dans une tribune publiée en septembre 2020 les maires de plusieurs grandes villes françaises. Ils réclament un moratoire sur le déploiement de la 5G en attendant les résultats de son évaluation sur la santé et le climat. Reprenant ainsi une proposition formulée par la Convention citoyenne sur le climat, mais écartée par le Président Emmanuel Macron.

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Manifestation contre la 5G © Drazen Zigic/Getty Images

Certes, en ce qui concerne les niveaux d’exposition du public aux champs électromagnétiques avec la 5G, des mesures de l’ANFR affichent des valeurs très inférieures à la limite réglementaire, qui est de 61 volts par mètre dans la bande de fréquences 3,5 GHz. 

Le dernier rapport de l’Anses

Un rapport préliminaire de l’Anses, publié en janvier 2020, dressait un premier bilan des connaissances sur les effets sanitaires liés à l’exposition aux champs électro-magnétiques dans les bandes 3,5 GHz et 26 GHz. Dans la continuité de ses travaux d’expertise sur radiofréquences et santé, et sur la base des données scientifiques disponibles à ce jour, l’Anses a produit un second rapport en mars 2021 sur l’évaluation des effets sanitaires.

Celui-ci estime « peu probable » que le déploiement de la 5G dans la bande de fréquences 3,5 GHz présente « de nouveaux risques pour la santé ». Pour la bande de fréquences 26 GHz, les données ne sont, à l’heure actuelle, pas suffisantes pour conclure à l’existence ou non d’effets sanitaires. L’Agence souligne la nécessité de poursuivre les recherches et de suivre en particulier l’évolution de l’exposition des populations à mesure de l’évolution du parc d’antennes et de l’augmentation de l’utilisation des réseaux.

Afin de recueillir davantage de données et commentaires scientifiques complémentaires, l’Anses a soumis ses travaux à une consultation publique. Celle-ci, ouverte aux acteurs de la société civile (associations, experts, citoyens…) a été lancée par voie numérique le 20 avril pour six semaines. Les résultats seront intégrés et publiés dans un rapport final à paraître en septembre 2021.

Le déploiement de la 5G n’a pas non plus attendu l’évaluation de son impact environnemental. Il reste exemple des interrogations sur le brouillage des mesures météorologiques par l’utilisation de la bande de fréquence autour de 26 GHz.

Surtout, la consommation énergétique de la 5G, et donc l’émission accrue de gaz à effet de serre participant au réchauffement climatique, pose question. Certes, à quantité de données échangées égales, une antenne 5G est moins énergivore que son homologue 4G. Mais c’est sans compter l’effet rebond : l’augmentation de la consommation de données risque de réduire à néant l’effet d’une meilleure efficacité énergétique.

Six mois après l’arrivée de la 5G en Corée du Sud, la consommation de données d’un utilisateur passé à la nouvelle génération avait ainsi été multipliée par deux en moyenne. En France, l’étude publiée par le Haut conseil pour le climat (HCC) en décembre 2020 envisage plusieurs scénarios, selon lesquels l’impact carbone du déploiement de la 5G pourrait atteindre 2,7 à 6,7 millions de tonnes équivalent CO2 en 2030. « C’est une augmentation significative en comparaison de l’empreinte carbone du numérique (environ 15 Mt éqCO2 en 2020) », relève le HCC.

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L’empreinte carbone du numérique selon plusieurs scénarios de déploiement et non-déploiement de la 5G © Rapport HCC

La source principale se trouve dans la fabrication des smartphones, dont le renouvellement pourrait accélérer. « Nous prônons un développement raisonnable et raisonné de la 5G, là où c’est utile », plaide Arnaud Vamparys. « Attention cependant à ne pas faire porter la responsabilité uniquement à l’utilisateur qui regarde des vidéos en 5G ou qui achète un smartphone compatible, alerte Yaël Benayoun, il devrait y avoir des débats démocratiques en amont des choix technologiques ».

Le réseau 5G est en effet une infrastructure : ses applications potentielles, positives ou négatives comme les véhicules autonomes ou la vidéosurveillance, affectent le fonctionnement de nos sociétés bien au-delà du débit de téléchargements d’une série. Des consultations citoyennes sur la 5G ont été lancées fin 2020 dans des villes comme Paris, Rennes ou Poitiers. « C’est positif, poursuit la cofondatrice du Mouton Numérique, intervenue auprès des citoyens de Paris tirés au sort pour se prêter à ces échanges, mais ces exercices arrivent un peu trop tard et sont souvent coupés des instances de décision. Il faut inclure ces questions démocratiques et environnementales dans le développement technologique, qui ne doit pas se faire que sur des projections de saturation de réseaux ou de débouchés industriels ». L’occasion pourrait être saisie durant la deuxième phase de la 5G, à 26 GHz, pour laquelle l’Arcep a prévu une consultation publique, et surtout pour la 6G, sur laquelle scientifiques et industriels commencent déjà à plancher… pour l’horizon 2030.


5G : point de vue de Yael Benayoun, sociologue, cofondatrice du Mouton Numérique

Yaël Benayoun, sociologue indépendante, cofondatrice de l'association le Mouton Numérique, milite pour une meilleure prise en considération des réalités du terrain dans les choix technologiques et autres décisions stratégiques.