Constat « sans équivoque » et interrogations 

La température à la surface du globe est aujourd’hui supérieure de 1,1 °C à celle des années 1850-1900. Principalement par le biais des émissions de gaz à effet de serre, ce réchauffement est attribuable aux activités humaines, et ce « sans équivoque » possible, pour reprendre les termes du 6e rapport du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), paru en 2023. Deux constats essentiels qui donnent raison aux prévisions des climatologues. 

Pour autant, du côté des sciences du climat, la messe n’est pas dite. De grandes questions demeurent sans réponse. Difficile, dans ces conditions, de prévoir le climat à venir de l’ère anthropocène, et donc d’adapter les mesures d’atténuation ou d’adaptation. 

Certes, les modèles informatiques sont de plus en plus performants, par exemple pour prédire l’évolution globale du réchauffement planétaire… mais personne ne vit à la température moyenne mondiale ! Et les modèles représentent encore mal les climats régionaux, c’est-à-dire à une échelle plus humaine. Ainsi, ils sous-estiment systématiquement les jours les plus chauds et peinent à prédire l’évolution des précipitations, à la baisse ou à la hausse, dans de nombreuses régions, en particulier une bande centrale de l’Europe, depuis la France jusqu’à l’Asie centrale. Pour améliorer leurs prédictions, les scientifiques augmentent la résolution spatiale et temporelle de leurs modèles en prenant en compte le plus finement possible les mécanismes physiques du système climatique, mais aussi d’autres facteurs qui agissent localement sur le climat, comme la présence d’aérosols dans l’air ou l’artificialisation des terres. 

Plus d’IA dans les modèles

Les algorithmes d’intelligence artificielle (IA) facilitent la modélisation, qui reposait jusqu’ici principalement sur les équations de la physique du climat : circulation atmosphérique, évolution de la cryosphère (banquises, glaciers…), échanges d’énergie et de chaleur etc. L’IA pourrait par exemple remplacer des calculs complexes de certains processus individuels, comme le rayonnement ou la turbulence à l’interface surface-atmosphère. Mais comme elle est entraînée avec des données observées, elle n’est pas fiable pour prédire des états climatiques inconnus. L’IA ne sera donc sans doute pas utilisée rapidement pour construire des modèles entiers du climat. 

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Avec la Nasa, IBM a mis au point une technologie d’IA géospatiale utilisée pour lutter contre le changement climatique : suivi des émissions de CO2, du reboisement, des îlots de chaleur… © IBM/Nasa
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© Gwenvidig/Getty Images

Mieux anticiper l’effet papillon

Les phénomènes extrêmes ont des causes multiples, dont le hasard qui reflète la nature chaotique du système climatique. Or, même faiblement perturbé, un état météorologique peut évoluer en des scénarios divers : c’est « l’effet papillon ». Pas simple donc de calculer le risque de survenue des événements extrêmes ! Les climatologues devront désormais multiplier les simulations afin de mieux détecter les indices d’un emballement climatique et calculer leur probabilité de survenue. Autre difficulté, davantage théorique celle-ci : réussir à attribuer un événement extrême au changement climatique malgré le rôle du hasard.  

Phénomènes extraordinaires et inédits

En octobre 2023, l’ouragan Otis, au large de la côte Pacifique du Mexique, est passé du statut de tempête tropicale force 2 à celui d’ouragan force 5 en quelques heures seulement ; en juin 2021, la température a frisé 50°C dans la province canadienne de Colombie-Britannique ; plus proche de nous, la tempête qui s’est abattue sur la Corse en juillet 2022 a défié les pronostics : longue est la liste d’évènements climatiques inédits survenus ces dernières années. 

Certes, ces évènements ont toujours été physiquement possibles, mais avec une telle rareté qu’ils n’avaient jamais encore été observés. Le changement climatique les rend désormais plus probables. Pour les anticiper, les climatologues sont confrontés à deux défis. Ils doivent d’abord comprendre les mécanismes physiques sous-jacents pour expliquer les phénomènes observés et améliorer leurs modélisations, comme la « convection atmosphérique » à l’œuvre dans les tempêtes et cyclones : le transfert vertical de masses d’air, très complexe à modéliser. L’enjeu est en particulier de réussir à prédire la formation d’ouragans majeurs en moins de 24 heures. 

Les scientifiques doivent aussi dorénavant être capables de prévoir des événements jamais observés. Une gageure, car la prédiction possible d’un phénomène hors normes peut passer pour une simple anomalie de calcul. En outre, les modèles ne prévoient pas des événements précis à plus de 10 jours : ils livrent une probabilité de survenue. Or quand la probabilité est infime, elle est parfois écartée. Avec le changement climatique, il faudra veiller à identifier les indices de ces événements au caractère exceptionnel, voire inédit. 

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ICOS (pour Integrated Carbon Observation System) est un réseau européen de 168 stations de mesure des concentrations de gaz à effet de serre, qui vise à améliorer la précision des modèles climatiques. Ici, la station de Cabauw, aux Pays-Bas. © ICOS RI/ Sander Karsen

Le système climatique, une vision parcellaire

Les observations météo sur l’ensemble du globe sont essentielles, car elles permettent de suivre l’évolution du climat et de tester la fiabilité des modèles, en vérifiant que le scénario du modèle est fidèle à la réalité. Les données sont fournies par les réseaux satellitaires, comme Copernicus en Europe, et par des observatoires du climat : des stations qui collectent les données de températures, pluies et vents en temps réel. Mais ces réseaux d’observation sont incomplets, car absents de certaines zones, intertropicales et polaires notamment : la vision du système climatique reste parcellaire.

Quand l’Amazonie rejette du carbone

Pas facile de quantifier la capacité d’absorption des « puits » de carbone sur Terre. Mais de manière générale, les études sur le stockage du carbone par les forêts seraient « excessivement optimistes », selon une étude parue dans Science fin 2022. Avec le temps, d’ailleurs, cette capacité de stockage s’est dégradée : en France, par exemple, la séquestration de carbone par les forêts a chuté d’un quart en 10 ans. Pis : les forêts peuvent devenir émettrices nettes de carbone. Vieillissante, dégradée par les incendies, l’Amazonie a ainsi émis 18 % de plus de carbone qu’elle n’en a fixé sur la décennie 2010 !

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En novembre 2023, la Bolivie et le Brésil ont été frappés par d’importants incendies de forêt, à l’origine d’émissions de carbone supérieures aux valeurs moyennes sur 2003-2022. Sur l’image, les prévisions d’aérosols du 18 novembre en Amérique du Sud © Copernicus Atmosphere Monitoring Service (CAMS)

Les mystères de la pluie

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Avec un réchauffement planétaire de 2 °C, voici les évolutions prévues de précipitations totales dans l’un des scénarios du Giec : dans les tons vert, une hausse ; dans les tons bruns et marron, à la baisse © IPCC WGI Interactive Atlas

L’évolution des pluies est plus ardue à prévoir que celle des températures, car le cycle évaporation-condensation-précipitation est complexe, lié aux mouvements atmosphériques, au rayonnement solaire et à la nébulosité. Les données de pluviométrie sont aussi plus délicates à collecter, et les données manquantes à extrapoler. Dans l’évolution de la pluviométrie depuis 50 ans, les scientifiques peinent donc à distinguer ce qui relève de la variabilité « normale » et ce qui relève du changement climatique. Le dernier rapport du Giec retient une idée principale : à l’avenir, il fera plus sec dans les régions sèches et en période sèche, et plus humide dans les régions humides et en période humide. 

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© Debieux/Getty Images

Des cours d’eau aux évolutions contrastées

Quelles sont les parts du changement climatique et des autres impacts anthropiques (barrages, prélèvements, urbanisation) dans l’évolution des cours d’eau ? Pour isoler les effets, des chercheurs utilisent des modèles hydrologiques locaux et modifient les seuls paramètres du changement climatique. À partir des projections du Giec, ils ont ainsi établi l’évolution attendue des débits. En France : baisse des débits dans le sud et sur la majeure partie du territoire en été ; mais des prévisions contradictoires dans le nord du pays. Une incertitude liée au climat de cette zone, à cheval entre un climat méditerranée sec et un climat nord-européen humide. 

Des calottes proches de la bascule

Les points de bascule du climat sont des seuils qui, une fois franchis, affecteront durablement le climat en l’entraînant dans un nouvel état, irréversible. Dans ce domaine, la fonte de la calotte glaciaire de l’Antarctique occidental constitue la plus grande source d’incertitude pour évaluer la montée du niveau des mers à l’horizon 2100. Sa fonte semble inéluctable, d’après une étude d’octobre 2023. Mais est-elle probable à court terme et a-t-elle même déjà débuté ? Selon les scénarios, elle pourrait contribuer de 30 centimètres à 1 mètre à l’élévation de la mer à la fin du siècle. 

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© Fred Tamashiro/Getty Images

Nuages, couvercles et parasols

Les nuages influencent le réchauffement climatique qui lui-même modifie la formation des nuages : comprendre ces phénomènes d’actions et de rétroactions est complexe, à tel point que la rétroaction nuageuse demeure une des principales sources d’incertitude sur l’amplitude du changement à venir. Les nuages jouent en effet un rôle majeur dans le bilan radiatif terrestre, autrement dit l’équilibre entre l’énergie solaire reçue par le système climatique et l’énergie infrarouge réémise vers l’espace par notre planète. Complexité additionnelle : selon leur nature et leur altitude, les nuages ont des effets opposés. Pour schématiser, les nuages bas à l’aspect cotonneux ont un effet « parasol » : ils refroidissent le globe en réfléchissant les rayons du soleil vers l’espace. À l’inverse, les nuages situés dans les couches supérieures de l’atmosphère agissent comme un couvercle en empêchant le rayonnement infrarouge – la chaleur terrestre – de s’échapper de l’atmosphère. En moyenne, aujourd’hui, les nuages ont un effet refroidissant car l’effet parasol l’emporte sur l’effet de serre nuageux. Mais, avec le changement climatique, les scientifiques s’attendent à ce que l’effet de serre nuageux se renforce, quoique dans des proportions difficiles à évaluer, souligne le 6e rapport du Giec. 

L’effet ambigu des aérosols

La lutte contre la pollution conduit à réduire les aérosols, ces particules fines en suspension. Que devient le réchauffement planétaire en leur absence ? Pas simple : tous les aérosols n’exercent pas le même effet refroidissant ; et ils modifient aussi le climat en interagissant avec les nuages. Par exemple, le dioxyde de soufre émis par les navires augmente les propriétés réfléchissantes des nuages, contribuant au refroidissement. D’où la question posée à l’été 2023, pour l’heure sans réponse : la vague de chaleurs dans l’Atlantique Nord est-elle liée à la baisse des émissions du secteur maritime ? 

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© Cahkt/Getty Images
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© Aapsky/Getty Images

Quand les avions font des nuages

La contribution de l’aviation au changement climatique se décompose en deux effets, parfois considérés comme d’importance équivalente : les énergies fossiles brûlées par le secteur et la contribution à la formation de nuages cirrus. En effet, la vapeur d’eau émise par les avions est à l’origine, dans certaines conditions atmosphériques, de traînées de condensation persistantes qui se transforment en cirrus. Pour étayer cette hypothèse, une équipe internationale a montré que durant l’année du confinement, en 2020, la formation de cirrus dans les couloirs aériens avait reculé.  

L’océan en mal de ventilation

Acteur majeur du climat, l’océan a emmagasiné 90 % du réchauffement mondial depuis les années 1970. Mais au prix de profondes transformations, aux conséquences mal mesurées. Parmi les phénomènes qui préoccupent les scientifiques : le ralentissement de la ventilation des eaux profondes. Car le réchauffement de la surface des eaux et l’arrivée d’eau douce liée à la fonte des glaces allègent la couche d’eau en surface, ce qui entrave la remontée des eaux profondes, plus denses. 

Or l’échange entre surface et profondeurs permet de stocker au fond des mers le carbone dissout dans l’eau ou fixé par les êtres vivants. S’il est ralenti, la « pompe à carbone » des océans, qui absorbe aujourd’hui près d’un tiers des émissions de dioxyde de carbone liées aux activités humaines, est enrayée. Autre conséquence, préoccupante également : le ralentissement attendu des circulations océaniques de fonds, qui s’ajoute aux modifications des courants de surface influencés par les vents atmosphériques. 

Ces courants marins influencent les climats régionaux voire mondiaux, à l’instar du Gulf Stream ou du circumpolaire antarctique. Ils jouent aussi un rôle essentiel dans la vie écologique et biologique des écosystèmes marins. Or les scientifiques savent encore peu de choses sur leur évolution, parce qu’ils sont situés en profondeur et d’un débit naturellement très variable. Autant d’incertitudes qui pèsent sur la prévision du rôle futur de l’océan dans le changement climatique.  

Une catastrophe dans la catastrophe ?

Quelles conséquences entraîneraient des perturbations de l’Amoc (acronyme anglais pour « circulation méridienne de retournement atlantique ») ? Allant de l’équateur aux pôles, cette somme des courants océaniques contribue à répartir la chaleur à l’échelle du globe. Mais le Giec redoute désormais que cette circulation de retournement ne soit perturbée. Les hivers pourraient alors devenir plus rigoureux dans les zones tempérées, comme en Europe, et les étés plus secs et caniculaires. 

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Représentation des courants océaniques dans l’Atlantique Nord. Les couleurs indiquent les températures de surface de la mer : chaudes en rouge et jaune, plus froides en vert et bleu © Nasa Goddard Space Flight Center