Les musophobes les ont en horreur, d’autres les adoptent comme animaux domestiques. Certains passent leur vie à les étudier, d’autres à les éliminer… Depuis toujours, les rats cohabitent avec les humains. Longtemps, ce rongeur, en particulier le rat noir Rattus rattus, a été considéré comme l’un des pires fléaux de l’humanité, lorsque la peste tuait des millions de personnes en quelques années. Il colonisait les greniers, où il profitait du gîte et du couvert. Aujourd’hui, le rat noir se trouve surtout dans les campagnes. C’est son cousin Rattus norvegicus, également appelé rat brun ou surmulot, qui le remplace dans les grandes métropoles. En effet, son régime omnivore à tendance carnivore se marie parfaitement avec les ordures des villes. Paris, New York, Londres, Singapour… Ces rats semblent actuellement proliférer. On les voit partout : dans les rues où s’entreposent les déchets alimentaires, dans les égouts, dans les réseaux souterrains du métro, dans les jardins publics, et même parfois au fond de nos toilettes ! Sont-ils réellement plus nombreux qu’avant ou simplement plus visibles ? Y a-t-il des risques à cohabiter avec ces rongeurs ? Quelles sont les méthodes pour s’en débarrasser ? Les rats ne présentent-ils pas une certaine utilité ? Le point sur ces figures des ténèbres…

Comment évaluer leur nombre ?

Plusieurs indices permettent aux chercheurs de faire des estimations : le nombre de rats observés directement, le nombre de terriers, la quantité de nourriture accessible... Certaines équipes ont également déposé de la nourriture dans les égouts pour quantifier ce qui est consommé. Résultat : lorsqu’il y a des déchets alimentaires en surface et de vieux égouts en brique et en moellon où les rats peuvent facilement se nicher, on peut avoir jusqu’à 1,8 rat par habitant. D’où une estimation d’environ 3 millions de rats pour Paris intra-muros. Dans les zones sans égouts, plus propres en surface, on tombe à moins de 0,1 rat par habitant.

Source : Des rats et des hommes, Pierre Falgayrac, éditions Hyform, 2013

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Infographie : Julien Tredan-Turini

Des rats de plus en plus visibles

Certains changements dans les villes poussent les rats à sortir en surface et côtoyer le monde des humains.

Aucun doute : les citadins croisent de plus en plus de rats dans leur ville. Mais sont-ils réellement en train de proliférer ? La question est plus complexe qu’il n’y paraît. Impossible en effet de recenser l’ensemble des rats présents dans les égouts, sous-sols, caves, jardins... On étudie donc les facteurs qui déterminent la taille d’une population de rats : la quantité de nourriture et les possibilités de nidification. Si l’un de ces indicateurs augmente, on peut craindre une prolifération. « Il y a dix ans, suite à une grève des éboueurs à Naples, on avait clairement assisté à une prolifération des rats », rappelle Pierre Falgayrac, l’un des rares experts de la lutte raisonnée contre les rats. Mais à Paris, comme dans la plupart des autres villes, aucune augmentation significative et durable de nourriture disponible pour les rats n’est à noter. En revanche, les restes alimentaires laissés dans les parcs ou sur les terrasses des cafés attirent les rats en surface la nuit. Tout comme les poubelles Vigipirate en plastique, situées à quelques centimètres du sol : une aubaine pour les rats, qui ont un odorat 1000 fois plus sensible que le nôtre, et 10 fois plus discriminant que celui d’un chien ou d’un chat. En outre, les nombreux travaux d’excavation et de démolition contraindraient les rats à changer de terrier et à migrer ailleurs. De même, les crues plus fréquentes de la Seine ont obligé nombre de rongeurs à se déplacer. Sans être nécessairement plus nombreux, les rats seraient donc avant tout plus visibles.

Une origine asiatique

La distribution des fossiles et les analyses génétiques indiquent que le rat brun serait originaire du nord de la Chine ou de Mongolie. Profitant de la Route de la soie, il aurait petit à petit gagné l’Asie centrale. De là, embarquant clandestinement sur les navires des grandes puissances européennes entre 1600 et 1800, ce rat a fini par coloniser l’ensemble de la planète, à l’exception des régions polaires. À Paris, la construction du réseau d’égouts de la ville à la fin du 19e siècle offrira aux rongeurs les moyens de leur sédentarisation : un abri dépourvu de prédateurs, des opportunités de creusement de terriers, de l’obscurité, de l’eau et de la nourriture carnée sur les trottoirs.

Source : Puckett E. et al. ; Proc. R. Soc. B Oct. 2016 ; Invasions biologiques et extinctions, éditions Belin, 2006

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Les rats, forcément nuisibles ou... utiles ?

Pour certains, les rats sont des animaux nuisibles qu’il faut éliminer. Pour d’autres, ils sont utiles et nous devons apprendre à cohabiter avec eux.

Longtemps, le rat surmulot fut considéré comme l’un des plus grands nuisibles de la planète. Il occasionne par exemple, avec son compère le rat noir, entre 5 et 10 % de pertes agricoles dans le monde, en grignotant les semences, les récoltes et les stocks, mais surtout en contaminant la nourriture via son urine ou ses excréments. Toutefois, force est de constater qu’aujourd’hui, en milieu urbain, l’impact du surmulot est avant tout lié à la crainte que nous procure cet animal, une crainte qui pourrait nuire au tourisme et donc à l’économie. « L’inconfort visuel » est ainsi le premier argument invoqué par la ville de Paris pour justifier les campagnes de dératisation. Ce que n’ont pas manqué de souligner des associations de défense des animaux, qui luttent contre l’image négative des rats issue de préjugés tenaces. À l’automne 2018, Paris Animaux Zoopolis a lancé une campagne d’affichage sur les quais du métro parisien où l’on pouvait lire : « Les rats ne sont pas nos ennemis ! » De fait, les rats des villes présentent aussi des bénéfices. Ils consomment l’équivalent de 10 % de leurs poids par jour. Rapporté à la population de rats estimée dans Paris (environ 3 millions), cela représenterait quelque 100 tonnes de déchets par jour. Autant de détritus que n’ont pas à manipuler les balayeurs, éboueurs et égoutiers. Selon le spécialiste Pierre Falgayrac, « en circulant à travers les grilles d’avaloir et en creusant leurs terriers dans le limon qui s’accumule sous ces grilles, les rats évitent aussi le colmatage des égouts ». Même si les rats ne sont pas indispensables : ainsi, à Monaco, il n’y a quasiment pas de rats et les égouts, construits récemment avec des buses en béton, fonctionnent très bien.

À New York, les rats ne se mélangent pas !

Après avoir étudié 262 rats bruns de la ville de New York, des chercheurs de l’université de Fordham ont découvert qu’il existait deux sous-populations distinctes d’un point de vue génétique : les rats du nord de Manhattan et les rats du sud. Au milieu, se trouve le quartier commercial, des affaires et touristique, avec moins d’habitants permanents mais plus de perturbations journalières. Ce cœur de ville agirait comme une sorte de barrière, estiment les auteurs. New York, comme d’autres villes aux États-Unis, lutte contre ses rats depuis des décennies. En 2017, le maire a annoncé un plan doté de 32 millions de dollars (28 millions d’euros) pour dératiser la ville.

Source : M. Combs et al., Molecular Ecology, nov. 2018

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L’essor des espèces « généralistes »

Plus les habitats sont perturbés par l’Homme, plus certaines espèces, comme le rat, le pigeon ou la souris, se multiplient. Aux dépens d’autres espèces…

Depuis que les humains se déplacent et conquièrent de nouveaux territoires, ils transportent avec eux un bestiaire domestique (poules, cochons, vaches…) mais aussi tout un tas de passagers clandestins comme les fourmis, les souris ou les rats. Résultat : on retrouve ces espèces partout sur la planète, et elles se substituent progressivement aux espèces autochtones. On parle d’homogénéisation de la biodiversité. Ce phénomène est encore plus frappant dans les villes. Que l’on soit en Europe, en Amérique ou en Asie, on y trouve toujours les mêmes espèces : rats, pigeons, souris, moineaux, pissenlits, fougères… Dites « généralistes », elles tolèrent le bruit, la pollution et la présence de l’Homme, contrairement à d’autres espèces plus sensibles dont la population diminue (alouette des champs, coucou gris…). Un constat confirmé une nouvelle fois dans une étude publiée en décembre 2018 : les espèces généralistes sont effectivement celles qui profitent le plus de l’urbanisation et elles finissent par appauvrir la diversité locale. Et ce, en ville, mais aussi dans tous les espaces exploités par l’Homme. Introduit de manière involontaire dans plus de 80 % des îles du monde via les activités humaines, le rat surmulot est par exemple à l’origine de nombreuses extinctions d’espèces insulaires, notamment parmi les oiseaux qui pondent au sol. Des opérations d’éradication de rats dans certaines îles – par exemple dans l’archipel de Molène-Ouessant – ont permis de voir une augmentation significative d’espèces végétales et animales. Plus les habitats sont perturbés par l’Homme, plus certaines espèces, comme le rat, le pigeon ou la souris, se multiplient. Aux dépens d’autres espèces…

Sources : M. Pascal et al., Invasions biologiques et extinctions, Éditions Belin, 2006 ; T. Newbold et al., PLoSBiol Dec. 2018

Les rats parisiens à l’étude

Des échantillons de queues de rats parisiens sont actuellement expédiés vers un laboratoire vétérinaire lyonnais pour des analyses génétiques. Objectif : évaluer leur sensibilité aux différentes molécules raticides. Des populations de rats résistants aux rodenticides sont en effet signalées depuis le milieu du 19e siècle. Ces résistances sont notamment liées à des mutations dans l’ADN qui empêchent la fixation du poison. De précédentes études menées en France et aux Pays-Bas estiment à environ 25 % le taux de rats génétiquement résistants.

Sources : Goulois J. et al. ; Ecol Evol. Mars 2017 ; BG Meerburg et al., Pest Manag Sci., nov. 2014

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Peut-on contrôler les populations de rats ?

Pour enrayer la prolifération des rats, il faut avant tout limiter l’accès à la nourriture et rendre impossible la construction de terriers.

Pour l’expert Pierre Falgayrac, « on peut vivre en bonne harmonie avec les rats, à condition que la ville soit un biotope équilibré, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui dans un certain nombre de métropoles, et notamment à Paris. » La ville de Paris a d’ailleurs lancé en 2017 un plan d’action contre les rats, doté d’un budget de 1,5 million d’euros. Si la lutte chimique représente la méthode la plus largement employée, il existe d’autres moyens pour faire disparaître les rats des centres-villes. Il suffit tout d’abord de réduire l’accès à la nourriture. Comment ? En remplaçant les poubelles Vigipirate par des containers fermés, et les rats étant plus actifs la nuit, en organisant le ramassage des poubelles le soir dans les lieux les plus fréquentés. Il faut aussi éviter de nourrir d’autres animaux, et notamment les oiseaux, car les rats en profitent et vont manger les graines et le pain… De plus, il faut empêcher les rats de creuser des galeries ou de faire des nids, par exemple en bétonnant les égouts, en carrelant les stations de métro ou en colmatant toutes les ouvertures avec de la laine d’acier (notamment les passages des tuyaux). Enfin, il est conseillé de dératiser un site avant travaux, pour éviter de voir des colonies entières de rats migrer à la recherche d’un nouveau nid. Dans un tout autre registre, certaines équipes, notamment à New York, n’ont pas abandonné l’usage des chiens ratiers (terrier, bouledogue, ratier de Prague…), utilisés depuis le 19e siècle pour chasser les rongeurs. Inutile en revanche d’espérer le même résultat avec les chats : une récente étude a confirmé qu’ils ne s’attaquaient pas aux rats ! Pour enrayer la prolifération des rats, il faut avant tout limiter l’accès à la nourriture et rendre impossible la construction de terriers.

Source : M. Parsons et al., Front. Ecol. Evol., sept. 2018

Une lutte avant tout chimique

Depuis les années 50, pour éviter que les rats n’identifient les substances toxiques, il existe des pièges à action lente qui agissent à distance de la prise alimentaire. Il s’agit d’anticoagulants qui fluidifient le sang, provoquant des hémorragies internes. Problème : même si ces poisons sont très faiblement dosés et relativement inoffensifs pour les humains, leur persistance dans l’environnement et dans l’organisme des rongeurs entraîne une contamination généralisée de la chaîne trophique (écureuil, oiseaux, invertébrés…). Grâce aux boîtes d’appâtage sécurisées obligatoires, les intoxications aiguës chez l’animal sont rares et aucun accident n’a été recensé chez l’Homme.

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Quels risques sanitaires aujourd’hui ?

Dans notre imaginaire collectif, les rats sont porteurs de maladies, comme la peste. Mais la réalité est aujourd’hui moins alarmante.

Entre 1348 et 1352, la « peste noire » en Europe a fauché entre 25 et 40 millions de personnes. On découvrira à la fin du 19e siècle que cette maladie est causée par une bactérie transmise par des puces de rat*. À l’époque médiévale, le rat brun n’est pas encore présent en Europe : c’est son cousin, le rat noir, qui a joué ce rôle de « grande faucheuse ». Mais aujourd’hui, le rat brun est lui aussi un réservoir de Xenopsylla cheopsis, la puce incriminée. Il peut donc potentiellement transmettre la maladie, qui continue de tuer : entre 2010 et 2015, 3248 cas de peste humaine, dont 584 décès ont été répertoriés dans le monde, selon l’OMS. En revanche, en Europe, la bactérie responsable de la peste, Yersinia pestis, n’est plus détectée depuis des décennies. Donc le principal risque sanitaire lié à la présence des rats est autre : c’est la leptospirose. Traitée par antibiotiques, cette maladie bactérienne est rarement grave. Mais lorsqu’elle n’est pas diagnostiquée à temps, la leptospirose entraîne des défaillances rénales, pulmonaires et hépatiques, ou encore des hémorragies, et mène au décès dans 5 à 30 % des cas. En France métropolitaine, l’incidence de la leptospirose est aujourd’hui proche de 1 cas pour 100 000 habitants. Enfin, le surmulot est également le vecteur de virus – hantavirus, responsable de fièvres hémorragiques et de problèmes cardio-vasculaires (rarissimes en France), ou cowpox virus, responsable d’infections cutanées (plusieurs dizaines par an) – et de parasites. Dans notre imaginaire collectif, les rats sont porteurs de maladies, comme la peste. Mais la réalité est aujourd’hui moins alarmante.

* Selon une hypothèse alternative, cette bactérie serait transmise par des puces et des poux d’humains (K. Dean et al. ; Pnas, 115 (6) 1304-1309, 2018).

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Le rat, réservoir de leptospirose

La leptospirose est une maladie causée par des bactéries, les leptospires (photo), qui se logent à l’intérieur des reins du rat brun, mais aussi du rat musqué ou du ragondin. À chaque fois qu’ils urinent, les rongeurs contaminés (mais néanmoins porteurs sains) excrètent ces bactéries qui peuvent survivre plusieurs semaines voire plusieurs mois dans l’eau. En France, un vaccin existe et est recommandé à toutes les professions à risque (égoutiers, personnels d’entretien des canaux). Il ne protège toutefois que contre un seul type de leptospires, responsable d’environ 30 % des cas en métropole. À noter que les animaux de compagnie (chien, chat, cochon d’Inde) peuvent également constituer des réservoirs de cette maladie.

Co-ha-bi-ter !

Pour Pierre Falgayrac, expert en lutte raisonnée contre les rats, il faudrait apprendre à l’école que l’on peut vivre en bonne harmonie avec les rats !

Durée : 2 min

Petits rongeurs mais gros dégâts !

Grâce à leurs incisives aiguisées qui poussent tout au long de leur vie, les rats bruns sont capables de presque tout ronger. Ils peuvent ainsi provoquer d’importants dégâts matériels comme des courts-circuits sur des câbles électriques, des ruptures de canalisations, des dégradations d’isolants ou de boiseries, et même être à l’origine d’accidents. En France en 2014, suite à une collision d’un TER et d’un TGV près de Pau qui avait fait 40 blessés, une enquête avait mis en évidence le rôle des rats qui avaient rongé des fils électriques alimentant les feux de circulation.

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