Biodiversité en péril
Feutres en main, le biologiste Gilles Buf lance un cri d'alarme sur l'évolution des relations entre l'homme et la planète en s'appuyant sur des exemples concrets dans le Pacifique.
Un épisode de la série "Au tableau Gilles Boeuf !".
Réalisation : Roland Cros
Production : Universcience
Année de production : 2011
Durée : 6min35
Accessibilité : sous-titres français
Biodiversité en péril
AU TABLEAU !
Gilles Boeuf
Nous allons aborder, maintenant, la question de l'histoire de ces relations entre l'humain et la diversité biologique, et les mesures qu'on pourrait être amenés à prendre aujourd'hui pour pouvoir justement, éviter... Je ne suis pas du tout un catastrophiste, simplement je dois informer les gens. Comme je dis souvent, je fais cours à des gens qui ont 23, 23-25 ans et on n'a pas à les désespérer du tout. Mais on... là on doit leur expliquer, à eux, à nos concitoyens quelle est la situation actuelle. Il faut qu'on change nos modes de vie. Et pour ça on a quelques références en fait dans l'histoire. On a de très beaux exemples dans l'océan Pacifique, où en fait, l'homme arrive, c'est Peter Buck, un Néo-Zélandais, un archéologue, qui a appelé ces gens les Vikings du soleil levant. C'était très rare, parce que l'homme migrait toujours vers le couchant, et dans le Pacifique, on a migré vers le soleil levant. On est parti des îles de l'Australie, l'homme est arrivé il y a 55 000 ans en Australie, il repart de Taïwan, plus récemment il va vers les Fidji, et puis après ils iront jusqu'à l'île de Pâques, bien évidemment. Les Polynésiens découvrent l'île de Pâques et trouveront aussi bien sûr ensuite l'Amérique du Sud. Et toutes ces histoires sont intéressantes parce qu'on trouve aujourd'hui beaucoup d'îles dans l'océan Pacifique, on trouve des traces d'activité humaine. L'homme a été là, il est plus là. Pourquoi ? Il est venu, il a épuisé, et il est parti. Et on a de très beaux exemples sur, par exemple, la Nouvelle-Zélande, que l'homme découvre très récemment, puisqu'il trouve l'île vers 1200, et depuis on a été en Nouvelle-Zélande, un bon tiers des oiseaux qui s'y trouvaient... Quand l'homme arrive en Australie il y a 55 000 ans, il trouve des très grandes espèces. À 46 000 ans, il manque déjà 80 % des grandes espèces. C'est la même litanie en Amérique du Nord. 15 000 ans à 11 000 ans, il manque les ¾ des espèces. L'Amérique du Sud, 11 000 ans à 9 000 ans, il manque aussi ces espèces. Donc c'est une longue histoire. Rousseau, je suis pas sûr qu'il avait tout raison. L'harmonie du bon sauvage... Dès que l'humain arrive, effectivement, il contribue à diminuer cette diversité biologique et il détruit les habitats. De très bons exemples sur les îles de la mer Méditerranée, où par exemple, il y avait des éléphants nains. L'homme arrive il y a 12 000 ans, 10 000 ans, 8 000 ans, la Corse, la Sardaigne, la Sicile et Chypre, et aussitôt, on voit effectivement l'influence de ces humains qui arrivent sur leur environnement et sur les espèces. Il y avait quatre mammifères en Corse qui existaient avant l'arrivée des humains. Plus aucun n'existe aujourd'hui. Tous les mammifères actuels de Corse ont été introduits par l'humain. Alors les grands exemples, souvent, c'est l'île de Pâques, dont on parle beaucoup. L'homme découvre l'île de Pâques vers l'an 800. Alors c'est assez bien documenté à la fois par les travaux d'ethnologie, d'ethnographie et aussi par des travaux de palynologie, on regarde le pollen ou des ostracodes, on a fait des mesures dans les deux cratères de l'île de Pâques, le Rano Kau et le Ranoraraku, et on raconte 18 000 ans de climat. L'homme arrive, l'humain arrive, il commence à exploiter une très belle forêt (c'est un arbre qui s'appelait Sophora Toromiro) et puis il va épuiser les ressources. Et vers 1650, on pense qu'il y a peut-être eu, sur l'île de Pâques, peut-être entre 5 et 10 000 personnes qui vivaient là. Ce qu'il faut jamais oublier sur l'île de Pâques c'est que quand vous êtes sur l'île de Pâques et que vous enlevez les humains de l'île de Pâques, les plus proches sont à 4000 km. Donc ça veut dire qu'on est arrivé là, pas facile de repartir quand vous avez coupé le dernier arbre et que le dernier bateau, bien sûr, à disparu. Et lorsque Pierre Loti, qui s'appelait pas encore Loti, y passe (on est vers les années 1885), il restait 105 personnes sur l'île de Pâques à l'époque. Ce qui veut dire que les Européens vont les retrouver mais on est vraiment sur une histoire où, ils n'ont pas pu revenir en arrière. Il y a une île qui s'appelle Mangaïa, c'est dans les îles Cook, où on voit effectivement l'homme qui découvre l'île vers 1250, qui en deux siècles élimine les habitats et les écosystèmes et qui s'en va, parce que là il y avait d'autres îles à côté où on pouvait aller. L'île de Tikopia qui est au sud des Salomon. Tikopia, le pouvoir en place se rend compte qu'on va dans le mur et là la solution est terrible (il paraît qu'il vaut mieux prévenir que guérir), c'est d'obliger des familles à émigrer, on met des femmes, des enfants, des chiens sur des radeaux, et des poulets, ils s'en vont. Ou alors on tue systématiquement les seconds enfants. Vous voyez qu'il y a vraiment un problème très très dur à ce niveau-là. Donc il faut prévenir ceci. Tous ces exemples nous montrent qu'on est sur un système en fait d'asymptote aujourd'hui, où l'humanité démarre, qu'elle soit en économie, en biologie, c'est pareil, et on tend à un moment à des limites. Et on a posé la question récemment lors d'un colloque, au Museum National d'Histoires Naturelles, c'était à la fin du mois d'octobre 2010, ce colloque s'appelait « L'homme peut-il s'adapter à lui-même ? » Et pas à une échéance 2300 ou 2400. On est à une échéance 2020-2040. On crée des conditions aujourd'hui qui sont très dangereuses pour nous. Ce qui s'est passé au Japon est emblématique. Un grave phénomène non humain mais naturel, bien sûr, enfin, commun, je dirais, je mets pas l'homme hors de la nature. Il se greffe des problèmes humains qui bien sûr amplifient considérablement le problème. Donc aujourd'hui la question c'est : cette crise que l'on a vécue, financière, que l'on vit en ce moment a des racines écologiques. C'est une crise de raréfaction des ressources. Donc ce qui veut dire qu'il faut qu'on modifie nos modes de vie. On calcule le progrès sur deux données qui sont l'âge à la mort, et c'est pareil aujourd'hui, quand on voit l'âge à la mort, pour la première fois depuis qu'on mesure ça, les femmes ont perdu trois mois d'espérance de vie l'an dernier. Et également le PIB. Mais le PIB me pose beaucoup de problèmes parce que l'augmentation effectivement du revenu par habitant globalement est en augmentation. Mais ce PIB, si il est basé sur une destruction des habitats ou sur une surexploitation, je préfère avoir un petit qu'un grand. Vous voyez, ça veut dire qu'il faut qu'on retrouve nos modes de calcul de ce que sont les progrès. J'aime pas le mot le progrès. Les progrès. Et ça, ça nous demande vraiment de revenir sur nos modes de vie. C'est pas soutenable aujourd'hui, un système où 20 % des humains contrôlent, organisent et consomment 80 % des ressources. Le sens du mot partage a été oublié et partage va avec Sapiens, de l'Homo Sapiens. Il faut travailler différemment, il faut effectivement que nous commencions à changer nos modes de vie, en commençant par manger local. Aujourd'hui c'est banal qu'un œuf de saumon norvégien arrive au Chili, soit transformé en saumon et que les filets fumés soient dévorés au Japon. Ça c'est pas soutenable. Donc ça demande vraiment un effort très important, que tous on doit mettre en place. Très vite.
Réalisation : Roland Cros
Production : Universcience
Année de production : 2011
Durée : 6min35
Accessibilité : sous-titres français