Le dérèglement climatique : quel futur en perspective ?
À travers 8 films, 21 experts répondent à de grandes questions à enjeux scientifiques, énergétiques, socioéconomiques et politiques. Leurs points de vue nous interpellent aux plans individuel et collectif, dans notre quotidien mais aussi en tant que citoyens du monde.
Réalisation : Alain Labouze
Production : Universcience
Année de production : 2015
Durée : 13min01
Accessibilité : sous-titres anglais, sous-titres français
Le dérèglement climatique : quel futur en perspective ?
QUEL FUTUR ?
Valérie MASSON-DELMOTTE n°2 X 3
François GEMENNE
Jean JOUZEL X 3
Wolfgang KRAMER X 2
Sabrina SPEICH
Christophe CASSOU X 3
Cécile GUIVARCH
Christian de PERTHUIS X2
1 - Christian de PERTHUIS
Depuis le début de l’ère industriel, on a envoyé dans l’atmosphère à peu près les 2/3 du CO2 que l’on peut y mettre sans risque pour le changement climatique. Il ne nous reste donc plus qu’un tiers d’un budget carbone que l’on a le droit d’envoyer dans l’atmosphère. Si nous continuons selon les tendances actuelles, on aura brûlé suffisamment d’énergie fossile pour envoyer ce troisième tiers de CO2 dans l’atmosphère d’ici 2040. On est donc sur une trajectoire qui n’est pas soutenable sous l’angle climatique.
2 - Valérie MASSON-DELMOTTE n°2
Pour l’instant, ce changement n’en est qu’à son début, puisque le climat n’a pas encore fini de réagir à l’effet de serre supplémentaire qu’on a ajouté dans l’atmosphère. Quand on regarde les évolutions futures possibles, on envisage un réchauffement de l’ordre de 2 degrés à 4 ou 5 degrés à l’horizon 2100. Ce réchauffement – plus de 2 degrés en 2100 – serait vraiment exceptionnel par rapport à l’évolution passée du climat.
3 - Christophe CASSOU
Les projections climatiques sont effectuées à partir d’une multitude de modèles dans différents centres internationaux.
On voit souvent un panache d’incertitude très grand pour la température prédite par ces différents modèles entre 2050 et 2100. Généralement, on représente ce panache d’incertitude entre 1,5 degrés et 5 ou 6 degrés. C’est donc un panache considérable. Mais en fait, cette représentation est biaisée, dans la mesure où il faut évaluer les différentes sources d’incertitudes qui sont responsables de ce panache à la fin du siècle. Elles sont au nombre de 3. La première est liée à la variabilité naturelle du climat. L’amplitude de cette variabilité naturelle du climat est de l’ordre de plus ou moins 0,5 degrés. La deuxième incertitude est celle qui est liée au modèle. On l’estime du même ordre de grandeur que la variabilité naturelle, entre 0,5 degré et 1 degré. Le reste de l’incertitude est essentiellement lié à ce qu’on appelle le « scénario climatique », c’est à dire à la concentration de gaz à effet de serre qu’il y aura dans l’atmosphère. Il y a trois ou quatre de ces scénarios climatiques, et ils correspondent à différentes routes que la société va prendre dans le futur, en terme de développement, qui vont contrôler les émissions de gaz à effet de serre. L’incertitude principale aux horizons 2050-2100 n’est donc pas liée au modèle, elle est liée surtout à l’homme. L’homme est donc le paramètre le moins prévisible sur le climat à la fin du prochain siècle.
4 - François GEMENNE
Professeur de sciences politiques à Sciences Po (Paris)
On sait aujourd’hui que l’objectif de deux degrés d’augmentation moyenne de la température d’ici la fin du siècle sera particulièrement difficile à atteindre. Ca ne veut pas dire qu’il faut l’abandonner, mais ça veut dire aussi qu’il faut envisager sérieusement la possibilité que le réchauffement climatique puisse atteindre 4 degrés, voire même davantage selon certains climatologues, d’ici la fin du siècle. A 4 degrés d’augmentation, certaines zones de la planète vont devenir purement et simplement inhabitables. Cela voudra dire qu’il y aura des territoires entiers qui seront perdus.
5 - Sabrina SPEICH
Dans certaines régions notamment où il y a des îles qui ne sont pas dans l’océan Pacifique, qui ne sont pas très élevées sur le niveau de la mer, elles ont tendance à disparaître. À quelques dizaines de centimètres, cela peut donc avoir des conséquences, même si on reste à cette valeur qui semble petite sur des régions littorales qui ne sont pas très hautes, on peut penser à Venise, on peut penser à la côte de la Floride, on peut penser aussi à tous les littoraux où on a des surélévations par rapport au niveau de la mer qui ne sont pas très hautes. En plus, si cela se combine avec des effets naturels comme la marée et des vents qui poussent l’eau vers la côte, donc des vents d’ouest sur les côtes Atlantiques françaises, ces quelques dizaines de centimètres peuvent avoir un impact très important et très violent.
6 - Christian de PERTHUIS
Il y a beaucoup d’impacts du changement climatique qui ne se manifestent pas directement par le réchauffement, mais qui sont les implications indirectes du réchauffement. Le réchauffement fait monter le niveau des océans, d’où le problème de l’organisation de la vie en zones littorales. Et beaucoup de grandes villes du monde sont situées dans ces zones littorales. Vous avez un autre impact qui est souvent sous-estimé, c’est l’impact sur l’accès à l’eau douce, car le changement climatique modifie à la fois le régime de la pluviométrie, fera que nous aurons moins de pluviométrie là où nous avons déjà un déficit d’eau douce, et de surcroît, le régime de régulation des fleuves va être modifié par la fonte des glaciers à l’amont. Tout ceci va avoir un effet perturbant sur de très grandes zones économiques, par exemple la zone méditerranéenne. Dans la zone méditerranéenne, on anticipe que le coût de l’accès à l’eau, qui est déjà considérable, va aller croissant ! Et les risques liés à cette rareté de l’eau vont aller croissant ! Ces risques, c’est quoi ? Au lieu de trouver des façons collaboratives d’accéder à l’eau, on génère de nouveaux conflits d’usage de l’eau. A travers un phénomène purement physique de réchauffement de la température moyenne, ou aboutit à des effets d’aubaine sur l’accès à l’eau douce. Ce qui est vraiment difficile à anticiper, c’est la façon de laquelle les sociétés vont réagir par exemple à un stress hydrique beaucoup plus important dans les zones où il n’y a pas assez d’eau. Mais l’histoire ne s’arrête pas là ! Dans les zones septentrionales, où on fait déjà face à des problèmes de crue par exemple, de gestion de surcroît d’eau douce – les précipitations vont augmenter, les risques d’ouragan pourraient arriver en Europe septentrionale – tout ceci est extrêmement difficile à anticiper. Mais vous voyez bien que cela va perturber l’organisation des sociétés humaines. Et ce que l’on sait anticiper le moins, c’est la façon dont les organisations humaines, les sociétés vont être capables à régir à ces modifications introduites par le changement climatique.
7 - Cécile GUIVARCH,
Economiste au Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (Cired)
D’un point de vue d’économiste, on peut voir la question du scénario catastrophe un peu comme une question d’assurance. Pourquoi il est important d’envisager un scénario catastrophe ? Pour s’en protéger ! Exactement comme on envisage, à titre individuel, des scénarios d’inondations, d’accidents, d’incendies pour s’en protéger. S’en protéger, ça veut dire quoi dans le cadre du changement climatique ? Ca veut dire deux choses : premièrement, chercher à atténuer le changement climatique, donc limiter les émissions de gaz à effet de serre pour que l’ampleur du phénomène soit moindre, et d’autre part on va commencer à s’adapter. Et s’adapter implique énormément de choses. Donc on envisage le scénario catastrophe pour qu’il ne se produise pas.
8 - Wolfgang KRAMER
Au niveau mondial, si on parle d’un réchauffement de deux ou trois degrés, c’est déjà un cas optimiste. Actuellement, nous nous orientons vers un réchauffement beaucoup plus important, peut-être 4 ou 5 degrés au niveau mondial. Pour des régions comme la Méditerranée, ça veut dire un réchauffement encore plus important. On parle donc d’un réchauffement très très important. Il y a deux sortes de conséquences d’un tel réchauffement : il y a des tendances qui vont s’aggraver, on aura plus de périodes de grande chaleur, on aura plus de sécheresses, et probablement dans certaines régions une augmentation des événements extrêmes. Mais ce qui est peut-être plus sérieux avec cette augmentation de 3 ou 4 ou 5 degrés au niveau mondial, c’est que nous sommes de moins en moins capables de prévoir comment le système va réagir à cette hausse des températures. Ca veut dire que le fameux tipping point, le point de risque, où il y a tout d’un coup une rupture, par exemple dans les courants des océans ou dans d’autres systèmes comme les forêts tropicales, ces risques augmentent. On ne peut pas prévoir que, dans 10 ans, telle ou telle rupture va se produire. On n’arrive pas à prévoir cette nature des ruptures.
9 - Valérie MASSON-DELMOTTE n°2
Aujourd’hui on est déjà sur une rupture par rapport à un climat global relativement stable au cours des derniers 1000 ou 2000 ans, pour le niveau des mers, la banquise arctique, les glaciers ou bien la température dans l’hémisphère nord. Un réchauffement plus important, de plus de 2 degrés, nous ferait sortir de la gamme des variations de température que la Terre a connue au cours des périodes chaudes précédentes, qu’on appelle les périodes interglaciaires. Ces variations climatiques récentes sont dues à des changements graduels de l’orbite de la Terre autour du soleil, ce qui répartit l’ensoleillement différemment. On estime qu’on était plutôt dans une gamme de variations de moins de deux degrés. Le risque qui est devant nous, c’est de sortir de cette gamme de variations que notre espèce, homo sapiens, qui a 200.000 ans, a connu. On risque également de s’approcher d’une vitesse de changement qui est extrêmement rapide par rapport à ce que nous avons connu dans le passé.
10 - Christophe CASSOU
La Terre a déjà connu des changements extrêmement importants aux échelles géologiques. Ici, on ne parle pas d’échelle géologique, on parle d’échelle humaine. Evidemment, la Terre survivra à une concentration de gaz carbonique 4 fois, 5 fois, 10 fois supérieur. Il n’y a pas de souci. Par contre, est-ce que l’homme, dans sa structure actuelle, sera capable de s’adapter à un réchauffement de la planète qui est extrêmement rapide ? On a des enregistrements climatiques sur le dernier million d’années, et on voit que le changement actuel est le plus rapide depuis un million d’années. La Terre a connu des périodes de glaciation, entrecoupées de périodes dites interglaciaires, et nous sommes aujourd’hui dans une période interglaciaire. Mais il faut savoir pour sortir d’une période glaciaire ou interglaciaire, il faut à peu près 10000 à 15000 ans. La différence de température globale entre une période glaciaire et une période interglaciaire est de l’ordre de 4 à 5 degrés. Donc ici, on est en train de parler du même ordre de grandeur pour le prochain siècle – 4 à 5 degrés – mais en 100 ans ! Ce n’est pas la valeur en tant que tel du réchauffement climatique, mais c’est plutôt la vitesse de ce réchauffement qui est inquiétant, dans la mesure où le vivant, les écosystèmes, ont du mal à s’adapter à un changement qui est rapide, alors qu’il s’adaptent très bien à des changements qui sont lents.
11 - Wolfgang KRAMER
Si on se pose la question de savoir si la nature va disparaître à cause du changement climatique, la réponse est bien sûr que non. Même après un changement climatique catastrophique sur la Terre, il y aura toujours la nature, il y aura toujours des espèces, il y aura toujours des animaux et des plantes. Nous parlons d’une planète sur laquelle il y a une population de bientôt 9 milliards d’hommes, et pour nous, ce n’est pas faux de considérer la nature comme la base de notre existence. Certains prennent cela comme un anthropocentrisme, comme un regard trop focalisé sur l’homme, mais à mon avis, si je pense à mes enfants et à mes petits-enfants, je trouve que j’ai le droit de réclamer que la planète soit dans un état particulier, et cet état est défini par la présence des hommes sur cette planète et que ces hommes vivent dans un bien-être acceptable. Et les écosystèmes et la biodiversité sont essentiels à cela.
Réalisation : Alain Labouze
Production : Universcience
Année de production : 2015
Durée : 13min01
Accessibilité : sous-titres anglais, sous-titres français