Pourquoi chez-vous ? Pascale Lherminier – Océanographe physicienne
Le plaisir d’apprendre, ça a été probablement le début de tout. J’étais de plus en plus attirée par la mécanique des fluides en particulier, je trouvais ça magnifique, cette façon de bouger, ces tourbillons, je trouvais que ça ressemblait tellement à la vie que je me suis orientée vers l’océanographie. Il y a plein d’autres métiers où l’on continue à apprendre. Mais celui de la recherche est particulièrement exigeant parce qu’il faut sans arrêt être à la pointe et il faut grimper un grand grand mur de connaissances pour aller mettre sa toute petite brique en haut. Alors, il y a des gens qui mettent des grosses briques. Et puis il y a des gens qui mettent des petites briques, mais les petites briques, elles sont vachement importantes parce qu’elles permettent de poser les grosses briques. Un échec, c’est aussi une pierre qu’on met sur l’édifice. Ça peut arriver à tout le monde. Je pense que la solution c’est d’essayer de ne pas griller les étapes. Dans ma démarche en sciences, c’est essentiellement des images. Mais ces images peuvent être parfois reliées à l’auditif. J’étais en train de travailler sur des cartes de circulation océanique avec ma fille qui travaillait son piano. Une invention de Bach. Je traçais des courants superposés. Et elle travaillait ses deux voix de son invention. Par moments, les couches n’étaient pas ensemble et puis dans certaines régions, elles se rejoignaient toutes pour faire un seul courant, comme les doubles croches de ma fille, c’était excellent. J’étais heureuse. C’était comme une grande association, comme si tout se mettait ensemble, l’unité parfaite. Quand je pars en campagne océanographique, on a énormément de choses à organiser, on est des logisticiens autant que des scientifiques. On est fondu d’abord dans l’organisation et ensuite dans l’objet qu’on veut explorer et en plus, quand on est au milieu de l’océan, c’est vrai qu’on se sent très très humble et quasiment insignifiant. Et de toute façon, on est rempli de ce qu’on cherche. Aller chercher ces données c’est quelque chose qui est vraiment moteur dans mon travail. Contrairement aux théories ou même aux modèles qui changent beaucoup au fil des ans, les données, ça reste. Et justement c’est une énergie phénoménale de mettre ça dans des banques de données, de rendre ça pérenne. Ce que je fais comme travail scientifique, c’est l’interprétation de ces données. C’est un garde-fou, c’est une rampe de sécurité et c’est vrai que je m’y accroche parce que je me dis : « Au moins si je me fourvoie toute ma vie sur l’interprétation de ces données, au moins les données, elles sont là. Et quelqu’un d’autre les regardera et trouvera la vérité. » Et je peux très bien me fourvoyer comme n’importe qui d’autre. C’est un doute qui est toujours là, au fond, tapi, prêt à bondir et vous mordre les fesses ! C’est terrible. Mais il faut avancer. Parce que même l’échec apprend quelque chose. Ce qu’on aime en sciences, c’est justement les débats contradictoires. C’est ce qui permet d’avancer, c’est ce que je disais, c’est le changement d’angle. Donc il faut se gratter la tête et puis ensemble, justement quand on n’est pas d’accord, c’est super génial, on essaie de trouver l’expérience qui va nous départager. Et faire ce travail qui est à la fois technique, humain, scientifique, là, je suis comme un poisson dans l’eau.