- J'ai interrogé des femmes qui avaient autour de 80 ans et ce qu'elles me disaient c'est quand elles ont commencé à prendre la pilule, elles me disaient : "ah bah ouais ça nous faisait les jambes lourdes, c’était atroce, mais jamais on l’aurait dit, on était tellement contentes ! On avait un truc qui marchait, alors franchement les effets secondaires ça n'avait pas d'importance." Ce qui est génial aujourd'hui, c'est qu'on peut le dire qu'en fait ça nous fait les jambes lourdes et que c'est pas normal.
En 1967, sa légalisation est une révolution. Depuis, la pilule reste une méthode privilégiée mais cohabite avec d'autres comme l'implant, le patch ou encore l'anneau. Pour autant les pratiques ont-elles véritablement évoluées ? La sociologue Cécile Thomé étudie le sujet par le biais d'entretiens et d'enquête qualitatives.
- Il y a une forme de pilulocentrisme en France, c’est-à-dire qu’on est l’un des pays au monde qui utilise le plus la pilule. En particulier parce qu'on utilise très très peu les méthodes définitives. Dans les pays anglo-saxons par exemple, la ligature des trompes ou la vasectomie sont très utilisés après 40 ans, avec l'idée qu'on a fait sa famille, c'est fini et que même si on divorce on ne refera pas famille en fait. Donc la norme contraceptive française, c'est quoi ? C'est une norme qui existe depuis maintenant une trentaine d'années, et qui est en trois temps : le premier temps de cette norme c'est l'utilisation du préservatif. On entre dans la vie sexuelle à plus de 90% avec un préservatif, ensuite quand on s'installe en couple, on passe à la deuxième étape de cette norme et les femmes prennent la pilule. On fait un enfant, on fait deux enfants, c'est la moyenne en France, c'est un petit peu moins de 2, et une fois qu'on a eu ses deux enfants on se fait poser un stérilet au cuivre ou hormonal d'ailleurs. Ce qu'on voit, c'est que cette norme est un petit peu remise en cause, elle se recompose depuis 10 ans. Elle se recompose parce que justement il y a une diminution de l'utilisation de la pilule.
Fin 2012, la crise de la pilule éclate. Cette controverse médiatique accélère une baisse de popularité déjà constatée dès les années 2000. En cause ses effets secondaires, notamment le risque de thrombose veineuse profonde. Les derniers chiffres en date publiés en 2016 confirment la tendance. Le recours à la pilule chez les femmes de 15 à 49 ans a diminué de plus de 3 points depuis 2013. Mais la pilule demeure la méthode la plus utilisée notamment en début de vie contraceptive. La démographie Mireille Le Guen travaille sur ces enquêtes quantitatives.
- Il faut penser aussi qu'il y a des différences selon les générations de femmes avec des nouvelles utilisatrices qui seraient plus satisfaites de la pilule que les personnes qui l'utilisent depuis plus longtemps. Parce qu'en fait, on juge finalement sa contraception comme tout autre chose, au regard de ce qu'on utilisait avant et pour les nouvelles générations, les nouvelles utilisatrices, la pilule semble moins contraignante que la méthode qu'elles utilisaient avant qui est principalement le préservatif.
- Donc les femmes qui ont entre 16 et 18 ans ou 16 et 19 ans lors de leur première prescription contraceptive c'est quasiment toujours automatiquement la pilule. Et à ce moment-là elle n'est pas mal vécu la pilule parce qu'elle est vécue comme un soulagement comme le symbole de l'accès à la sexualité et c'est au fil des années qu'on va voir au cours de la vingtaine un ras-le-bol parce qu'en fait la pilule, il y a le côté hormonal qui est dénoncé mais ce dont on parle moins, c'est que la pilule c'est compliqué ! C'est un médicament qu'on doit prendre tous les jours alors qu'on est pas malade.
Effets secondaires, risques pour la santé, ras-le-bol des hormones ou simplement trop contraignantes, de nombreuses critiques visent la pilule Mais quelles sont les alternatives ? D’après les chiffres du Baromètre de 2016, les reports s’effectuent majoritairement vers le préservatif mais aussi le DIU, communément appelé stérilet.
- On peut penser que la crise des pilules de 2012 et 2013, elle a peut-être permis aux femmes de dire, d'exprimer un souhait et c'était celui d'utiliser une autre méthode que la pilule. Une autre méthode qu'une méthode hormonale de contraception, et en fait c'est très difficile à l'heure actuelle pour les femmes parce qu'il y a en fait qu'une méthode très efficace et réversible et qui n'est pas hormonale, c'est le DIU le dispositif intra-utérin au cuivre.
- Alors le dispositif intra-utérin au cuivre, il existe depuis très longtemps, il existait déjà dans les années 60, mais il a la particularité, pour la France, de n'avoir été très longtemps prescrit qu'aux femmes ayant déjà eu des enfants. On considérait qu'il y avait un risque d'infection avec le stérilet. Le nom commun "stérilet" a à un impact parce que dans "stérilet", on entend "stérilité" alors que ce n'est pas du tout le cas mais la France, surtout, a mis beaucoup de temps à suivre les standards internationaux en la matière qui sont que n'importe quelle femme peut se faire poser un stérilet : il y a des stérilets adaptés aux femmes n'ayant même jamais eu de relation sexuelle, en tout cas aux femmes n'ayant jamais eu d'enfant, et ça, ça fait seulement quelques années - une dizaine d'années - que ça se fait de manière un peu plus facile. Et c'est aussi encouragé par le fait qu'il y a maintenant une plus grande diversité de prescripteurs et prescriptrices en matière de contraception avec la loi de 2009 qui a autorisé les sages-femmes à prescrire la contraception et ce que montre les premières enquêtes là dessus, c'est que quand on regarde les prescriptions faites par les sages-femmes, elles sont plus diverses que celles qui peuvent être faites par les gynécologues ou encore plus par les médecins généralistes Faute de données récentes, l'évolution des pratiques contraceptives reste difficile à observer précisément. Malgré une diversification des méthodes, l'ère contraceptive reste la même : une ère féminine et médicalisée où la pilule prédomine.
- Dans le milieu médical, certains ont pu parler ces dernières années, d'une forme de d'hormonophobie, de la montée de cette méfiance vis-à-vis des hormones, en qualifiant ça d'hormonophobie et en disant que cette hormonophobie pourrait même mener à une contraceptophobie, avec l'idée que les femmes, en remettant en cause les hormones, remettent en cause toute la contraception et que voilà, c'est extrêmement dangereux. En fait, ce n'est pas le cas. Quand on interroge les femmes, que disent-elle ? Elles disent que ce n'est pas moins de contraception qu'elle veulent, c'est une meilleure contraception, une contraception qui est plus adaptée, une contraception qui correspond mieux à leurs besoins, une contraception qui leur permet d'avoir une meilleure relation avec leur corps, qui correspond mieux aussi éventuellement à leur vie conjugale, ou à leur relation. Une demande que l'on a vu émerger ces dernières années, c'est de dire : "Mais où sont les hommes dans la contraception ?" Après, ça ne veut pas dire que c'est forcément négatif en soi, que les femmes en est la charge. Pour toute une partie des femmes, gérer sa contraception, ce n'est pas seulement une charge, c'est un droit fondamental et c'est quelque chose de très important. Elles n'auraient pas envie que leur partenaire soit celui sur lequel repose la contraception, dans la mesure où c'est elle qui tombe enceinte. Mais ce qui est fondamental, c'est le droit de choisir. Donc là encore, on en revient à cette même idée : ce qui est important, c'est la diversité. Promouvoir une contraception masculine, ce n'est pas enlever un droit aux femmes, c'est au contraire ajouter au spectre de ce droit.