Le 13 septembre 2018, le Président de la République, Emmanuel Macron se rendaient chez Josette Audin pour une déclaration historique : la reconnaissance de la responsabilité de L'Etat français dans le système qui avait conduit son mari Maurice à la mort à Alger en 1957 "On était étudiants ensemble à la fac des sciences d'Alger, et c'est là que nous nous sommes rencontrés, au cours de maths, et dès qu'il a eu son poste d'assistant, on a pu se marier. donc on s'est marié à ce moment-là. Nous étions des Européens mais nous étions évidemment du côté de ceux qui luttaient pour l'indépendance de l'Algérie. L'arrestation, c'était donc le 11 juin 1957. Nous venions de nous coucher, il devait être onze heures du soir, quand on a entendu tambouriner à la porte. C'était les parachutistes qui arrivaient en nombre, ils étaient très nombreux. Et ils ont emmené mon mari." Membre du parti communiste algérien et militant anticolonialiste, Maurice Audin avait été arrêté, torturé et tué par les parachutistes chargés du maintien de l'ordre en Algérie, en vertu des pouvoirs spéciaux promulgués par le gouvernement en 1956, qui donnaient tout pouvoir aux militaires. Le comité côté Maurice Audin a été fondé pendant l'automne cinquante-sept, pour faire la lumière sur la disparition de Maurice Audin qui était censé s'être évadé d'une jeep qui le transportait d'un lieu de détention à un autre. On a vite compris que c'était une histoire de roman. Le rôle du comité Audin était de publier, outre les textes saisis, bien sûr, des articles d'information et aussi de protester contre la torture. Il y avait eu un un mouvement d'opinion publique créé dans une large mesure par Vidal Naquet, mais relayé par un certain nombre d'intellectuels de prestige, notamment les secrétaires du comité Audin, Crouzet, Panijel qui est un cinéaste, le découvreur du virus du sida, Montagnier, le tout sous la direction de Laurent Schwartz. Mon mari devait soutenir sa thèse. Sa thèse était pratiquement finie quand il a été arrêté. Quand Laurent Schwartz a été au courant de ce qui s'était passé, avec les autres enseignants de la faculté des sciences de Paris, ils ont voulu faire quelque chose et René de Possel qui était le directeur de la thèse de mon mari leur a suggéré l'idée que la soutenance ait lieu... en l'absence de mon mari. "In absentia", comme on dit. Elle a eu lieu effectivement le 2 décembre 57 à la Sorbonne. C'est une manifestation qui a eu quand même un certain impact. Il y avait Mauriac,... enfin, plein de personnages importants. Cette organisation de la soutenance in abstentia de la thèse d'Audin a eu un rôle considérable et le comité Audin a été le lieu, le point de départ de la lutte contre la torture en Algérie. Dans l'histoire de mon père, si je vois bien, la chose principale qui a touché mais profondément les mathématiciens, c'était la soutenance de thèse in absentia du 2 décembre 57. J'ai énormément de collègues qui ont assisté à ça, donc des collègues plus âgés, qui ont assisté à ça et qui m'en ont parlé après avec beaucoup de d'émotion. Donc là, il n'y avait pas que des mathématiciens dans la salle, et donc il y a Schwartz, mais il y a aussi des scientifiques d'autres d'autres disciplines comme Montagnier, et puis il y a Vidal Naquet, qui est un historien. Voilà donc ce n'est pas que l'histoire des mathématiciens. Il suffit de se pencher un peu sur l'histoire pour se rendre compte que par exemple l'histoire de l'évasion, c'est n'importe quoi. Un mathématicien, c'est pas quelqu'un qui pose des bombes, tire dans le tas, etc. C'est quelqu'un qui discute avec les gens, qui essaie de les convaincre, qui essaie de... typiquement ce que faisait Maurice Audin, du militantisme d'intellectuels. Néanmoins, les contradictions dans l'histoire de l'évasion et puis la démonstration que cette histoire d'évasion était quand même très très mal montée, c'est quand même un historien qui l'a écrit. Le raisonnement de l'historien peut-être qu'il est proche de celui du mathématicien. Et l'histoire de l'affaire Audin, Vidal Naquet dans l'affaire Audin, je parle du livre, c'est assez ça, c'est tout à fait ça. Les faits sont ce qu'ils sont et Vidal Naquet, comme l'excellent historien qu'il fût dans cette période-là a travaillé sur les faits. Il a recherché à reconstituer des preuves, des traces, des faits. En tout cas Vidal Naquet a bien sûr fait un travail et c'est aussi pour ça qu'il s'entendait si bien avec Schwarz, il a fait un travail extrêmement précis, extrêmement rigoureux, il a fait ce qu'il pouvait avec... Non, je ne veux pas m'emparer des méthodes des historiens sérieux en disant que ce sont des méthodes de matheux, mais disons ce sont les mêmes méthodes, la même morale, les mêmes contraintes, le même respect des faits, oui. Je crois que ça va vraiment de paire avec avec l'idée... ce n'est pas une idée d'ailleurs, c'est une constatation, c'est un fait que les mathématiques sont peut-être parmi les activités les plus universelles qui soient de l'espèce humaine. Au fond, on ne raisonne pas différemment, on n'intuite pas différemment qu'on soit péruvien, algérien, chinois, français norvégien, lorsqu'on fait des mathématiques, on travaille sur les mêmes choses. C'est peu compatible avec des régimes dictatoriaux, avec des saloperies politiques, en fait, je crois. Ce que j'ai vécu quand j'étais étudiante, dans les années 70, c'est quelque chose qui a été aussi fondé essentiellement par Schwarz, dans lequel par exemple Michel Broué a été très actif, il était assez jeune à l'époque, qui était ce qu'on appelait le comité des mathématiciens, et historiquement il descendait de ça, mais c'était vraiment des mathématiciens et il se préoccupait de cas de mathématiciens qui avaient été emprisonnés ou maltraitées ou je sais pas, dans différents pays, en Union Soviétique notamment avec Pliouchtch qui était dans un asile psychiatrique. Lorsqu'il a été question de créer le comité Pliouchtch, le comité des mathématiciens, Schwartz m'a raconté l'histoire du comité Audin. Il me dit "tu comprends, à travers le cas d'un homme, on va aller jusqu'au bout sur cet homme, on posera indirectement le problème de tous les autres". Il m'a exactement expliqué ça. "Ça a marché pour Audin, on va le faire marcher pour ça". C'est lui qui avait la mémoire de ça, c'était une véritable mobilisation internationale de la communauté des mathématiques, qui dans chaque pays, selon les traditions particulières à chaque pays, a mobilisé les associations ad hoc. Quand Pliouchtch a tenu sa conférence de presse, quand il a été en état de la tenir, en février 1976, la presse internationale au plus haut niveau, toutes les télés américaines étaient là, Joan Baez était là, assise au premier rang. Elle est venue nous proposer d'aller nous chanter des chansons dans sa chambre ! Enfin c'était un espèce de truc, c'était incroyable à l'époque ! On s'est occupé ensuite, avec toujours du succès, de prisonniers politiques en Uruguay par exemple, José Luis Massera qui lui était un dirigeant communiste, un vieux mathématicien connu, qui avait été torturé, maltraité de manière abominable. On a fini par obtenir sa libération. On s'est occupé des refuzniks en Union Soviétique. On s'est occupé d'un prisonnier politique au Maroc. Il y a eu pendant tout un temps cette tradition internationaliste des matheux, cette tradition de morale dans le comportement politique et social des matheux, a été très impactée, oui, par notre succès considérable sur l'affaire Pliouchtch. Les démarches en justice de Josette Audin furent paralysées par les lois d’amnistie votées à partir de 1962, mais, depuis 1957, elle n'a jamais cessé d'interpeller l’État pour connaître et faire reconnaître la vérité sur la disparition de son mari. C'est pas retombé dans l'oubli parce que l'affaire Audin était devenue le symbole de la torture en Algérie. Le comité Audin avait réussi ce tour de force de faire sur ce nom concret, ce cas concret, particulièrement abominable, mais ce cas concret, le symbole de tous les disparus, de tous les torturés d'Algérie. Et donc ça demeurait, ça demeurait en Algérie avec les noms de rues, de place, etc. Il y a un homme, malheureusement décédé aujourd'hui, qui a joué un rôle fondamental dans l'affaire. C'est encore un matheux, qui s'appelle Gérard Tronel, qui a réussi à maintenir le fil, en liaison avec Schwartz, en liaison avec moi, quand j'ai dirigé l'Institut Henri Poincaré puis ensuite en liaison avec Villani qui a pris ma succession à l'Institut Henri Poincaré, mais c'est Tronel qui a assuré le fil, bien entendu avec la famille Audin et puis d'autres gens. Il y a eu tous les historiens, je ne citerai pas tous les noms. "C'est un très grand honneur pour moi donc de recevoir le prix Maurice Audin, qui en plus en plus d'être un prix en mathématiques c'est un prix qui a une valeur historique, pour moi et pour mon pays." Ce prix Maurice Audin de mathématiques, décerné à un ou une mathématicienne exerçant en Algérie et à un ou une mathématicienne exerçant en France, je crois qu'il joue effectivement un rôle important et que le retentissement de son attribution est extrêmement important dans la communauté mathématique et probablement scientifique algérienne. "Nous devons continuer nos actions pour que finalement soit écrite une bonne fois pour toute la vérité sur la mort de Maurice Audin. Je comprends Josette et sa déception sur le contenu du message du Président Hollande." "Bon, moi-même, je voulais vous recevoir à la suite des nombreuses démarches que vous avez engagées depuis tellement d'années. Nous avons veillé à ce que tout vous soit communiqué. Je pense aussi que nous devons dire aux Français ce qui s'est passé." "Il y a une reconnaissance officielle du fait que la thèse de l'évasion ne tient pas." "C'est tout". "Oui c'est un grand progrès." "Progrès après progrès, on peut espérer." Il est clair que pour une partie importante de la communauté, il y a un espoir d'aller vers une reconnaissance plus explicite de ce qui est perçu comme le rôle noir de la France ou de l'armée française durant cette période-là. Nous avons décidé cette initiative puisque dans ces derniers mois, un renouveau de l'exigence de la vérité sur la mort, l'assassinat de Maurice Audin s'est manifesté grâce entre autres à deux députés, Cédric Villani et Sébastien Jumel... On restaure un peu de ce qui devait être fait. Et donc il y a la part de reconnaissance et ce que nous vous devons, et ce que nous continuerons à faire, reconnaissant votre combat et ce qui s'est passé, le combat d'ailleurs de tous ceux qui sont là. Je suis très satisfaite de la déclaration qu'Emmanuel Macron a signée. Je suis aussi très satisfaite qu'il soit venu la présenter à ma mère chez elle. Après, la chose vraiment importante c'est que, quand même, il ait fait cette déclaration, et cette déclaration qui n'est pas une déclaration du bout des lèvres. C'est pas quelque chose qui vient de nulle part. Si nous on a cru pendant des mois qu'en fait, il n'allait rien se passer, c'est qu'ils ont pris le temps de consulter pas mal de gens. Et ce qu'ils ont fait, c'est vraiment bien. Travail rigoureux, avec les historiens, avec la famille, avec les militaires, en prenant le temps qu'il fallait. Détermination et sans précipitation. Merci à tous et toutes. Parce que chacune et chacun, vous avez contribué à cela. Je voulais vous dire merci aussi. Non, ce serait plutôt à moi de vous demander pardon. Donc vous ne me dit rien, si vous m'autorisez. Je vous dis merci quand même. L'indiscipline continue ! Elle a de beaux jours devant-elle. Il faut remercier tous les gens qui ont travaillé à ça, en particulier Sylvie Thénault et Cédric Villani. Cette reconnaissance est une victoire pour Josette Audin et sa famille mais c'est surtout une victoire pour les droits de tous les hommes, gagnée avec l'aide des mathématiciens et des historiens.