La sobriété, qui consiste à ne pas consommer, c'est celui là sur lequel on ne touche pas, parce que c'est celui qui demanderait de reposer collectivement la question de qu'est ce qu'on a besoin de consommer ? Et qu'est ce qu'on ne consomme plus à partir de maintenant ?
Un français moyen a une empreinte carbone de onze tonnes par an, alors que pour atteindre les objectifs de +2°C par rapport aux niveaux préindustriels, en respectant une répartition vraiment égalitaire des émissions, on devrait émettre 1,6 tonne, donc on devrait réduire de dix à peu près nos émissions par rapport à nos émissions actuelles. Ça représente des changements structurels qui dépassent largement les choix individuels que l'on peut faire.
Dire que même si, vous et moi, nous décidons de consommer moins déjà, ce sera des efforts qui sont énormes et qui n'ont pas forcément d'impact sur le système parce que tout le monde ne décide pas de changer en même temps.
Une ONG qui s'appelle « Take the jump » propose de lister l'ensemble des actes individuels que l'on peut faire. C’est passer à un régime alimentaire à base de plantes. C'est se débarrasser de sa voiture à modèle thermique, si l'on peut. Ne prendre l'avion que une fois tous les huit ans, quand il s'agit de vols internationaux. C'est conserver les produits électroniques plus de sept ans.
Et c’est n'achetez pas plus de trois vêtements neufs par an par exemple. Tout est bon à prendre, mais après personne, en tout cas dans les sociétés développées, ne va de lui même faire l'effort de mettre en place ces six actions, sur tous ces domaines de sa vie. On en fera un ou deux ou aucun si on n'a pas envie, parce que ce n'est pas obligé.
Plus on est pauvre et moins on consomme. Ça, c'est quelque chose qui est remarqué partout, y compris sur les terrains que j'ai pu faire en Espagne et au Portugal. Dire que les ménages qui sont pauvres ont des consommations très faibles, qui ne remboursent même pas l'installation de panneaux photovoltaïques ou de collecteurs solaires thermiques chez eux par exemple. Et on sait que 1% des plus riches Britanniques sont responsables d'autant d'émissions que les 10% les plus pauvres.
Plus on a de revenus et plus on consomme. Par contre, il y a un flou dans la manière dont les riches, pas forcément les très riches, pas forcément les 1 %, mais les riches consomment l'énergie. On sait qu’ils consomment plus, mais on ne sait pas jusqu'à quel point. Et surtout, on sait que ce n'est pas exactement proportionnel.
En septembre 2022, on estime qu'il y a 20% des Français qui ont souffert du froid de l'hiver dernier et que 60 % des ménages restreint le chauffage pour ne pas avoir de facture trop élevée. Après, il y a un autre indicateur de pauvreté énergétique qui est le fait de dépenser plus de 10 % de ses revenus dans les factures d'énergie.
Et ça, ça correspond à 10% des ménages français. Si on regarde en Espagne et au Portugal, en hiver, le taux de mortalité est plus élevé parce que les ménages sont plus exposés au froid, sont plus exposés à des logements humides sont plus exposés aux maladies. Je pense que la précarité énergétique risque d'augmenter. Oui, parce que les revenus ne vont pas suivre l'augmentation des prix de l'énergie. Après il y a un bouclier sur les prix de l'énergie qui va durer jusqu'en mars. Mais il y a le problème de la mobilité avec l'augmentation du prix de l'essence qui, elle, va se répercuter sur les ménages. Donc oui, on pense que cet hiver, il va y avoir plus de circonstances dans lesquelles les ménages ont du mal à se déplacer et à se chauffer.
Et de ce que j'ai pu voir, de la manière dont les maires ruraux se préparent à cet hiver, c'est qu'ils sont assez inquiets de voir arriver davantage de ménages dans les centres communaux d'action sociale qui vont demander de l'aide au paiement des factures. Au contraire, ils n'oseront pas aller demander de l'aide et qu'ils resteront chez eux à avoir trop froid ou à devoir rogner sur d'autres budgets pour pouvoir quand même aller au travail.
Ce n'est pas paradoxal du tout à dire que collectivement, on doit diminuer notre consommation parce que un ensemble de ménages français qui ne sont pas précaires, consomme trop par rapport à ce qu'ils devraient consommer. Si on a décidé d'atteindre les 1,6 tonnes de CO2 par habitant et par an. L'expérience et un ensemble de résultats scientifiques montrent que les petits gestes du quotidien ne suffisent pas.
Pour vous donner un exemple, cet hiver, on risque un black out. C'est un risque qui est assez faible mais néanmoins présent. On estime que on peut limiter les consommations des ménages en faisant passer des signaux : de chauffer moins chaud par exemple, de chauffer à 19°C au lieu de 20°C ou 21°C, d'éteindre les équipements électroniques, etc. On estime que si l'ensemble de tous les ménages français font un effort en même temps, on diminue de 15 %. Et 15 %, ce n'est pas la diminution par dix qui est attendue.
Pour atteindre les objectifs climatiques de 2°C, puis rien ne les y obligent. A quoi servirait le fait de se priver de viande quand son voisin ne s'en prive pas ? A quoi servirait de ne plus se déplacer en avion quand tout le monde continue à se déplacer ? Etc. Et donc c'est de ça que je parle quand je dis qu'on fait peser trop sur les choix individuels.
Je pense que des lois qui encadreraient les consommations ne sont pas du tout aussi impopulaires qu'on le pense. Je pense que la Convention citoyenne pour le climat a démontré qu'en réunissant des ménages tirés au sort, eh bien on arrivait à des mesures fortes, à des mesures où on accepte par exemple de limiter la vitesse sur l'autoroute et donc je pense qu'une partie de la société française est prête à ces contraintes, mais que derrière les réponses politiques se font attendre.
Parce que sans doute qu'il y a un risque politique pour un futur élu à porter des mesures qui soient contraignantes pour les consommations des ménages. Mais je pense que d'autre part, il y a une attente de réponses fortes et en tout cas de réponse qui soient, encore une fois, qui soient collectif était une des leçons de la crise des Gilets jaunes.
C'est que dans la mesure où on estimait que le poids de la taxation des émissions de CO2 était porté de manière inégale par des ménages alors que les avions n'étaient pas taxés alors qu'un ensemble de secteurs de l'industrie étaient moins taxés... Pourquoi est ce que ce seraient les ménages qui devraient payer ce coup là ? Et que si le poids de la réduction des émissions de CO2 était davantage réparti sur la population et sur les secteurs de l'économie, eh bien, cette mesure serait passée plus facilement.
Si on ne parle pas de cette justice sociale si on ne décide pas maintenant de qu’est-ce qui est prioritaire. Le changement climatique va exacerber les inégalités actuelles. Les Indiens, par exemple, qui ont assez peu contribué à l'augmentation des gaz à effet de serre, sont ceux qui se retrouvent à avoir les 50°C avant nous. Et je pense que si on ne décide pas collectivement de qu’est-ce qu’on priorise, eh bien on va continuer à avoir de plus en plus de ménages qui seront privés de moyen de transport, d'électricité, d'alimentation saine, d'un ensemble de biens qui seront réservés à des ménages qui peuvent se le payer.
C'est à dire que les inégalités sociales vont être exacerbées par le changement climatique. Ça, toutes les recherches le disent et donc c'est maintenant qu'il faut faire des choix sur comment est ce qu'on limite ces inégalités ?