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Un laboratoire à Levallois-Perret, près de Paris, le 22 avril 2020 © AFP/Archives Thomas Coex

Hydroxychloroquine. Essais en double aveugle. Anticorps dans le plasma. Aérosolisation… La science a débordé de manière inédite dans l’espace public avec la pandémie de Covid-19. Sortie des labos, elle donne l’image d’aller un jour dans un sens, le lendemain dans l’autre, dans des zigzags amplifiés par les chaînes d’info en continu et les réseaux sociaux. Mais pour des spécialistes, le processus n’est pas exceptionnel, même si l’accélération est bien réelle et son écho plus fort. Constat partagé, le nombre d’études explose et le rythme des publications s’accélère. Logique en pleine crise sanitaire mondiale, quand « la circulation rapide de connaissances scientifiques est d’une importance cruciale, » relève Serge Horbach, de l’université Radboud (Pays-Bas), dans une étude consacrée aux publications sur le coronavirus.

Le chercheur recensait mi-avril pas moins de 2102 preprints liés au Covid-19, apparu à peine quatre mois plus tôt, soit des études publiées en ligne sans passage par le filtre des comités de lecture des revues scientifiques classiques. De leur côté, ces revues ont « considérablement accéléré » le processus de publication pour les études consacrées à la pandémie, avec un délai réduit « de 49 %, ou 57 jours en moyenne ». Certains titres affichent même « une baisse du temps de publication de plus de 80 % comparé à la période pré-crise ». « On peut se demander si plus vite est toujours (synonyme de) mieux », s’interroge l’auteur, craignant un « troc entre rapidité et qualité ».

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Flacons de comprimés d’hydroxychloroquine distribués en avril 2020 dans les hôpitaux au Salvador © AFP/Archives Yuri Cortez

Accélération brutale

« Ce que nous voyons n’est que la brutale accélération de tendances existantes », nuance Ivan Oransky, co-fondateur de Retractation Watch, site américain spécialisé dans l’analyse des corrections d’études scientifiques. « Ça fait des années que les journaux promettent des relectures par les pairs de plus en plus rapides ». Et en période de crise, « il est compréhensible que les scientifiques travaillent très vite, que les papiers soient publiés plus rapidement. Ce n’est pas un mal en soi, mais nous devons comprendre qu’il y aura plus d’erreurs ».

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Des chercheurs travaillent sur un vaccin expérimental dans un laboratoire de Pékin, le 29 avril 2020 © AFP/Archives Nicolas Asfouri

Avec la médiatisation et l’amplification sur les réseaux sociaux, le sentiment de yoyo dans les connaissances augmente, mais n’a rien de surprenant pour cet expert : « Regardez la couverture par beaucoup de journalistes des effets du café, du vin rouge ou du chocolat : une semaine ça peut être bénéfique, la semaine suivante ça vous tue. En fait personne n’est très sûr et on se concentre trop sur des études spécifiques ».

Autre explication du foisonnement, la compétition pour les crédits de recherche. « Il y a un énorme enjeu de publication pour le financement des équipes », rappelle Anne-Marie Duguet, spécialiste en éthique médicale et droit de la santé à l’université Paul Sabatier de Toulouse, co-auteure début avril d’un papier intitulé « Essai clinique et traitement : quelle éthique en cas d’urgence sanitaire ? », consacré notamment aux études controversées du professeur français Eric Raoult. « Qu’il y ait plus d’études n’est pas gênant, les seules choses vraiment importantes sont la rigueur scientifique et l’éthique », poursuit-elle. Et d’appeler, elle aussi, à « se poser des questions » avant de répercuter le moindre résultat présenté comme prometteur.

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Le Pr Didier Raoult à Marseille, le 26 février 2020 © AFP/Archives Gérard Julien

Avancer sans douter

Quant aux divergences entre chercheurs, c’est l’essence même du processus scientifique, rappelle Anne-Marie Duguet. « Dans toutes les conférences scientifiques, il y a des controverses, c’est très enrichissant. Mais que veut le public ? Qu’on trouve un remède miracle, que ça marche et que ça aille vite. Ce que le public ne comprend pas, c’est l’incertitude, qu’on puisse dire qu’on ne sait pas. Pourquoi Raoult marche bien ? Il n’a pas de doute, il avance ». « D’un coup, les temps scientifique, médiatique et politique seraient sensés s’harmoniser », décrypte Benoit Gaultier, professeur à l’université de Zurich et co-directeur du Groupe de recherche en épistémologie du Collège de France.

Le professeur Raoult a précisément choisi de s’afficher hors temporalité de recherche (prendre le temps de trouver), où sa méthodologie était contestée, pour se placer dans celle de l’urgence de la médecine (traiter les malades). Pas loin, selon lui, du temps politique qui suppose « d’arrêter le flux d’informations à un moment pour décider ». Et si les polémiques qui résultent de ces contraintes contradictoires peuvent « avoir un effet de désenchantement, où le public se dit qu’est-ce que c’est que ce bazar », Benoit Gaultier y voit surtout l’expression, plus publique que d’habitude, « du processus permanent de réfutation » sur lequel repose la recherche. Et de résumer : « En fait, à l’occasion du Covid, on se retrouve anormalement exposé au fonctionnement normal de la science ».