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Le généticien chinois He Jiankui, le 28 novembre 2018 à Hong Kong © AFP/Archives Anthony Wallace

Les apprentis sorciers qui voudraient améliorer l’Homme en modifiant ses gènes risquent d’obtenir l’effet opposé : la mutation génétique qu’a fait subir un chercheur chinois à des bébés l’an passé pour les protéger du sida est en fait associée à une mortalité statistiquement plus précoce, prévient une étude. C’est en novembre 2018 que He Jiankui avait annoncé avoir fait naître des jumelles aux gènes modifiés. Quelques semaines plus tard, il indiquait qu’une deuxième femme était enceinte d’un autre bébé génétiquement modifié.

Introduite artificiellement dans le patrimoine génétique de ces bébés lors d’une expérience qui a provoqué un tollé mondial, cette mutation est naturellement présente chez certaines personnes. Or, les gens qui portent deux copies de cette mutation ont en moyenne un taux de mortalité plus élevé que les autres, selon cette étude publiée lundi 3 juin dans la revue Nature Medicine.

« Elles ont 20 % de chances en moins d’atteindre l’âge de 76 ans », poursuivent les auteurs. Pour parvenir à cette statistique, les données de plus de 400 000 volontaires inscrits dans le registre britannique UK Biobank, qui sert de base à des études sur la génétique, ont été analysées. L’étude ne permet pas d’expliquer les raisons de cette mortalité plus élevée. Mais elle rappelle que la génétique fonctionne comme un jeu de Mikado où déplacer un seul petit bâton peut en faire bouger beaucoup d’autres.

Certes, la mutation en question « protège contre le virus du sida et sans doute d’autres, comme celui de la variole », selon les auteurs de l’étude, Xinzhu Wei, de l’université de Berkeley (États-Unis), et Rasmus Nielsen, de l’université de Copenhague. Mais il y a une contrepartie, mise en évidence par de précédents travaux : « Il semble qu’elle réduise la protection contre d’autres maladies infectieuses telles que la grippe », bien plus courantes que le sida. Conclusion des deux scientifiques : à cause de potentielles conséquences inattendues, « introduire des mutations chez les humains en utilisant des techniques d’ingénierie génétique est extrêmement risqué, même si ces mutations semblent présenter un avantage ».

« Insensé »

He Jiankui dit avoir utilisé la technique Crispr-Cas9, qui a révolutionné la médecine génomique ces dernières années. Ces « ciseaux génétiques » permettent de remplacer des parties du génome, comme on corrige une faute de frappe sur ordinateur. Les travaux du scientifique chinois n’ont fait l’objet d’aucune publication, mais selon des informations parues sur internet, les modifications ont porté sur un gène appelé CCR5, un récepteur du virus du sida. La mutation que He Jiankui a reproduite artificiellement est naturellement présente chez 1 % des Européens : elle empêche le virus de pénétrer dans les cellules hôtes, ce qui rend les porteurs résistants au sida.

Très critiqué par Pékin et la communauté scientifique internationale, He Jiankui a fait l’objet d’une enquête de police et a été démis de ses fonctions à l’université. Bien qu’elle n’ait pas été vérifiée, la naissance supposée de ces premiers « bébés OGM » a provoqué une onde de choc chez les spécialistes. En mars, des sommités de la recherche ont plaidé pour un moratoire sur les techniques de modification du génome, sources de vertigineuses questions éthiques. Mais cette proposition a été fraîchement accueillie par d’autres scientifiques : ils redoutent un coup d’arrêt à des recherches qui suscitent d’énormes espoirs dans le traitement des maladies génétiques.

L’étude « souligne la nécessité de mieux comprendre les mutations génétiques avant d’envisager d’en créer pour des raisons médicales », a commenté un scientifique extérieur à ces travaux, le Pr Graham Cooke, de l’Imperial College de Londres.