Biodiversité : chercheurs et IA à l’écoute de la faune
Publié le - par Le Blob.fr, avec l’AFP
Un sifflement flûté et un trille aigu sur fond de bourdonnement grave d’insecte : c’est la « musique » d’une forêt à laquelle des scientifiques sont toute ouïe, pour en retirer une idée plus claire de la biodiversité. L’enregistrement sonore de la forêt équatorienne fait partie de nouvelles recherches visant à déterminer comment l’intelligence artificielle (IA) pourrait étudier la vie animale dans des habitats en voie de régénération.
Lorsque les scientifiques souhaitent mesurer le reboisement, ils peuvent considérer de vastes étendues à l’aide d’outils tels que le satellite. Mais déterminer à quelle vitesse la faune sauvage revient dans une zone constitue un défi plus difficile, requérant parfois qu’un expert passe au crible les enregistrements sonores et isole les cris des animaux. Jorg Muller, un professeur et ornithologue de l’université de Wurzbourg, s’est donc demandé s’il existait une méthode plus simple : « J’ai étudié l’écart qu’il nous restait à combler, notamment sous les tropiques, et les meilleures méthodes pour mesurer l’immense diversité ». Il s’est finalement tourné vers la bioacoustique, qui utilise le son pour en apprendre davantage sur la vie animale et ses habitats. Ce n’est pas un outil de recherche récent mais il est depuis peu associé à l’apprentissage informatique pour traiter plus rapidement de grandes quantités de données.
Jorg Muller et son équipe ont ainsi réalisé des enregistrements audio sur des sites de la région de Choco en Equateur, allant de plantations de cacao et de pâturages récemment abandonnés à des terres agricoles en cours de régénération après exploitation. Ils ont d’abord demandé à des experts d’écouter les enregistrements et de sélectionner les oiseaux, les mammifères et les amphibiens. Ensuite, ils ont effectué une analyse d’indices acoustiques, qui donne une dimension de la biodiversité fondée sur des mesures comme le volume et la fréquence des bruits. Enfin, ils ont réalisé deux semaines d’enregistrements en utilisant un programme informatique assisté par IA, conçu pour distinguer 75 cris d’oiseaux.
Le programme a permis de reconnaître de manière cohérente les cris d’oiseaux, mais a-t-il pu identifier correctement la biodiversité de chaque emplacement ? Pour vérifier ce second point, l’équipe a utilisé deux données de base : une première provenant des experts qui ont écouté les enregistrements audio et une seconde reposant sur des échantillons de sons émis par des insectes de chacun des sites.
Même si le stock de sons disponibles pour entraîner le modèle d’IA signifiait qu’il ne pouvait reconnaître qu’un quart des cris d’oiseaux que les experts pouvaient identifier, il a néanmoins notamment été possible par cette méthode d’évaluer correctement les niveaux de biodiversité dans chaque endroit, assure l’étude parue mardi dans la revue Nature Communications : « Nos résultats montrent que l’analyse du paysage sonore est un outil puissant pour surveiller le rétablissement des communautés fauniques dans les forêts tropicales extrêmement diversifiées. La diversité du paysage sonore peut être mesurée de manière efficace, économique et durable », que ce soit dans les zones agricoles ou dans les forêts anciennes et en régénération.
Il existe encore des lacunes, en particulier le manque de sons d’animaux sur lesquels former les modèles d’IA. En outre, cette approche ne permet de prendre en compte que les espèces qui annoncent leur présence. « Bien sûr, il n’y a aucune information sur les plantes ou les animaux silencieux. Mais les oiseaux et les amphibiens sont très sensibles à l’intégrité écologique, ils sont de très bons substituts », a précisé M. Muller à l’AFP. Le chercheur pense que cet outil pourrait devenir de plus en plus utile compte tenu de la pression actuelle en faveur des « crédits pour la biodiversité », une façon de monétiser la protection des animaux dans leur habitat naturel. « Être capable de quantifier directement la biodiversité, plutôt que de s’appuyer sur des indicateurs tels que la croissance des arbres, encourage et permet une évaluation extérieure des actions de conservation et favorise la transparence », conclut l’étude.