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Bulle de savon dont la composition chimique a été spécialement conçue pour favoriser la pollinisation © Eijiro Miyako

Faute d’insectes pollinisateurs, nombre de fruits, légumes, épices ou graines pourraient disparaître de nos assiettes. Et pour cause : 80 % des plantes à fleurs (ou angiospermes) dépendent directement d’eux pour leur pollinisation. Mais avec l’utilisation excessive de pesticides, la dégradation des milieux naturels et le réchauffement climatique, nous observons un déclin sans précédent de l’abondance et de la diversité des insectes pollinisateurs.

Au Japon, pays réputé pour ses immenses champs de cerisiers, une équipe de l’Institut de sciences industrielles avancées (IAST) de Tsukuba cherche des solutions innovantes pour seconder l’action des abeilles et autres pollinisateurs naturels. Déjà connu pour avoir développé en 2017 un drone miniature muni de brins de crin de cheval mimant les pattes d’insectes, le professeur Eijiro Miyako revient cette fois-ci avec une idée encore plus originale : les bulles de savon.

Une technologie simple et peu coûteuse

Chez les plantes à fleur, la pollinisation consiste dans le transport du pollen des organes de reproduction mâle (étamines) vers le (ou les) organes de reproduction femelle (pistil). Pour la plupart d’entre elles, cette étape permet la fécondation, qui aboutit à la formation des graines et des fruits. Afin de développer une alternative aux insectes pollinisateurs moins coûteuse que les drones, robots miniatures et autres aides mécaniques, Eijiro Miyako a eu l’idée d’employer la bulle de savon comme vecteur des grains de pollen. L’étude a été publiée le 17 juin dans la revueiScience.

« Cela peut sembler un peu fantaisiste, mais la bulle de savon permet une pollinisation efficace et garantit des fruits d’une qualité équivalente à celle de la pollinisation manuelle conventionnelle », souligne Eijiro Miyako, auteur principal de l’étude. Le chimiste ajoute que les bulles n’ont pas détruit les fragiles floraisons des arbres fruitiers (poiriers), contrairement à son drone dont les mouvements d’approche manquaient clairement de délicatesse.

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Pollinisation d’une fleur de pissenlit par une abeille ; on y voit l’importante quantité de pollen transporté par l’insecte © Nicolas Guérin

Des bulles enrichies

Après avoir confirmé par microscopie optique que les bulles de savon pouvaient transporter des grains de pollen, Miyako et Xi Yang, co-auteur de l’étude, ont testé les effets de cinq agents de surface disponibles dans le commerce sur l’activité du pollen et la formation de bulles. La bétaïne de cocamidopropyle, agent tensioactif dérivé de l’huile de noix de coco, très utilisé dans l’industrie cosmétique, l’a emporté sur ses concurrents, facilitant une meilleure germination du pollen et la croissance du tube qui se développe à partir de chaque grain de pollen après son dépôt sur une fleur.

Sur la base d’une analyse en laboratoire des concentrations de savon les plus efficaces, les chercheurs ont testé la performance des grains de pollen de poire dans une solution de bulles de savon de bétaïne de cocamidopropyle à 0,4 % avec un pH optimisé et un ajout de calcium et d’autres ions pour favoriser la germination. Après trois heures de pollinisation, l’activité pollinique offerte par les bulles de savon est restée stable, tandis que d’autres méthodes telles que la pollinisation par poudre ou solution se sont avérées moins efficaces. Miyako et Yang ont alors chargé la solution dans un canon à bulles et ont libéré des bulles chargées de pollen dans le verger test. Ils ont constaté que la technique distribuait des grains de pollen (environ 2 000 par bulle) aux fleurs touchées, et que ces fleurs ont ensuite donné des fruits.

Miyako et ses collègues prévoient désormais de s’attaquer au problème des pertes occasionnées par le prototype de pollinisateur artificiel : en effet, la plupart des bulles ne parviennent pas à se poser sur les fleurs cibles.

En outre, pour augmenter le rendement de la pollinisation par bulles de savon, les chercheurs ont aussi testé le recours à un drone. Ils l’ont équipé d’une machine à bulles, mais la floraison des poiriers étant terminée, ils ont évalué cette technique sur de fausses fleurs (des lis) d’une hauteur de deux mètres. Les bulles délivrées par drone ont atteint leurs cibles avec un taux de réussite de 90 % lorsque la machine se déplaçait à une vitesse de deux mètres par seconde. Bien que cette approche de la pollinisation semble prometteuse, des ajustements sont encore nécessaires pour améliorer sa précision. De plus, en ce qui concerne les bulles de savon, la météo est un facteur clé : les gouttes de pluie ou les vents trop forts peuvent empêcher les bulles de pollen d’arriver jusqu’aux fleurs.