Vous trouvez ça mignon ? Deux petits singes qui se promènent en forêt... Eh bien… vous êtes en train d’assister à un enlèvement ! Voici un capucin, plus exactement un Sapajou du Panama. Et sur son dos, un bébé singe hurleur. Ils n’ont rien à faire ensemble. Ils ne sont ni de la même famille, ni de la même espèce. Pourtant, ce n’est pas un cas isolé. Ce comportement étrange s’est répandu parmi toute une population de capucins sur une île au large du Panama, Jicarón. Ces capucins sont déjà bien connus pour leur intelligence : ils utilisent des outils en pierre pour casser des noix et des coquillages. C’est d’ailleurs ça qui a attiré l'œil des scientifiques. Mais un jour, leurs caméras captent autre chose. La chercheuse, Zoë Goldsborough, épluche les images. Elle en trouve d'autres : quatre bébés hurleurs, toujours portés par le même capucin mâle. Elle le surnomme Joker. À plusieurs reprises, les bébés tentent de s’enfuir. Perchés dans les arbres, leurs parents les appellent, désespérés, mais rien n’y fait. Et Joker n’est pas tout seul. Rapidement, quatre autres jeunes mâles capucins commencent à faire exactement la même chose. En 15 mois, 11 bébés sont ainsi transportés… ou plutôt "kidnappés". - Alors cette étude est intéressante parce que, déjà, c’est une interaction inter-espèces, qui est relativement - je ne dirais pas rare dans la nature, parce qu’on connaît bien les relations de prédation ou de compétition - Mais là, normalement, c’est une interaction inter-espèces qui ne devrait pas se produire. Ce qu’on va observer entre les capucins et les singes hurleurs, c’est souvent des interactions agonistiques. C’est vrai que ça, ça n'avait jamais été rapporté auparavant. Les chercheurs parlent d’une tradition sociale : un comportement copié, appris par imitation. Un peu comme les orques qui arborent fièrement leurs “chapeaux saumon” ou encore les chimpanzés et leurs boucles d’oreilles 100% végétales. - En fait, l'innovation, c’est un comportement nouveau. Quand on dit nouveau, ça veut dire pour nous, on l’a observé en tant que primatologues pour la première fois. Parfois ça peut s’éteindre, ça veut dire que il y a un seul individu qui le présente. Cet individu meurt ou arrête de présenter le comportement et il n’y a pas de transmission. Et parfois ce comportement d’innovation peut se propager aux autres individus et c’est là où on va commencer à parler de transmission sociale et d’apparition de traditions, de comportements culturels. L’innovation est assez intéressante parce que ça veut dire que le répertoire comportemental d’une espèce n’est pas fixe. Et qu’un individu ou des individus au cours de leur vie vont montrer des nouveaux comportements en fonction de ce qu’ils ont déjà appris auparavant. Mais sur l’île Jicarón, cette nouvelle mode s’installe aux dépens d’une autre espèce. Au moins 4 bébés hurleurs sont morts. Les chercheurs pensent même qu’aucun n’aurait survécu car les capucins ne sont pas en mesure de les nourrir. Si ce comportement se répand, il pourrait bien menacer cette espèce, déjà en danger sur l’île. Selon les chercheurs “les animaux, comme les êtres humains, peuvent développer des traditions sans but clair mais avec des conséquences dévastatrices sur leur environnement.” - C’est vrai que quand on réfléchit sur les interactions inter-espèces chez les animaux, on fait de suite le parallèle qu’on peut avoir avec l’humain, puisque l’humain a domestiqué ou utilisé de nombreuses espèces animales. Et ce principe de la domestication ou en tout cas de l'interaction inter-espèces, comme on peut voir ici entre le capucin moine qui attrape un bébé d’une autre espèce, c’est quelque chose qu’on a pu voir également chez les babouins hamadryas qui vont kidnapper des bébés chiots ou des bébés chats et qui les gardent dans leurs groupes. Et ce qui est intéressant, c’est que ces bébés chiots ensuite grandissent et vont protéger le groupe contre les autres chiens qui vont agresser la troupe. Donc là on peut mieux essayer de comprendre, à travers ces interactions inter-espèces, comment le processus de domestication a pu arriver chez l’humain. Dans le cas des capucins kidnappeurs, la question c’est : pourquoi ce comportement ? Les singes hurleurs ne sont ni dévorés, ni adoptés. Les capucins ne jouent pas avec et n’attirent pas plus l’attention du groupe. C’est simple, il n’y a pas de but apparent. L’hypothèse des chercheurs ? L’ennui. Et ce serait lié à leur environnement. Ces capucins vivent sur une île sans prédateurs, avec peu de rivaux, de la nourriture en abondance et beaucoup de temps libre. Autre fait intéressant : les capucins kidnappeurs sont tous des mâles. Et qui sont les seuls à utiliser des pierres comme outils ? Encore des mâles. Ces deux comportements très différents pourraient bien avoir la même origine. L’innovation, au sens comportemental du terme, ne naît pas toujours du besoin. Parfois il suffit juste de s’ennuyer… très très très fort.