Des canulars pour sauver la planète ?
Publié le - par Le Blob, avec l’AFP
Faux communiqués de presse, sites internet ultra-réalistes, simulacres de conférence de presse : des activistes, défenseurs de l’environnement en particulier, imitent désormais la communication des entreprises pour faire passer leurs messages, quitte à induire les médias en erreur à l’heure des infox.
« Certains activistes estiment que tous les coups sont permis pour défendre leurs causes, mais je pense qu’ils font erreur, explique Nicolas Vanderbiest, spécialiste de l’e-réputation et auteur du site Reputatio Lab. Ils mettent en jeu leurs relations avec les médias, les premières victimes de ces canulars ».
L’exemple a été donné lundi à Paris : un faux représentant de TotalEnergies a exposé devant quelques vrais journalistes avertis du canular un projet de relocalisation d’animaux sauvages d’Afrique en France, afin de permettre la construction d’un pipeline (voir vidéo ci-dessous).
« Nous utilisons l’humour, la satire et la créativité pour dénoncer des problèmes réels. Quand on y pense, nous avons annoncé l’importation d’animaux de tout un écosystème africain vers la France… c’est ridicule, c’était évident que c’était un canular », se défend Natalie Whiteman, membre du groupe américain « The Fixers ».
Pour son acolyte Jeff Walburn, « la vraie “fake news”, c’est celle que répand le groupe TotalEnergies à travers ses campagnes de greenwashing depuis des années ». Tous deux sont d’anciens membres des « Yes Men », un groupe américain auteur de plusieurs canulars activistes comme un faux communiqué de presse diffusé en 2010 au nom de Chevron, géant pétrolier américain. Leur rhétorique rappelle celle du mouvement de défense de l’environnement Fridays for Future. Quatre jeunes militantes avaient invité en mai dernier des journalistes internationaux à une fausse conférence de presse en ligne de la banque Standard Chartered et annoncé la fin de leurs investissements dans les combustibles fossiles, tout en les avertissant de la supercherie.
« Nous sommes fatigués d’entendre cette banque prétendre défendre le développement durable tandis qu’elle mène une politique de greenwashing, se justifie Léonie Bremer, l’une des organisatrices. Nous avions décidé d’annoncer à la presse ce que Standard Chartered aurait dû annoncer elle-même. »
Alexandre Alaphilippe, directeur de l’ONG « EU disinfolab », relativise le danger : « Certains canulars sont tellement satiriques qu’il y a peu de risques qu’ils affectent notre compréhension », selon lui. Mais certaines actions « plus ambiguës », comme un faux communiqué du mouvement Extinction Rebellion diffusé à l’été 2020, peuvent être « à la limite entre le canular et la désinformation ».
Ce communiqué, appuyé par un site très réaliste, annonçait que l’entreprise suédoise retirait ses investissements dans les énergies fossiles et avait réussi à berner plusieurs médias, dont l’AFP.
« La défense de l’environnement peine à apparaître dans les flux d’information, c’est pourquoi les activistes recourent à ce genre d’artifice, de prétexte, pour qu’on parle de leurs causes », explique Nicolas Vanderbiest.
Manipulations spéculatives
Les militants pour l’environnement ne sont pas les seuls à recourir à ces infox. En 2016, Vinci, le grand groupe français de construction a été victime de la diffusion d’un faux communiqué de presse en son nom. Repris par plusieurs médias, dont l’agence américaine Bloomberg, le faux communiqué a fait chuter le cours de l’action du groupe de 18 % en quelques minutes.
Les fraudeurs ont pu profiter des variations du cours de l’action de Vinci pour en tirer des bénéfices. Mais l’enquête conduite par l’Autorité des marchés financiers (AMF) n’a pas réussi à établir l’identité des auteurs du communiqué.
Un communiqué signé par des anonymes se présentant comme des opposants au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, dont Vinci devait être le constructeur, a bien revendiqué l’infox, mais l’AMF n’a pas retenu cette hypothèse.
Condamnée par l’AMF, Bloomberg a fait appel auprès de la Cour d’appel de Paris, qui a confirmé jeudi la responsabilité de l’agence dans cette affaire tout en réduisant de cinq à trois millions d’euros le montant de l’amende que lui avait infligée l’AMF.
D’après Raphaël Labbé, dirigeant de la société Wiztrust qui développe des solutions d’authentification de communiqués, ces manipulations par des hackers augmentent depuis quelques années. « Dans un but spéculatif, les hackers passent par des flux d’actualité qui diffusent les communiqués de façon automatique », précise-t-il.
De leur côté, les faux communiqués de militants environnementaux relèvent d’une longue tradition de canulars. Mais ils sont davantage aujourd’hui sous les projecteurs par l’effet des réseaux sociaux. Et « ils utilisent des sites web complets avec des images qui frappent », analyse M. Labbé.