Des scientifiques en apesanteur, pour quelques secondes d'expériences sans gravité
Publié le - par Le Blob.fr, avec l'AFP
« Injection », annonce le pilote de l'Airbus A310 zéro-G, et la pesanteur disparaît comme par magie dans l'appareil où, bien arrimés par des sangles, une cohorte de scientifiques lancent leurs expériences en absence de gravité.
L'appareil vient de quitter sa base de Bordeaux-Mérignac avant de s'élancer au-dessus de l'Atlantique pour une série de 31 paraboles. Comme sur des montagnes russes, la gravité est abolie à chaque parabole pendant environ 22 secondes, pour un total de dix minutes. La quarantaine de chercheurs a patienté sagement dans l'appareil sur des sièges disposés à l'arrière de la carlingue. Avant de se lever comme un seul homme dès l'extinction du signal de bouclage des ceintures, pour lancer les dix expériences réparties dans le grand espace blanc qui occupe l'essentiel de l'avion. « Il y a des phénomènes physiques, biologiques, physiologiques qui sont masqués au sol par la pesanteur et donc le seul moyen pour les révéler est de s'en affranchir », explique Sébastien Rouquette, chef du projet vols paraboliques au Centre national d'études spatiales (CNES).
Cette campagne de vols d'automne - il y en a deux par an - est l'aboutissement d'un long processus, entamé avec le dépôt auprès du CNES de projets de recherche. Après sélection, les heureux élus ont eu environ six mois pour conformer leurs expériences aux exigences de sureté et d'adaptation à l'avion. Pas question de laisser une fiole de sang, un drone pesant trois kilos ou une valise contenant un laser se balader librement.
Au large des côtes françaises, et à environ 6.000 mètres d'altitude, l'appareil entame sa première série de paraboles, qui se succèdent toutes les trois minutes. Le commandant de bord, Loïc Bernard, égrène la poignée de secondes pendant lesquelles l'avion accélère avant un cabré atteignant 50 degrés. La manoeuvre fige tous les mouvements, dans cette phase d'hypergravité où on pèse deux fois son poids. Puis vient l'annonce d'injection. Dans l'espace de vol libre, ceinturé de filets, on flotte comme un astronaute dans la Station spatiale internationale (ISS). C'est le moment pour les scientifiques à bord de tester le déploiement d'un panneau solaire, d'étudier l'échange d'énergie lumineuse nécessaire aux plantes, ou encore d'explorer la perception qu'a un humain des rotations en apesanteur. Des recherches dont certaines ont un objectif affiché d'exploration spatiale, sans négliger une application terrestre.
C'est le cas du projet HAMSTER, partie prenante d'un programme plus large, MELISSA, visant à développer un écosystème dans un vaisseau ou une base spatiale. Moins de contraintes que l'ISS Pour aller vers Mars bien sûr, « mais aussi pour des thématiques d'aménagement des ressources sur Terre », remarque Célia Batonon, ingénieure en stage à l'Institut Pascal.
L'appareil, opéré par Novespace, une filiale du CNES, n'entend pas rivaliser avec l'ISS, à 400 km d'altitude. Mais si la durée d'apesanteur offerte y est moins grande, et la microgravité de moins bonne qualité, l'avion a « l'énorme avantage d'offrir un grand volume habitable, permettant d'embarquer du matériel de laboratoire et les chercheurs eux-mêmes », selon M. Rouquette. Avec aussi une économie substantielle car « pour travailler dans l'ISS il faut du matériel miniaturisé, automatisé et avec des contraintes de sûreté et de fonctionnement bien supérieures ». Ce qui explique que depuis sa création en 1986 Novespace ait enregistré 12.000 participants sur plus de 200 campagnes de vol. Dont une petite partie sont des visiteurs payants, qui contribuent ainsi à environ 10% de son budget.
Toujours entre les mains « d'anciens pilotes militaires, dont la première qualité est l'expérience », précise Loïc Bernard. La manoeuvre est exécutée par trois pilotes. L'un commande le tangage, -avec le cabré suivi du piqué-, le deuxième contrôle le roulis, -pour garder l'appareil sur son assiette-, et le troisième manoeuvre la commande des gaz et surveille les instruments.
L'Airbus Zéro-G, n'a que deux équivalents dans le monde, en Russie et aux Etats-Unis. Ce qui n'a pas empêché la Nasa de profiter de ses services cet été pour « étudier la gravité partielle pour des missions d'exploration futures », explique Thierry Gharib, PDG de Novespace.