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La recherche s’est mise en ordre de bataille depuis le début de la crise du coronavirus, avec le défi de trouver rapidement des réponses face à une pandémie galopante, tout en préservant la rigueur scientifique © AFP/Archives Kenzo Tribouillard

Réactive, foisonnante, transparente : la recherche s’est mise en ordre de bataille depuis le début de la crise du coronavirus, avec le défi de trouver rapidement des réponses face à une pandémie galopante, tout en préservant la rigueur scientifique.

« En temps d’épidémie, la recherche fait partie de la réponse », observait Yazdan Yazdanpanah, chef du service des maladies infectieuses de l’hôpital Bichat à Paris, lors de la présentation d’un essai clinique en mars.

L’enjeu est immense : contenir l’expansion du virus, tester des traitements et tenter de trouver un vaccin contre la maladie Covid-19. Face à cette pression inédite, jamais la recherche sur un agent pathogène émergent n’aura été aussi rapide. 

Le séquençage du génome du virus s’est fait en quelques semaines. « Pour le sida, c’était plusieurs années… on vit à une tout autre période. En temps gagné, c’est remarquable », a relevé sur France Culture Arnaud Fontanet, épidémiologiste à l’Institut Pasteur.

Quelques jours après les premiers cas de pneumonies début janvier à Wuhan, épicentre de la pandémie, des scientifiques chinois ont réalisé un séquençage complet du nouveau virus, qu’ils ont ensuite partagé avec leurs collègues étrangers via une base de données internationale. 

Sur la base de ces travaux « 3.0 », l’Institut Pasteur en France, ainsi qu’un laboratoire allemand, ont pu élaborer un test moléculaire fiable permettant de diagnostiquer les premiers cas de coronavirus en Europe. Les chercheurs de Pasteur travaillent maintenant à la mise au point de tests permettant de mesurer le degré d’immunité dans la population générale, une des clés pour sortir du confinement.

En France, la recherche s’est aussi mobilisée rapidement notamment via une structure ad hoc, « REACTing » (REsearch and ACTion targeting emerging infectious diseases) qui regroupe des acteurs de tous les secteurs de la recherche, sciences humaines comprises.

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Graphique montrant les méthodes de test pour l’épidémie en cours de coronavirus © AFP John Saeki

Le besoin d’un tel dispositif avait émergé lors de l’épidémie de grippe A H1N1 en 2009, après « un constat d’échec : il n’y avait pas de coordination entre les différents chercheurs des instituts pour faire de la bonne recherche en temps de crise », explique à l’AFP Eric D’Ortenzio, médecin épidémiologiste et coordinateur scientifique de REACTing.

Essai clinique inédit

Le consortium a fait ses gammes en 2013 avec le virus chikungunya aux Antilles puis gagne en puissance avec Ebola en Afrique. « On a alors démontré qu’on pouvait mettre en place un essai clinique, qu’il s’agisse d’un traitement ou d’un vaccin, en urgence », détaille Eric D’Ortenzio.

Depuis janvier, plusieurs centaines de chercheurs planchent sur le nouveau coronavirus. « Tous les jours, des chercheurs s’ajoutent. Des offres spontanées d’aide sont mises au pot, certains ont dû réorienter, voire abandonner leurs travaux… L’urgence est telle qu’on comprend qu’il faut faire avancer la science », souligne le chercheur.

Dès les premiers patients infectés en France, les médecins ont mis en place une cohorte d’observation, étape indispensable à toute recherche. Et REACTing a pris contact avec des partenaires européens pour mettre en place un vaste essai clinique, Discovery, qui vient de démarrer sur 3200 patients dans sept pays. 

« C’est un exploit absolu d’avoir réussi à monter un protocole d’une telle ampleur en un temps record », selon le Pr Florence Ader, infectiologue au CHU de Lyon, qui pilote le projet. En général, le processus des essais cliniques prend des mois, voire des années. « Discovery a été déposé avec une pression de réponse scientifique extrêmement forte, car la vague arrive. Et ce tout en gardant les standards de la recherche clinique », abonde auprès de l’AFP un médecin hospitalier en région parisienne, sous couvert d’anonymat.

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Dans cette image transmise le 27 février 2020 par les Instituts nationaux de santé à Washington, des virus SARS-CoV-2 (les boules bleues), qui causent la maladie du Covid-19, émergent de cellules cultivées en laboratoire © National Institutes of Health/AFP Handout

Mais plusieurs chercheurs à travers le monde ont dénoncé « le temps perdu » depuis le SRAS en 2003, avec une recherche sous-financée sur les nouveaux coronavirus, générant un manque d’assiduité qui nous prive, peut-être, d’un médicament efficace. « Trop souvent, l’attention accrue envers la recherche et l’investissement générée par une nouvelle épidémie décline rapidement une fois que celle-ci se calme », souligne aussi Jason Schwartz, de l’Ecole de santé publique de l’université de Yale. Ces chercheurs espèrent que la crise actuelle servira de leçon.

Effet pervers

Autre bouleversement : l’explosion des publications scientifiques. La revue Nature a recensé pas moins de 900 articles et pré-publications à l’échelle mondiale sur le SARS-CoV-2, entre février et mars. Et les-prépublications médicales sont mise en ligne plus tôt, avec de plus en plus d’articles en accès gratuit.

L’Unesco a réuni (virtuellement) la semaine dernière 73 ministres de la science à travers le monde, les appelant à intégrer la « science ouverte » dans leurs dispositifs de recherche, pour un « meilleur partage des connaissances ». 

Mais cette démocratisation, « globalement bénéfique à la société civile, peut aussi avoir un effet pervers lorsque certaines études préliminaires sont trop vite médiatisées » comme l’illustre par exemple le débat sur la chloroquine, relève Josselin Thuilliez, chercheur au CNRS en économie de la santé. « Cela peut générer des comportements irrationnels liés à une nouvelle étude sous l’égide de la science, mais qui n’est pas encore totalement validée par tout le processus scientifique », met en garde l’économiste.