Les femmes sont XX et les hommes XY, une phrase qu'on a tous entendue, on parle ici des chromosomes sexuels. Mais saviez-vous que chez la femme, l'un des deux chromosomes ne s'exprime pas, il est en quelque sorte éteint.
- Chez les femmes, on a deux X, mais en fait, un seul X pourrait faire l'affaire. On est femelle avec un seul X.
C'est surprenant non ? Et plus surprenant encore, cette inactivation pourrait expliquer certaines différences entre les hommes et les femmes face aux maladies. On a rencontré deux spécialistes pour en parler. On vous explique ce mystérieux phénomène qu'on appelle l'inactivation du chromosome X. Avant de parler des chromosomes sexuels, un petit rappel sur l'ensemble des chromosomes humains. Promis, ce sera rapide, mais assez pour comprendre la suite. Dans chacune de nos cellules, on a 46 chromosomes. Plus exactement, 23 paires de chromosomes. Une moitié est héritée de notre père, l'autre moitié de notre mère. La 23e paire de ces chromosomes est celle des chromosomes sexuels. Et c'est à partir de là que se joue la différenciation entre organes génitaux masculins et féminins. Le chromosome Y transporte un gène clé, le SRY, qui déclenche le développement vers des organes génitaux mâles. En absence de chromosome Y, le développement suit naturellement la voie féminine. Au passage, on a tous l'image des chromosomes en forme de croix, comme sur des karyotypes. Mais ces photos montrent les chromosomes juste avant la division, quand la cellule a doublé sa quantité d'ADN. En réalité, la majorité du temps, un chromosome n'a qu'un seul bras. Et donc, les chromosomes sexuels ressemblent plutôt... à ça ! Vous l'avez remarqué, le chromosome Y est minuscule par rapport au chromosome X.
- Donc il y a une sorte de dégénération du chromosome Y. Chez certaines espèces comme nous... le Y est assez petit, il n'a qu'une centaine de gènes, alors que le chromosome X est très grand, avec plus de 1 000 gènes. On a donc un déséquilibre du nombre de gènes entre hommes et femmes au niveau des chromosomes sexuels. Et ces gènes en plus, c'est potentiellement un souci chez la femme, car l'expression de gènes en excès peut s'avérer toxique pour l'organisme. C'est ce qui explique qu'un de ces deux chromosomes X soit systématiquement inactivé.
- Une double dose de la plupart des gènes sur le chromosome X est un problème pour la cellule ou pour l'embryon. C'est pour ça que chez les mammifères, en tout cas chez nous, l'inactivation d'un des deux X a évolué comme processus de compensation de doses. Un processus qui arrive très tôt pendant le développement embryonnaire. Et toutes nos cellules n'inactivent pas le même X. Environ la moitié éteignent le chromosome X hérité de la mère, l'autre moitié le chromosome X hérité du père. Et cette inactivation est conservée à chaque division cellulaire, toute la vie. Résultat, chaque femme est une véritable mosaïque génétique. Et c'est ce qu'il se passe chez quasiment tous les mammifères. Le chacalico est le meilleur exemple de ce mosaïcisme, car presque tous les chats tricolores que vous croiserez sont en réalité des chattes. Leurs taches sont déterminées par un gène présent sur le chromosome X. Les mâles ne présentent qu'une seule couleur de pelage. Alors soyons clairs, cette inactivation n'est pas une mutation. La séquence de l'ADN du chromosome X ne change pas, mais son état de compaction évolue. Lors de l'inactivation, le chromosome X se roule en boule, il se recroqueville sur lui-même et ne peut plus être lu par les machineries cellulaires qui produisent les protéines. C'est ce qu'on appelle un phénomène épigénétique. Et concernant les maladies liées au chromosome X, c'est-à-dire avec des défauts le long du chromosome X, ce mécanisme d'inactivation donne clairement un avantage aux femmes.
- Un homme, s'il reçoit un chromosome X muté, il va de fait être malade, alors qu'une femme, elle aura toujours cette possibilité, en tout cas ses cellules auront toujours la possibilité d'inactiver le chromosome X porteur de la maladie. Donc ce mosaïcisme dans quel chromosome X reste actif ou est inactivé donne un avantage aux femmes. C'est le cas pour l'hémophilie ou la dystrophie de Duchene, deux maladies liées à l'X. Chez la femme, le X sain compense souvent le X porteur de la maladie. Les effets de la maladie sont généralement moins importants chez elle. Mais en réalité, c'est un peu plus compliqué. Car certains gènes du chromosome X inactivés, donc des gènes qui normalement ne devraient pas s'exprimer, s'expriment quand même. On dit qu'ils échappent à l'inactivation. Et ils se retrouvent donc présents en double exemplaire. - Jusqu'à 25 % ou 30 % des gènes du X humain pourraient échapper. Pour le moment, on ne sait pas s'ils sont directement liés à une maladie. Dans la plupart des cas, on le sait pas.
- Nous nous intéressons aux maladies auto-immunes. Ce que nous étudions, c'est qu'il y a certains gènes qui échappent à l'inactivation et quand ils sont surexprimés, ils vont donner un avantage aux femmes parce qu'elles vont avoir une meilleure réponse immunitaire, mais le désavantage, la contrepartie, va être qu'elle vont développer plus de maladies auto-immunes. Parmi ces gènes qui échappent à l'inactivation, on retrouve les gènes TLR7 et TLR8. Ils codent des protéines capables de détecter des agents pathogènes comme des virus ou des bactéries. Mais quand ces gênes s'expriment trop, les protéines qu'ils produisent peuvent se retourner contre notre propre corps, déclenchant ainsi une réponse auto-immune. Pas étonnant donc qu'environ 8 personnes sur 10 atteintes de maladies auto-immunes, soient des femmes. Un phénomène clairement lié à la régulation du chromosome X.
- Nous avons des modèles de souris, il suffit de faire surexprimer TLR7 à une souris pour qu'elle induise la maladie auto-immune, pour qu'elle induise le lupus. Donc il y a quand même une forte présomption que l'échappement de TLR 7 à l'inactivation du X fasse partie des causes. Après ça peut ne pas être la seule cause. Parce qu'on sait aussi que ces maladies auto-immunes... Lupus systémique erythrémateux, sclérose en plaques, sclérodermie systémique, on sait qu'il y a un spectre de sévérité et un spectre de symptômes qui est très très large. Donc la surexpression de TLR7 et TLR8 n'est certainement pas la seule cause. Si un défaut d'inactivation du chromosome X peut influencer les maladies auto-immunes, il pourrait aussi jouer un rôle dans le cancer.
- L'échappement à l'inactivation du X peut affecter le cancer de manière nocive ou de manière protectrice. Et on en est là. Dans le domaine, il y a des recherches actives avec des modèles qui sont utilisés pour voir si avoir un peu plus d'expression d'un gène sous le X contribue au cancer ou protège du cancer. Bref, le nombre de chromosomes X que l'on porte a un impact direct sur notre santé. D'ailleurs, il n'existe pas que les combinaisons XX ou XY.
- La vaste majorité des femmes portent effectivement deux chromosomes X, alors que la vaste majorité des hommes portent un chromosome X et un Y. Mais il existe des hommes qui portent deux chromosomes X et un chromosome Y, donc XXY, c'est le syndrome Klinfelter, chez qui l'inactivation du X va se mettre en place comme chez les femmes XX. De même, chez les femmes qui portent trois chromosomes X - le syndrome du triple X - il va y avoir inactivation de deux des trois chromosomes X. Chez les femmes porteuses du syndrome de Turner, qui n'ont qu'un chromosome X, il n'y aura pas d'inactivation du X, comme chez les hommes XY. Donc bien se mettre en tête que l'inactivation du chromosome X est spécifique d'un nombre de chromosomes X.
Peut-on envisager des pistes thérapeutiques pour demain ? Même si ce n'est pas pour tout de suite, des chercheurs envisagent de pouvoir, un jour, choisir quels gènes pourraient s'exprimer à simple ou double dose.
- Dans le contexte notamment des maladies auto-immunes, on pourrait se dire que si on restabilise l'inactivation du X, donc si on empêche l'échappement de ces gènes TLR7 et TLR8 et des autres aussi, on va potentiellement vraiment diminuer les symptômes de ces maladies auto-immunes qui peuvent être très handicapants pour les femmes. En contrepartie, peut-être que ces femmes n'auront plus des défenses immunitaires aussi efficaces, mais après tout, elles auront une défense immunitaire comme les hommes et... ils s'en sortent !