Comment fonctionne l’écosystème de la forêt amazonienne de Guyane ? Est-il un puits de carbone ou au contraire est-il émetteur ? Qu’est-ce qui fait qu’un système capte et stocke du carbone ou au contraire en émet[VB1] ?
Isabelle Maréchaux est chercheuse en écologie. Aujourd’hui, elle travaille sur un nouveau projet pour mieux comprendre les flux de carbone dans la forêt guyanaise.
Isabelle Maréchaux
A l’heure du changement climatique, on se rend compte qu’on connait encore très mal le fonctionnement complexe de la forêt amazonienne : c’est ce qu’on appelle des « knowledge gaps ». Longtemps, on a dit que la forêt amazonienne était un puits de carbone, mais ce postulat est aujourd’hui remis en cause. Car cela dépend de nombreux paramètres. Pour répondre à ces questions et construire des modèles, on a besoin de connaissances sur le fonctionnement des arbres. On a des manques dans ces connaissances, donc il faut rassembler les pièces du puzzle.
La forêt amazonienne capte du CO2 grâce à la photosynthèse, mais elle en émet aussi, car comme nous, elle respire. Une forêt peut donc être une source de carbone ou bien un puits de carbone. Pour mesurer les flux de carbone, une immense tour de 55 mètres de haut a été installée sur une parcelle gérée par Ariane Mirabel, chercheuse au Cirad. D’en haut, on a une vue à 360 degrés sur la forêt guyanaise et la canopée.
Ariane Mirabel
Cette tour a été mise en place en 2003. On y a installé une station météo, un capteur de CO2. La forêt tropicale est un acteur majeur des cycles du carbone et de l’eau à l’échelle régionale et mondiale. Cette tour mesure en temps réel les échanges de carbone et d’eau entre l’écosystème et l’atmosphère. On constate que le taux de CO2 varie. Donc l’enjeu maintenant c’est de comprendre pourquoi ?
L’un des facteurs qui influence cette production de CO2, c’est la présence ou non de feuilles. Car elles font la photosynthèse : les feuilles absorbent du CO2 de l’atmosphère, de l’eau via les racines de la plante, et avec l’aide de l’énergie du soleil, la plante transforme le tout en glucides qui vont venir la nourrir.
Isabelle Maréchaux
Les feuilles perdent de l’eau par transpiration au travers de minuscules pores appelés stomates. Quand la plante ouvre ses stomates pour transpirer, en échange, elle permet au carbone d’être absorbé. Le fait que les stomates au niveau de la feuille soient ouverts, c’est la condition sine qua none pour que le carbone rentre dans la feuille. Mais en l’absence d’eau, en période de sécheresse par exemple, la plante ferme ses stomates pour empêcher l’eau de partir, et elle n’absorbe plus de CO2. La disponibilité en eau, c’est donc critique pour comprendre le cycle du carbone.
Quantifier la quantité d’eau disponible dans le sol est donc une des clefs pour mieux prévoir le cycle du carbone. Les scientifiques vont tester, pour la première fois, de nouvelles approches géophysiques. Bertille Loiseau, géophysicienne, est justement en train de parcourir la forêt avec, à la main, un intriguant instrument… en tenant au -dessus du sol une barre d’un mètre de long… (pas utile de l’écrire je pense on va le voir)
Bertille Loiseau
Cette technique, c’est l’induction électromagnétique. L’appareil envoie un champ électromagnétique dans le sol, ce qui génère un champ secondaire, et on va mesurer la propagation de ce champ secondaire. Si l’électricité circule bien, c’est parce que le sol a une importante teneur en eau. Cette méthode permet de voir l’hétérogénéité du sous-sol : à tel endroit, on a plus d’eau, à tel endroit, c’est plus sec. On a des données jusqu’à 2 mètres de profondeur.
Si cette technologie permet de cartographier rapidement de grands espaces, sa portée est limitée à deux mètres de profondeur. La géophysicienne utilise donc une méthode complémentaire, cette fois-ci en plantant des électrodes dans le sol.
Bertille Loiseau
Ce que je suis en train de tester, c’est la tomographie de résistivité électrique, qui mesure la résistivité du sol. On injecte un signal électrique dans le sol, et on voit si le sol laisse passer facilement l’électricité ou pas. Comme l’eau est conductrice, plus il y a d’eau, et plus l’électricité passe.
Cette deuxième technique est moins maniable que la première, car on ne peut pas circuler avec, les mesures sont limitées aux endroits où on a planté des électrodes. Mais ça permet de savoir ce qu’il y a dans le sol à des dizaines de mètres de profondeur, donc éventuellement de détecter des poches d’eau.
Les données récupérées sont étroitement liées au stress hydrique d’un arbre. C’est-à-dire s’il a soif ou pas. Pour le savoir avec davantage de précision, il faut examiner ses feuilles. Un cordiste est donc en train de grimper au sommet d’un arbre, à plus de 30 mètres de haut.
Isabelle Maréchaux
Il va installer des cordes reliées à des feuilles. Demain matin, à la première heure du jour, je vais tirer sur cette corde, ce qui va me permettre de récolter une feuille fraiche et d’en faire l’analyse. On va le faire à l’aube car c’est à ce moment-là que le stress hydrique des feuilles est le plus proche de celui des racines. Donc ça nous permet d’avoir une photographie générale de l’arbre et de son stress hydrique.
RDV est donc pris le lendemain, vers 6h du matin.
Le soleil se lève à peine, mais déjà les équipes sont opérationnelles. Isabelle Maréchaux effectue les premières analyses de la journée sur la feuille qu’elle vient de récupérer.
Isabelle Maréchaux
Je mets la feuille dans une chambre à pression : c’est un bloc hermétique dans lequel on fait augmenter la pression. Petit à petit, l’eau contenue dans la feuille ressort de la feuille. La pression à laquelle l’eau est expulsée correspond à la pression qui existe dans la feuille. Plus la pression est haute, plus la feuille a soif.
Avec le réchauffement climatique, les sécheresses sont de plus en plus fréquentes. Avec des impacts sur les arbres et leurs feuilles : quand un arbre est atteint par la sécheresse, les stomates de ses feuilles se ferment, puis il finit par perdre ses feuilles. Il cesse donc d’absorber du carbone.
Isabelle Maréchaux
Si on comprend pourquoi on a plus ou moins de feuilles à tel moment de l’année, en lien avec la réserve en eau dans le sol notamment, on va pouvoir mieux représenter ces processus-là dans les modèles qui servent à mieux comprendre le cycle du carbone. On va pouvoir réduire l’incertitude et avoir un pouvoir prédictif plus fort. Ces modèles permettront d’alimenter avec plus de justesse toutes les prédictions du GIEC.
Selon le Giec, les forêts tropicales stockent dans leur biomasse deux fois plus de carbone que les forêts tempérées. Mais ce cycle du carbone pourrait être bouleversé par le réchauffement climatique. Il est donc essentiel de mieux comprendre le rôle joué par la forêt tropicale dans le cycle du carbone. Et donc, son impact sur le climat général de la planète.
[VB1]je tenterais une attaque + percutante si c possible : "L'Amazonie est LE poumon de la planète, c'est bien connu... Vraiment ? Depuis plusieurs années (note pour nous : au moins 2021) l'Amazone, au lieu de capter du carbone, est devenue... émettrice de carbone, du moins à certaines périodes. Un constat fou que des chercheurs s'efforcent etc." C'est juste une proposition bien sûr !