Le Soleil, l'ingrédient indispensable à la vie sur Terre. Sa lumière et sa chaleur conviennent parfaitement à notre épanouissement. Mais jusqu'où peut-on s'en approcher ? Et que se passe-t-il si on essaie de le toucher ? En 2018 et 2020, deux sondes spatiales décollent en direction de notre étoile. D'un côté, Parker Solar Probe de la NASA et de l'autre, Solar Orbiter de l'Agence spatiale européenne. Munies de boucliers thermiques et d'une technologie de pointe, elles ont été conçues pour résister à l'environnement extrême du Soleil et pouvoir s'en approcher au plus près. Après un voyage de centaines de millions de kilomètres, l'une a battu le record de proximité à notre étoile. Et l'autre a pu capter, grâce à ses caméras, des détails de la surface solaire comme jamais on n'en avait vu. Leur mission est encore en cours, et voici le récit de leur aventure. À l'Observatoire de Paris, sur le site de Meudon, des astrophysiciens travaillent sur ces missions depuis de nombreuses années. Milan Maksimovic est l'un d'entre eux. Il est responsable scientifique d'instruments d'analyse d'ondes radio sur chacune des deux missions. Ces sondes nous ont fait penser à de courageux chevaliers qui s'approchent d'un dragon-Soleil. Nous lui avons donné deux figurines pour en parler et aussi nous aider à les différencier. - C'est sympa comme petits personnages. Je vois des boucliers, je vois NASA, je vois ESA, ça doit être les deux sondes stylisées. Parker Solar Probe, c'est une mission qu'on veut faire depuis les années 60. Les physiciens solaires rêvaient déjà d'une sonde qui allait explorer la couronne, pour se rapprocher le plus possible de la couronne. On savait que la mission était complexe. Solar Orbiter... L'idée était également de se rapprocher du Soleil, mais de faire de l'imagerie également. Si on se rapproche, on voit des détails plus petits dans la couronne solaire. C'est ce que fait Solar Orbiter. La sonde européenne s'approche et s'éloigne du Soleil selon une trajectoire elliptique. À son point le plus proche, elle se trouve à 42 millions de km, soit un tiers de la distance entre la Terre et le Soleil. Autre particularité, c'est l'une des premières sondes à sortir du plan de l'écliptique, ce plan virtuel qui contient l'orbite de la Terre, et ce afin de photographier les pôles du Soleil. Assemblée par Airbus en Angleterre, elle possède des ouvertures sur son bouclier thermique. Ces instruments peuvent ainsi viser directement le Soleil pour fournir des images spectaculaires dans l'UV et les rayons X. - La première fois qu'on a vu ces images, ça a été extraordinaire. On a une très bonne résolution et les détails les plus faibles qu'on voit atteignent une centaine de kilomètres. Ces images sont des images en UV, plus c'est brillant, plus c'est chaud et dense. C'est la manifestation de l'activité du champ magnétique. Donc là, on voit une grande boucle magnétique, en réalité, les boucles magnétiques qu'on voyait sur les missions précédentes. Et puis tout à coup, il y a une reconfiguration du champ qui fait qu'un embrillancement se produit. Sur ces images, Solar Orbiter a révélé une activité minuscule mais foisonnante. De véritables feux de camp solaires crépitent partout à la surface de notre étoile. - On se rend compte que l'activité solaire existe aussi à toute petite échelle. Si je prends une analogie, les grosses éruptions solaires, c'est comme un gros feu de cheminée. Et les petits feux de camp, c'est comme des petites allumettes qu'on allumerait dans la maison un peu partout. Et en permanence, il y en a qui sont allumées, qui brûlent, qui s'éteignent, etc. Ça permet de chauffer toute la maison et éventuellement de chauffer la couronne solaire. Une des grandes énigmes, c'est qu'est-ce qui chauffe cette fameuse couronne solaire ? Pour comprendre ce qu'il s'y passe, il faut donc s'approcher dangereusement de la couronne solaire. Cette immense atmosphère qui entoure le Soleil se compose de gaz qui peuvent atteindre des millions de degrés. Une température inouïe que les spécialistes ne comprennent toujours pas, car la surface du Soleil n'est qu'à 5 500 °C. La mission de Parker Solar Probe est donc de sonder la couronne au plus près, en s'approchant à seulement 4 % de la distance entre la Terre et le Soleil. Parker Solar Probe a une orbite très elliptique. Et le 24 décembre 2024, elle a battu le record de proximité au Soleil, en passant à seulement 6,9 millions de km de celui-ci, à la vitesse astronomique de 692 000 km/h, devenant ainsi l'objet fabriqué sur Terre le plus rapide de l'histoire. À cette distance, le flux solaire reçu par la sonde atteint 700 000 watts par mètre carré, c'est 700 fois plus que sur Terre, mais comment est-ce possible de résister à une telle énergie ? Pour le savoir, direction les Pyrénées où la NASA a fait une partie des tests du bouclier thermique de la sonde Parker dans les laboratoires d'énergie solaire du CNRS. On est au grand four solaire d'Odeillo, au laboratoire PROMES, et on a derrière moi ces grands miroirs, qui sont des miroirs plats, qu'on appelle héliostats, et qui, tout au long de la journée, vont suivre le soleil pour aller renvoyer les rayons au niveau de cette grande parabole qui est là-bas. Son rôle va être de concentrer la lumière du soleil au niveau de la tour, où on va pouvoir atteindre des températures qui vont aller jusqu'à 3 000 degrés et une concentration de 10 000 soleils. Direction le foyer de la parabole principale. Jean-Louis Sans est l'ingénieur de recherche en charge du dispositif. Nous avons ici la chambre dans laquelle se trouve l'échantillon à tester. En dessous, on a une pompe turbomoléculaire qui va générer un vide s'approchant du vide spatial. En simulant un vide spatial et un rayonnement solaire des milliers de fois plus intense, les matériaux ont été testés jusqu'à une température de 1 900 degrés. Le but n'était pas de fondre ces matériaux, mais plutôt d'étudier un moyen pour qu'ils restent le plus froid possible. Le matériau retenu pour le bouclier est donc un composite de carbone avec une structure alvéolée, une sorte de mousse de 15 cm d'épaisseur ultra résistante à la chaleur. Sur la face exposée au soleil, une fine couche de céramique blanche a été ajoutée. Grâce à cette prouesse technologique, s'approcher au plus près du soleil est devenu enfin possible. La température du bouclier passe ainsi de 1 400 °C à l'extérieur à seulement 300 °C derrière celui-ci. Puis chute à une trentaine de degrés au niveau des instruments. Mais pourquoi dit-on alors que la couronne est à des millions de degrés ? On dit des millions de degrés, parce qu'en fait, on va mesurer l'état d'énergie du vent solaire composé principalement de protons. Ces protons vont être à des niveaux d'énergie très élevés. C'est justement en étudiant le spectre d'émission de ces protons qu'on va déterminer leur température. Sur notre installation, nous avions installé un canon à ions qui est un générateur de protons aux mêmes énergies que le proton qui circule dans l'espace. Malgré leur incroyable énergie, les particules du vent solaire ne sont pas très denses, puisqu'on est dans un environnement proche du vide spatial. Lors de son passage dans la couronne, la sonde capte les particules à l'aide de ses instruments situés derrière le bouclier, mais aussi devant celui-ci, comme cette cage de Faraday exposée directement au vent solaire. Les chercheurs ont ainsi identifié des zones où le champ magnétique du soleil s'inverse localement. Une des grandes découvertes de Parker Solar Probe, c'est montrer que les lignes de champ du champ magnétique n'étaient pas parfaitement lisses mais présentaient des accidents, des switchbacks, des retournements de champs magnétiques. Ce phénomène révèle donc la présence d'un surplus d'énergie dans la couronne. L'analogie qu'on peut faire, c'est celle d'une corde. Si vous en prenez une, et si à un moment donné, de mon côté, je donne un petit coup, on va avoir une onde solitaire qui va se promener. Ces déformations, les personnes pensent que ça peut être une manifestation du chauffage par onde qui ensuite se propage dans le plasma pour chauffer le vent solaire et l'accélérer. C'est une des explications. Une hypothèse de leur origine se trouve à la surface du soleil. Ici, des cellules de convection sont visibles. Le plasma chaud monte puis se refroidit et redescend. Cette circulation crée des tunnels d'énergie magnétique qui formeraient les switchbacks. D'autre part, avec ces caméras latérales, la sonde a pu voir le vent solaire. En observant les côtés, on voit le plasma qui est émis dans toutes les directions. Et en particulier, les éjections de masse coronale. Celle-ci naît souvent au-dessus des taches, dans des zones sombres où le champ magnétique du soleil se tord et finit par exploser dans l'espace. Ces taches solaires, ça correspond à des concentrations de champs magnétiques à la surface du soleil, donc il y a souvent des paires de taches, et il faut voir ça comme les deux pôles d'un aimant. En fait, les lignes de champs magnétiques se referment. Plus le nombre de taches est élevé et plus le soleil est actif. Tous les 11 ans, cette activité atteint son maximum. À l'observatoire de Meudon, on mesure les taches solaires depuis plus de 100 ans. Cette plaque date de 1894, elle a été faite par Jules Janssen pour l'exposition universelle de 1900. Et là on voit très très bien les taches avec l'ombre très noire, la pénombre autour et la granulation solaire tout autour. Aujourd'hui, l'instrument a été modernisé avec des moteurs et des automatismes. Une caméra numérique a remplacé les plaques photographiques. Le soleil défile devant la fente d'entrée, on voit le spectre qui défile, l'image en direct. Isabelle a numérisé des centaines de plaques anciennes pour reconstituer l'activité solaire depuis le début du siècle. Voici quatre posters qui représentent tous les cycles solaires. Donc 117 ans d'observation solaire. Donc ça commence en 1908. On voit un minimum d'activités, un minimum. Première Guerre mondiale, arrêt des observations solaires. Ça a repris en mars 1919. Là on voit que c'était un maximum d'activités, beaucoup d'activités sur le soleil. Mais alors, d'où vient ce cycle solaire ? Au moment du minimum d'activité solaire, quand il n'y a pas beaucoup de taches à la surface du soleil, on peut imaginer que le champ magnétique du soleil est un peu comme un dipôle, un peu le champ de la Terre. Et au fur et à mesure que l'activité augmente, le champ a une configuration beaucoup plus compliquée qu'un simple dipôle, avec une configuration qu'on appelle quadrupolaire, liée à l'apparition des taches. Actuellement, le soleil atteint son pic d'activité. En 2024 et 2025, les éruptions solaires ont fait apparaître de magnifiques aurores boréales, visibles même depuis la France. Mais elles peuvent aussi générer des perturbations plus importantes, comme en novembre 2015 où la navigation aérienne suédoise a dû être arrêtée pendant deux heures. Les avions disparaissaient des écrans de contrôle aérien, et les aéroports de Stockholm et de Malmö ont dû être fermés. Un soleil couchant et trop actif se trouvait dans le cône de réception des radars et brouillait leur signal. Pour se prémunir des colères du soleil, les scientifiques le surveillent au quotidien et tentent même de prévoir ces éruptions. On appelle ça la météo de l'espace. C'est pas évident de prévoir une éruption solaire. Je dirais qu'en météorologie de l'espace on est un petit peu à la météo des années 60. Donc on a encore beaucoup de progrès à faire. Cependant, lors d'une éruption, une partie du signal voyage à la vitesse de la lumière, et nous parvient donc en 8 minutes, tandis que la matière de l'éjection est plus lente. En fonction de la vitesse de ces bulles, ça peut aller de 400 km/s jusqu'à 2 000 km/s. Ça va mettre de 2 à 4 jours pour aller du soleil à la Terre. Donc là effectivement, c'est cela qui permet, par exemple, de prévoir si on va avoir des aurores plus intenses que d'autres à certains moments. Les sondes Parker et Solar Orbiter ont aussi des oreilles pour écouter le soleil, car il émet des ondes radio. C'est le travail de Xavier Bonin, en charge des données de l'instrument d'analyse d'ondes radio de Solar Orbiter, qui s'appelle RPW pour Radio and Plasma Waves. Sur cette maquette, on voit trois antennes radio qui sont les récepteurs de RPW. Donc on va pouvoir voir toutes ces éruptions solaires en ondes radio. La boîte centrale électronique qui permet de faire les mesures récepteur et de traiter le signal, c'est à l'intérieur et protégé à l'intérieur, parce que le spatial dans l'espace est assez agressif. Et voici à quoi ressemblent les ondes radio du soleil transposées en sons. Ce qu'on voit ici, c'est un sursaut de type 3. Ça fait un peu des virgules, les types 3. Toutes ces petites virgules qu'on voit, plus ou moins grosses, plus ou moins hautes. C'est de la puissance radio. Donc on va, en fonction du temps, étudier la puissance d'un signal radio. On a eu un type 3, un des plus intenses qu'on a observés avec Solar Orbiter et depuis le début des mesures. Ces sursauts de type 3 apparaissent lors des éruptions solaires et témoignent du passage de particules. Et en fait, ce que ça dit surtout pour nous, c'est qu'il y a eu des particules qui ont été éjectées. Le soleil, c'est comme un poste de radio, mais aussi c'est un excellent accélérateur de particules. Parfois, les électrons vont passer à côté, on ne les verra pas arriver à la sonde. On ne va pas mesurer ces électrons, qui sont des particules, de la matière, mais on va quand même voir les ondes radio. Donc on va caractériser ces électrons, mais à distance. La fréquence des ondes reçues change avec le temps au fur et à mesure que les particules traversent le plasma du vent solaire. Ces particules vont beaucoup plus vite que les autres, elles vont passer à travers, "Poussez-vous que je m'y mette", elles vont gêner les autres particules qui vont réagir. Et donc, à partir de l'étude des sursauts radiosolaires de type 3, on va pouvoir remonter à la densité du milieu. Donc on a des informations très intéressantes. Solar Orbiter devrait continuer sa mission pendant encore 5 ans, en poursuivant son étude des pôles, et en augmentant jusqu'à 33 ° son inclinaison par rapport au plan de l'écliptique. Parker Solar Probe va bientôt atteindre la durée de sa mission qui était de 7 ans, mais la NASA pourrait la prolonger pour attendre le minimum d'activité solaire en 2029. Mieux comprendre notre soleil sera essentiel pour préparer les prochaines missions humaines vers la Lune et vers Mars, car les astronautes s'éloigneront complètement du bouclier magnétique terrestre. Se protéger des colères du soleil sera alors indispensable à leur réussite.