Peut-il y avoir d’autres formes de vie dans notre Système solaire ? C'est à cette question que doit répondre Juice, une sonde européenne, en partance pour Jupiter et ses satellites. Jupiter, la plus grosse planète de notre Système solaire, compte pas moins de 90 lunes. Ses principales, Europe, Callisto, Io et Ganymède sont connues depuis 1610, depuis leur découverte par Galilée. Et ce sont ces Lunes que la sonde européenne Juice – Jupiter Icy Moons Explorer – va étudier, en particulier Ganymède, dont on sait qu’elle abrite un océan d’eau liquide, caché sous une croûte de glace. Objectif : chercher des preuves de son habitabilité. Mais quelles sont les conditions à remplir pour être habitable ? Nous avons posé la question à Carole Larigauderie, de l’agence spatiale française et Athena Coustenis, planétologue et membre du comité scientifique de la mission.
- Ces quatre conditions sont : une stabilité du système ; on sait que ces lunes galiléennes qui ont été découvertes par Galilée n’ont pas évolué tant que ça depuis. C’est un système qui n’évolue pas en permanence, c’est quelque chose qui est relativement prédictible.
- Ensuite, on a besoin d'eau liquide, c’est ce qui constitue la majorité de notre corps. On a un océan d'eau liquide dans le cas de Ganymède, piégé entre deux couches de glace. Ganymède présente aussi la caractéristique unique d’être le seul satellite dans notre Système solaire, et un des trois objets dans notre Système solaire, à posséder un champ magnétique. Ce champ magnétique est une des indications qui nous permettent de supposer qu’il y a effectivement un océan d’eau liquide sous la surface de Ganymède. Mais il présente aussi l’intérêt de protéger le satellite, comme le champ magnétique protège l’atmosphère terrestre qui pourrait être soumise à tout ce qui pourrait venir de notre Soleil. Troisième condition pour être habitable : la présence d’éléments chimiques qui constituent le vivant, comme le carbone, l’hydrogène ou l’azote. Et la quatrième : de l’énergie ! - Si on n’a pas l’énergie, on ne peut pas maintenir le métabolisme, on ne peut pas donner de la chaleur dont ont besoin les organismes vivants.
- Si Jupiter ne manque pas d’une chose, c’est bien de l’énergie. Elle a une capacité d’attraction sur ses lunes. Ces forces qui s’exercent empêchent les lunes d’être complètement glacées. Pour remplir sa mission, la sonde est équipée de 10 instruments, développés par des laboratoires européens, japonais et américains. Ils collecteront des données sur l’atmosphère et la magnétosphère de la planète géante gazeuse. Mais ce sont aussi ses satellites, ses lunes, qui intéressent les scientifiques.
- Juice a la caractéristique, unique pour le moment, d’être destinée à se mettre en orbite autour d’un satellite de notre Système solaire. Pour la mission JUICE, nous avons réfléchi pendant très longtemps sur la charge utile qu’on allait mettre à bord : comment on peut combiner tous ces instruments pour que l’association de différentes mesures puissent nous permettre d’avoir la composition, la profondeur et l’endroit où se trouve l’océan à l’intérieur de Ganymède. Mais la route est longue jusqu’à Jupiter… La planète n’est "qu’à" 600 millions de km de la Terre, mais Juice n’y va pas en ligne droite ! Elle va parcourir 2 milliards de km, pendant 8 ans, dans le but d’utiliser l’assistance gravitationnelle, c’est-à-dire l’attraction des autres planètes, la Terre et Vénus, pour se propulser. Et ce long voyage dans le Système solaire, et puis à terme le voisinage de Jupiter, représentent pour Juice des conditions extrêmes. À commencer par les écarts de température : entre le voisinage de Vénus, + 230 degrés et les - 180 degrés aux abords de Jupiter… Les ingénieurs d’Airbus Defense and Space, l’entreprise qui a construit et assemblé le satellite, nous expliquent les solutions développées pour éviter le choc thermique.
- Juice sera tournée vers le Soleil, toujours dans la même direction. La face avec la grande antenne à haut gain protège le satellite du flux solaire important à Vénus. On a aussi des matelas de protection qui entourent toute la sonde pour ne pas consommer trop de puissance de réchauffage pour réchauffer les équipements à l’intérieur du satellite. Autres enjeux : l’énergie, et la propreté électromagnétique de la sonde. Elle a été testée ici, dans cette chambre anéchoïque où les ondes électromagnétiques sont absorbées par les parois. Elles disparaissent comme dans le vide spatial…
- Nous sommes venus ici pour vérifier qu’effectivement la sonde n’émet pas ou très peu de champ électromagnétique qui puisse perturber les instruments que l’on emmène à Jupiter et qui vont devoir mesurer des niveaux de champ électrique ou magnétique de très faible amplitude, qui sont induits par l’environnement dans lequel on se trouve et en particulier les océans dont la communauté scientifique pense qu’ils se trouvent sous la surface glacée des lunes de Jupiter.
- Le challenge pour les équipes qui ont développé ces instruments était de respecter deux choses : d’être léger et d’être peu consommateur en énergie.
- Il faut savoir que si vous déposez 1m2 de panneaux solaires dans votre jardin ici sur la Terre, il reçoit en permanence 1400 Watts de puissance par unité de surface, par mètre carré ; vous mettez le même mètre carré de panneaux solaires à Jupiter, il ne reçoit que 50 Watts. Donc on utilise des cellules solaires de dernière génération pour nos applications spatiales qui permettent d’être très efficace dans la conversion d’énergie reçue du Soleil. Avec nos 85 mètres carrés de panneaux solaires, on va générer entre 1000 Watts de puissance en « début de vie », c’est-à-dire quand on arrive à Jupiter, et en fin de vie, cette puissance générée va tomber à environ 800 Watts. Avec ça, on arrive à faire fonctionner l’ensemble de la sonde et de ses instruments. Juice doit arriver dans la banlieue de Jupiter en 2031. Commencera alors véritablement sa mission. Et si l’habitabilité était prouvée, d’autres missions pourraient prendre la suite, comme un sismomètre qu’on enverrait sur Ganymède… Mais on n’en est pas encore là, les scientifiques vont devoir patienter encore un peu…
- L’exploration spatiale ne va pas s’arrêter ; l’humanité essaie de répondre à la question « est-ce qu’on est seuls dans le Système solaire, est-ce qu’on est seuls dans l’Univers ? » depuis très longtemps. Mais je pense que l’on n’a pas fini d’explorer le Système solaire à la recherche de conditions d’habitabilité et d’organismes vivants, ailleurs que sur Terre.