James Webb, premier bilan
Depuis sa mise en service officielle à l’été 2022, les premiers pas du Télescope Spatial James Webb (JWST) ont été un sans-faute. Des centaines d’heures d’observations ont été réalisées et des dizaines d’images fabuleuses, présentées. Parmi les objectifs : évaluer l’habitabilité des planètes extérieures à notre système solaire. En d’autres mots, découvrir s’il y a de la vie ailleurs que sur Terre !
Réalisation : Sébastien Avila
Production : Universcience
Année de production : 2023
Durée : 14min37
Accessibilité : sous-titres français
James Webb, premier bilan
Depuis décembre 2021, le télescope James Webb est dans l'espace. Et il n'a cessé de nous étonner avec ses images spectaculaires. Des images très intéressantes pour les astrophysiciens qui ont participé à sa fabrication. Rencontre avec les experts français du James Webb, un an après son lancement. Nous sommes au commissariat à l'énergie atomique au plateau de Saclay. Ici, depuis plus de 50 ans, les chercheurs participent à la fabrication d'instruments envoyés dans l'Espace. Et plus particulièrement, à l'un des quatre capteurs infrarouges du James Webb appelé MIRI. Sur cette photo, on voit MIRIM, l'imageur de MIRI. La lumière arrive du télescope, rentre ici, est réfléchie par un premier miroir, va sur un deuxième miroir. La lumière passe à travers la roue à filtre, puis il y a trois miroirs qui font l'image sur le détecteur qui est situé ici. Dès le départ, on a été parmi les quelques astrophysiciens à défendre le besoin d'un tel instrument sur le JWST. Ça marche mieux que dans nos rêves, tellement ça marche très bien ! Entre 2004 et 2009, les ingénieurs du CEA ont construit et testé cet instrument qui fut l'un des premiers à avoir été livré à la NASA en 2012. Soit presque 10 ans avant le lancement du James Webb. Si les trois autres instruments voient dans le proche infrarouge, MIRI peut voir dans l'infrarouge moyen, appelé également "infrarouge thermique". Petite démonstration avec cette caméra. L'infrarouge permet de voir un univers qu'on ne voit pas avec la lumière visible. Si je mets ma main dans ce sac plastique, on se dit qu'on ne va plus rien voir. Mais si, la main est toujours là, toujours visible. Grâce à MIRI, on aperçoit clairement les deux étoiles du système binaire de la nébuleuse planétaire de l'anneau austral. La construction de cet instrument a permis au CEA d'obtenir du temps d'utilisation du télescope garanti. Ils évitent ainsi de passer par un comité de sélection pour leurs premières observations. Avoir du temps d'observation avec le JWST, c'est très compétitif. Il y a beaucoup plus de demandes que de possibilités d'observation. Quand on a construit un instrument, on a ce qu'on appelle "du temps garanti". On est donc sûr de pouvoir observer. Pour MIRI, au niveau du consortium européen, on avait 450 heures, et sur ces 450 heures, je coordonne un des programmes destinés à la caractérisation des atmosphères d'exoplanètes. Sous la tutelle de Pierre-Olivier Lagage, Achrène Dyrek réalise actuellement sa thèse de doctorat en étudiant les exoplanètes avec l'instrument MIRI. Avant de recevoir les premières données, elle a dû les simuler dans ce laboratoire. Alors, là, ce qu'on voit, c'est le cryostat de test de l'instrument MIRI du James Webb. C'est une grosse cuve dans laquelle on va placer l'instrument et on va venir faire un vide très poussé d'environ 10 puissance moins 7 millibars, donc qui ressemble au vide spatial. Et une fois qu'on a fait le vide, on vient baisser la température jusqu'à 7 kelvins, qui est la température de fonctionnement de l'instrument MIRI. Pour atteindre cette température dans l'espace, MIRI doit être refroidi par un système cryogénique développé par la NASA. Activé 87 jours après le lancement, il maintient le capteur à - 266°C, contre - 235°C pour les autres instruments. Au laboratoire, les tests ont permis de vérifier la stabilité de MIRI dans le temps. Un élément critique lors de l'observation des spectres d'exoplanètes. L'image qui est formée dans le cadre de la spectroscopie, quand on veut décomposer la lumière, c'est celle-là. Donc on a dans cette direction-là, la lumière qui est décomposée. Et dans ce spectre, qu'on ne voit pas tout de suite et qu'il va falloir travailler, on a des bandes d'absorption de molécules d'atmosphères d'exoplanètes qu'on va pouvoir révéler. Cela nous donnerait un indice sur la formation de ces exoplanètes, là où elles sont situées par rapport à leur étoile. Et toutes ces choses-là sont pour nous très intéressantes. Ce n'est pas aussi beau qu'une image de galaxie ou de supernova, mais pour nous, ce spectre est une mine d'informations. Et c'est le système Trappist-1, le premier à avoir été observé par le James Webb pour le CEA. Ce système composé de 7 planètes en possède 3 qui seraient susceptibles d'avoir de l'eau à l'état liquide. Ce qui en font des candidates pour héberger peut-être une forme de vie. Elsa Ducrot est experte en exoplanètes. Dans les images de MIRI qu'elle a reçues, il n'y a que l'étoile qui est pourtant visible. Les planètes qui gravitent autour se manifestent par d'infimes variations de la lumière, ce qu'on appelle le "flux optique". Alors, du coup, là on a une image qui a été prise par MIRI. Et nous, on a mis : Trappist-1 est là. C'est la petite étoile dans le champ ici. Donc, là, je zoome et je me décale là où est Trappist-1. Voilà. Ça, c'est Trappist-1 et les planètes sont collées là. Ça c'est un pixel mort et le reste, c'est du bruit de fond. Voilà, c'est juste ça qu'on prend. On regarde le flux en fonction du temps et on obtient des courbes de lumière. Ce sont ces courbes où on voit que c'est tout plat et d'un coup, ça fait un U, en cas de transit ou d'éclipse. Les 7 planètes autour de Trappist-1 ont pu ainsi être détectées. Leurs orbites sont désormais bien connues. La plus proche effectue un tour complet de l'étoile en seulement 1,5 jour terrestre. Et la plus lointaine, en seulement 18,7 jours. Ces planètes sont en résonance orbitale. En attribuant une note musicale à chaque planète, lorsqu'elle passe devant l'étoile, il est possible d'écouter l'harmonie du système Trappist-1. Pour ses observations, Elsa a calculé exactement ces périodes. Elle s'intéresse tout particulièrement à mesurer l'atmosphère de la planète la plus proche de l'étoile Trappist-1b. On a eu nos premières observations de Trappist-1 avec MIRI à l'automne 2022. On a un programme où on va observer 5 éclipes de Trappist-1b. Prenons des billes, ça sera plus simple. On n'a pas d'étoile similaire à Trappist-1. Elle doit être rouge pour que ça marche. Donc on regarde celle-ci. Et au lieu de faire la technique de base qui est de regarder le transit... Le transit, c'est quand depuis votre point de vue d'observateur, b passe devant l'étoile et vient cacher un peu de flux. Donc le transit, c'est facile. Puis on s'intéresse au côté éclipse, quand elle est derrière. Juste avant qu'elle passe derrière, elle nous montre sa face "jour", où elle envoie le plus de lumière, où elle en réfléchit le plus. Quand elle va passer derrière, si elle est assez chaude, on va revoir un tout petit U, notre flux va descendre. La profondeur de cette petite extinction va nous donner la température de la face "jour" de la planète. Si on arrive à regarder dans deux longueurs d'onde différentes, ça peut indiquer la présence d'une atmosphère et ça, c'est super intéressant, car on peut avoir un résultat et savoir s'il y a une atmosphère encore plus rapidement que les gens accumulant les transits. Pour prendre des mesures précises, les images brutes doivent être nettoyées. Pixels défectueux, rayons cosmiques, bruits de fond, autant de parasites indésirables qu'il a fallu apprendre à éliminer pour rendre les images exploitables par les scientifiques. Et pour les diffuser auprès du grand public. Christophe Cossu était chargé de s'occuper de MIRI à Baltimore où se trouve le centre de contrôle du télescope. Pendant près de 6 mois, des experts de tous les pays ayant participé aux instruments ont testé et calibré chaque système du télescope, avant de le livrer aux chercheurs. Le chiffre le plus incroyable que j'ai fait c'était le chiffre de la première image du MIRI. C'est la première fois qu'on observait le ciel avec l'outil, donc on voit que ça progresse, on n'a pas les données, car elles doivent être envoyées au sol. Une fois que c'est fini, on sait que ça a marché. Mais on ne sait pas encore ce qu'il y a. Là, ce que j'ai mis sur l'écran, la partie de gauche, c'est la toute première image qu'on a vue, on s'est tous agglutinés sur l'écran. En fait, on a des rayons cosmiques partout dans l'espace. Au sol, on est protégé par l'atmosphère. Mais ce n'est pas le cas dans l'espace. Le télescope est bombardé sans cesse de rayons cosmiques, et surtout les détecteurs. Tout le but des traitements de données, c'est de supprimer ces défauts pour avoir une image scientifique où on a que la partie importante. Tout le monde voulait voir, donc les gens des autres sous-systèmes sont venus. Tout le monde a vite su que j'avais l'image sur l'écran. C'est l'image la plus marquante pour moi. Je l'ai vécu de l'intérieur. Et cette image n'a pas été publiée. Les premières images du MIRI, ce sont d'autres images prévues pour et qui parlent au grand public. Des choses connues, notamment de Hubble. Mais celle-là n'a jamais été montrée. Dès les premières images de calibration et d'alignement des miroirs, James Webb dépasse toutes les attentes. Le télescope est si sensible et précis que dans chaque image apparaissent des galaxies lointaines. Pour les spécialistes de l'évolution de l'Univers, c'est toute une nouvelle science qui s'offre à eux. Voici une image d'un champ du ciel qu'on pouvait regarder avec Spitzer il y a une dizaine d'années. On voit des galaxies, ce sont des galaxies lointaines. Et on va ouvrir les yeux du James Webb. On peut passer d'une science d'appel de blob de quelques dizaines de galaxies ici à une étude fine de milliers de galaxies dans la même image où on peut observer leur morphologie. On peut voir que là, il y a deux galaxies et qu'il y a une spirale. On voit que plein de galaxies ont ces morphologies, ce qui nous informe sur leur histoire de formation d'étoile. Est-ce qu'elles ont beaucoup de fusions de galaxies ou non et on sait tout de suite qu'on va pouvoir comparer cela avec les simulations et voir si celles-ci prédisent qu'il y ait autant de galaxies spirales très lointaines. Mais comment connaître la distance de ces galaxies ? Et quel est le record de distance actuel ? Pour ce faire, les astrophysiciens font appel à l'absorption de la lumière, lorsqu'elle traverse les molécules d'hydrogène présentes dans l'espace intergalactique. Cet effet est connu sous le nom de la discontinuité de Lyman. Explications. On sait qu'on a un endroit dans le spectre d'émission des galaxies où on a plus de photon du côté gauche et on en a plein dans la partie droite. Et avec l'expansion de l'Univers, ce spectre se décale vers le rouge. Et plus une galaxie est à grand redshift, plus cette marche sera dans l'infrarouge. Le décalage de la discontinuité de Lyman appelé "redshift" donne une mesure précise du temps que la lumière a mis pour nous parvenir et donc de la distance de la galaxie. On en trouve 4 par exemple, ce sont des candidats. Puis on demande au James Webb de pointer ces instruments spectroscopiques sur ces galaxies pour aller voir en détail si cette marche existe. Quand on fait ça pour ces 4 galaxies, on trouve qu'en effet, ces galaxies ont bien une marche à la longueur d'onde supposée, ce qui démontre que ce ne sont plus des candidats galaxies à grand redshift, mais de vraies galaxies à grand redshift. Et là, cette galaxie en particulier, est actuellement celle qui est confirmée comme étant la plus lointaine, c'est-à-dire qu'elle a un redschift que les astrophysiciens appellent 13.2. Cela signifie qu'on voit cette galaxie comme elle était 400 millions d'années après le big bang. Remonter aux origines de l'Univers, c'est bien la promesse du James Webb. Et aujourd'hui, les astrophysiciens peuvent pousser leurs outils à l'extrême pour voir pour la première fois des structures détaillées au cœur de ces galaxies très lointaines. On voit ici une galaxie qui remonte à 9 milliards d'années dans le passé. Elle a été magnifiée par une loupe représentée par la présence de matière entre la galaxie et nous qui fait un effet d'amplification de la lumière, appelé "lentille gravitationnelle". Ce que l'on voit et qui est le plus surprenant dans cette galaxie, ce sont tous ces petits points qui criblent la galaxie appelée "la galaxie aux étincelles". Ce sont des amas d'étoiles, d'environ 1 ou 2 millions d'étoiles complètement concentrées, dont l'âge est d'environ 5 milliards d'années. Ils remontent donc à une formation de centaines de millions d'années après le big bang. Cela suggère qu'il est possible que les premières structures formées sont des structures intermédiaires entre l'étoile et les galaxies, ces amas globulaires, qui sont peut-être de petites galaxies. C'est l'une des grandes questions qui émergent de ces observations. Pour affiner leurs modèles, les chercheurs vont continuer à collecter des milliers d'images et de spectres, afin de pouvoir tester la justesse des théories d'évolution de l'Univers. Aujourd'hui, on est en train de mesurer avec la précision la plus fine l'âge, la masse et la forme des galaxies dans différentes époques de l'Univers pour essayer de formuler le mieux possible le défi pour les simulations numériques à partir d'ordinateurs super puissants qui vont mettre dans la recette de la formation des galaxies toutes les lois qu'on connaît, essayer de reproduire ces images. Si elles y arrivent, c'est que nous avons compris la physique de base. Si elles n'y arrivent pas, c'est que la porte reste ouverte et que nous attendons de savoir qui va être le prochain invité dans nos théories. Grâce à sa sensibilité et à sa précision, le télescope James Webb a permis aux astrophysiciens de voir des galaxies complexes bien plus tôt dans l'histoire de l'Univers que ce qu'ils pensaient. Ils doivent à présent trouver un moyen pour expliquer ces observations. En 1 an seulement d'exercice, le JWST bouscule déjà nos connaissances. Avec une durée de vie estimée à plus de 20 ans, son futur nous réserve des surprises.
Réalisation : Sébastien Avila
Production : Universcience
Année de production : 2023
Durée : 14min37
Accessibilité : sous-titres français